Yassine Bounou est né à Montréal il y a 31 ans, dans le quartier Côte-des-Neiges. Il a grandi au Maroc, où il a été formé dans les rangs amateurs, et joue professionnellement en Espagne depuis dix ans. La saison dernière, le joueur de Séville a été nommé meilleur gardien de but de la Liga.

Mardi à Doha, celui que l’on surnomme Bono a bloqué les tirs des milieux de terrain espagnols Soler et Busquets pendant la séance de tirs de barrage, afin d’envoyer le Maroc en quarts de finale de la Coupe du monde pour la première fois de son histoire.

Les Lions de l’Atlas, équipe Cendrillon de ce Mondial, sont seulement les quatrièmes représentants de l’Afrique à se rendre aussi loin dans le tournoi, après le Cameroun en 1990, le Sénégal en 2002 et le Ghana en 2010. Grâce à Bounou, il y a un peu de nous dans cette victoire historique des Marocains. Voilà pour l’angle local et l’entrée en matière chauvine de cette chronique.

Près d’un million de Marocains d’origine résident en Espagne et ce n’est pas seulement un hasard si Achraf Hakimi, défenseur vedette du Maroc et du Paris Saint-Germain, a inscrit le but gagnant des tirs de barrage, osant un ambitieux semblant de panenka.

Hakimi, né à Madrid et formé au Real Madrid, était l’un des huit joueurs du onze partant de mardi à ne pas être né au Maroc. Il n’a en revanche jamais eu le moindre doute, comme Yassine Bounou, que sa nationalité sportive – celle du cœur – était marocaine.

PHOTO JAVIER SORIANO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Achraf Hakimi (2)

Le Maroc s’ajoute à la Croatie parmi les équipes en quarts de finale issues du très relevé groupe du Canada. Si l’on cherche encore à mettre en perspective le Mondial des Canadiens et à se consoler de l’élimination des Rouges…

Le huitième de finale entre le Maroc et l’Espagne a donné lieu à un match on ne peut plus tendu, avec bien peu d’occasions franches de part et d’autre, avant les prolongations, qui ont offert un jeu beaucoup plus ouvert.

On a assisté à un fascinant jeu d’échecs au stade Education City. Le Maroc, très discipliné dans une formation compacte, a misé sur l’attentisme, laissant à l’Espagne le soin de contrôler largement le jeu, en espérant profiter d’ouvertures en contre-attaque.

Ce sont d’ailleurs les Marocains qui ont eu le plus d’occasions en première période, Sofiane Boufal, métamorphosé en Ronaldinho d’Angers, créant bien des brèches avec un jeu technique particulièrement séduisant sur le flanc gauche.

Les blocs défensifs sont cependant restés bien en place. Les Marocains, teigneux, défendaient à 11 dans le dernier tiers, ne laissant aucun espace intéressant aux Espagnols. En deuxième mi-temps, la Roja s’est davantage imposée, empêchant le Maroc, poussé dans ses derniers retranchements, de retenir le ballon. Les occasions franches ont cependant été rares.

La Roja a réalisé plus de 1000 passes, 700 de plus que son adversaire, mais avec une possession de balle certes fluide, mais plutôt stérile et répétitive. Cette Espagne, autrefois si séduisante dans son tiki-taka, est devenue bien terne et prévisible. Même, j’oserais dire, dans son écrasante victoire de 7-0 face au Costa Rica en lever de rideau du tournoi.

Les Espagnols Gavi, le prodige de 18 ans, et Pedri, le maestro de deux ans son aîné, n’ont pas pu mettre en valeur leur talent hors norme, si évidents en club à Barcelone, tellement ils ont été cadenassés au milieu de terrain par le Marocain Sofyan Amrabat, omniprésent.

Ce fut une brillante démonstration de réalisme défensif par le Maroc (le Canada pourrait prendre des notes), un mur se dressant autour d’une pierre angulaire, son capitaine courage Romain Saïss. Un bloc. Et derrière, Yassine Bounou, d’un calme olympien.

« La seule chose que j’aurais aimée, c’est qu’on puisse sortir Bounou de la rencontre et le remplacer par un autre gardien », a ironisé le sélectionneur Luis Enrique après le match, en évoquant les tirs des de barrage. « Nous avons ressenti l’appui de nos partisans, qu’ils soient au Maroc ou partout ailleurs sur la planète », a de son côté déclaré Yassine Bounou. Il y en avait de nombreux au Québec…

Hakimi et Hakim Ziyech, qui vient de réintégrer la sélection après une dispute avec son ancien entraîneur, ont provoqué sur le flanc droit la plupart des contre-attaques marocaines jusqu’à la toute fin du match, offrant sur un plateau d’argent des occasions en or à Walid Cheddira, à la 104e et à la 114minute.

Les Espagnols, manifestement, ne souhaitaient pas se rendre aux tirs de barrage. Ils ont élevé le tempo d’un cran (mais pas tout le temps, ce serait contre les traditions de la maison). Ils y ont cru jusqu’à la toute dernière seconde, alors que la volée de Pablo Sarabia, qui venait juste d’entrer, a effleuré l’extérieur du poteau. Sarabia a de nouveau été frustré par le poteau au premier des tirs de barrage.

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Pablo Sarabia

C’était la quatrième fois sur cinq que les Espagnols perdaient aux penaltys en Coupe du monde. Lorsque l’Espagne a été éliminée en demi-finale de l’Euro par l’Italie aux tirs au but l’an dernier, Luis Enrique a suggéré à ses joueurs de s’entraîner à tirer 1000 penaltys dans l’année en club. Il reste que les tirs de barrage sont une loterie. À l’entraînement, tous ces joueurs marquent sur penalty 9 fois sur 10. En match éliminatoire de la Coupe du monde, c’est une autre histoire.

Les Lions de l’Atlas, irrésistibles, ambitieux, créatifs et très organisés, méritaient de gagner. C’était seulement la deuxième fois qu’ils participaient à la phase éliminatoire du Mondial, eux qui avaient perdu à la dernière minute en 1986, en huitièmes de finale, contre l’Allemagne de l’Ouest de Lothar Matthäus. Ils affronteront le Portugal, resplendissant face à la Suisse, en quarts de finale. Nous surprendront-ils encore une fois ?