130 $. 150 $. 180 $. 270 $. 300 $.

Malheureusement, ce n’est pas la progression du cours de mes actions dans la dernière année. Ce sont plutôt les coûts des forfaits pour regarder des matchs de soccer au Québec.

Le petit nouveau ? Celui d’Apple. Il permet de suivre toutes les parties de la MLS, en français ou en anglais pour celles des équipes canadiennes, pour 130 $ par année. Le prix est juste. C’est moins cher que les forfaits comparables pour le hockey, le baseball et le football. Notez que ce sera gratuit si vous achetez un abonnement de saison pour les parties du CF Montréal.

Le problème ?

Ce n’est pas Apple. C’est la fragmentation excessive, devenue franchement ridicule, du marché télévisuel du soccer.

Prenons un exemple concret.

Le mien.

J’aime le soccer. Je veux regarder les matchs du CF Montréal et les gros chocs de la Ligue des champions. La base, quoi. RDS, auquel je suis déjà abonné, prévoit diffuser 14 parties de la saison du CFM. Pour les 20 autres, je devrai m’abonner à Apple. Et pour les matchs du Championnat canadien ? Oups. Ni Apple ni RDS ne détiennent les droits. Je dois souscrire à FuboTV. Coût annuel : 270 $.

La bonne nouvelle, c’est que FuboTV, c’est un peu le Netflix du soccer. L’offre est immense. Un abonnement me donne aussi accès aux matchs de l’équipe canadienne, de la Ligue 1 française, de la Serie A italienne et de la Premier League anglaise.

Joie sous notre toit. C’est que notre aîné voue un culte inexplicable au club anglais de Tottenham. Une partisanerie très intense. Niveau Nick Hornby, dans Fever Pitch. Il possède le maillot bleu. Le maillot blanc. Le maillot aqua. Le maillot dépareillé vert-jaune-saumon. Lorsque Harry Kane compte un but dans les arrêts de jeu, nos murs tremblent. Heureusement, notre voisin immédiat est lui aussi un partisan de Tottenham.

L’affaire avec les Spurs, c’est qu’ils sont bons. Pas dominants. Juste bons. Cinquièmes au classement général. Or, que font les bons clubs, en Europe ? Ils participent à une deuxième compétition. La Ligue des champions. Et qui possède les droits, selon vous ?

Ni RDS, ni Apple, ni FuboTV.

Pour regarder le duel attendu entre Tottenham et l’AC Milan, le jour de la Saint-Valentin, il faudrait que je nous abonne à un quatrième service. DAZN. Celui-là est plus cher : 300 $ par année. Sauf que ça vient avec MLB Network et NFL Game Pass. Notre cadet serait ravi.

Sortons l’abaque du grenier.

130 $, plus 270 $, plus 300 $, ça fait… 700 $.

Ça, c’est sans compter mon abonnement à RDS, nécessaire pour suivre les parties du Canadien et des Alouettes. Ni celui à TVA Sports, qui diffusera l’Euro 2024. Ça commence à faire beaucoup, non ?

Oh. Attendez. On me souffle à l’oreille que Tottenham a battu Preston 3-0, la semaine dernière, en Coupe d’Angleterre. La quoi ? La Coupe d’Angleterre. Un gigatournoi, qui oppose les clubs des neuf premières divisions du pays. La grosse affaire. Surtout pour les fans des Spurs, dont l’équipe n’a gagné aucun trophée majeur depuis 2008. Cette année sera peut-être la bonne. Glory, Glory, Tottenham Spurs !

Bon, c’est sur quelle chaîne ?

Ni sur RDS, ni sur Apple, ni sur FuboTV, ni sur DAZN.

C’est sur SN NOW, le forfait en ligne de Sportsnet. Un autre paiement de 250 $. Mais, mais, mais, à ce prix-là, m’explique-t-on, j’aurai le privilège de pouvoir regarder Alphonso Davies avec le Bayern. Un pensez-y-bien.

Tsss… Tsss… Tsss…

Kaboum !

Mon cerveau vient d’exploser.

* * *

Cette fragmentation extrême du marché télévisuel du soccer présente des avantages indéniables. Il y a 20 ans, mon fils aurait eu de la difficulté à suivre assidûment Tottenham à partir d’ici. Sportsnet diffusait quelques parties de la Premier League par semaine, mais pas toutes. Aujourd’hui, tous les matchs sont offerts ici. Pas juste ceux de Tottenham. Ceux de l’Olympique de Marseille, du Bayer Leverkusen et du Real Salt Lake aussi. C’est formidable. Une révolution. Le partisan fidèle est comblé.

Sauf que l’amateur occasionnel, celui qui s’accroche une fois de temps en temps dans les parties du CF Montréal sur un poste câblé, celui-là, on risque de le perdre. Tout comme les Expos ont perdu une base importante de leurs partisans occasionnels, en 2000, en cessant d’être à la télévision francophone.

La concurrence entre les diffuseurs, au soccer, a favorisé l’innovation. La transmission de tous les matchs en est le meilleur exemple. En revanche, la hausse de l’offre et du nombre de joueurs n’a pas causé de chute des prix pour le consommateur. Au contraire. Les diffuseurs se sont battus entre eux pour les droits exclusifs de chaque ligue. Il y a eu une surenchère. Les gagnants ont payé très cher.

Trop cher, même.

Mediapro, qui possédait les droits de la Ligue 1 en France, a déclaré faillite. TVA Sports accumule les déficits année après année. Même avec le Canadien en finale de la Coupe Stanley, en 2021, la chaîne de Québecor a perdu 11 millions. Bally Sports, qui diffuse des parties de la LNH, de la NBA et du baseball majeur aux États-Unis, est en eaux troubles. Sa faillite, attendue prochainement, risque de bouleverser les finances de la LNH.

Notre capacité de payer n’est pas illimitée. Nous devrons faire des choix. Entre la MLS et la Premier League. Entre le soccer et le hockey. Entre le sport et Netflix. Entre la télévision et les autres dépenses de la vie quotidienne.

Et bientôt, plus tôt que tard, les ligues réaliseront qu’elles ont égorgé la poule aux œufs d’or.