Trois petits tours et puis s’en vont. Bien sûr que c’est décevant. Surtout quand on voit le Japon, défait par le Canada en match préparatoire il y a à peine deux semaines, battre l’Allemagne et l’Espagne puis passer au deuxième tour. Mais ce n’est pas étonnant.

Le Canada est une équipe jeune et inexpérimentée, qui a rarement eu à faire face à des adversaires aussi forts que la Belgique, la Croatie ou le Maroc. Des sélections nationales dont les joueurs évoluent presque tous au plus haut niveau en Europe.

Le match contre la Belgique, vieillissante, lente et en déroute, fut celui de l’occasion ratée. C’est là qu’il y avait un coup à jouer, bien plus que face à la Croatie, beaucoup plus solide et équilibrée. John Herdman n’aurait souhaité aucun mot qui commence par la lettre « F » à la Croatie que le Canada aurait quand même perdu, dimanche dernier.

Certes, il y a eu trop d’erreurs individuelles pendant ce tournoi : de Hutchinson, de Miller, de Vitoria, de Borjan… Oh ! Borjan. Davies a voulu trop en faire, David était aux abonnés absents, Herdman a commis des erreurs tactiques. Ce n’était pas parfait, mais c’était loin d’être catastrophique.

Le Canada joue collectivement au-dessus de ses moyens individuels, quand il est en confiance. Cette équipe se surpasse quand elle y croit et elle y a cru par moments. Or, la confiance s’est effritée après le deuxième but de la Croatie, puis elle s’est évaporée, avant de réapparaître en deuxième mi-temps contre le Maroc.

Il reste que de façon réaliste, l’exploit de l’équipe du Canada, c’était de se rendre jusqu’à ce Mondial. Sur papier, ses adversaires étaient de loin supérieurs. Sur le gazon, cette supériorité ne s’est pas aussi clairement manifestée.

Il y a eu des passages à vide, mais aussi des phases de jeu dans tous les matchs où le Canada, volontaire, décomplexé, ambitieux, a eu le dessus. C’était du jamais vu à ce niveau.

Le running gag dans le milieu du soccer canadien, depuis des décennies, c’est que les espoirs de notre équipe nationale s’évanouissent d’ordinaire sur un terrain mal entretenu de San Pedro Sula. Je suis déjà passé par San Pedro Sula, pendant un reportage au Honduras. C’est effectivement un endroit où les rêves vont pour mourir.

Il est important de remettre l’aventure du Canada à cette Coupe du monde en perspective. Cette équipe a terminé première de la CONCACAF, un exploit qui était pratiquement inimaginable il y a à peine deux ans.

Pour avoir une idée de la progression de la sélection canadienne, il est utile de rappeler qu’elle a perdu en 2013 contre la Martinique (375 000 habitants) et fait match nul, en 2011, contre Saint-Kitts-et-Nevis, une île des Caraïbes dont la population est équivalente à celle de Saint-Hyacinthe (53 000 habitants)…

En 2014, au moment d’entamer sa campagne de qualification pour la Coupe du monde de 2018, le Canada était classé au plus bas échelon de son histoire par la FIFA, au 122e rang, derrière des puissances du soccer mondial telles que le Tadjikistan, le Soudan, l’Éthiopie, le Koweït et la Guinée équatoriale. Et tout juste devant la Guinée-Bissau. Dans sa propre confédération, le Canada était classé derrière Trinité-et-Tobago et Haïti, à peine quelques rangs devant Cuba, Aruba et la République dominicaine.

En 2015, le Canada n’a pas marqué un seul but et a terminé dernier de son groupe à la Gold Cup, la compétition continentale de la CONCACAF. Il ne s’est pas qualifié pour la dernière ronde de qualification de la Coupe du monde pour la cinquième fois de suite.

Entre 2012 et 2018, les Rouges ont connu cinq sélectionneurs, dont Benito Floro, un ancien entraîneur du Real Madrid, qui n’a remporté que 9 de ses 31 matchs avec le Canada. À l’époque, une sélection en équipe nationale était perçue par certains joueurs comme une occasion de prendre quelques jours de vacances dans les Caraïbes pendant l’hiver, entre deux matchs internationaux.

PHOTO PATRICK T. FALLON, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le sélectionneur du Canada, John Herdman

C’est dans ce contexte que John Herdman a été nommé sélectionneur de l’équipe masculine en janvier 2018, avec l’objectif de préparer l’équipe nationale à la Coupe du monde de 2026, ici même au Canada. Le scepticisme était grand, notamment chez les joueurs, malgré ses deux médailles de bronze olympiques remportées avec la sélection féminine. On ne chasse pas des décennies de machisme d’un seul coup.

Dire qu’il y avait peu d’attentes serait un euphémisme. Mais les cadres de l’équipe nationale se sont laissé séduire par la personnalité exubérante du technicien britannique. Et grâce à l’émergence d’une génération dorée (Davies, David, Buchanan, Eustaquio, etc.), le Canada s’est qualifié pour la ronde finale de qualification de la CONCACAF pour la première fois depuis 1997. Un tournoi de huit équipes, avec à la clé trois laissez-passer pour le Qatar (ainsi qu’une autre place potentielle, au terme d’un match à élimination directe face à une équipe de l’Océanie).

Sous la houlette de Herdman, le Canada est passé en 2021 de la 70e à la 40e place du classement mondial – bien sûr contestable – de la FIFA.

Le succès a été si fulgurant et inattendu que ni la fédération canadienne ni l’équipementier Nike n’ont prévu un maillot spécifique du Mondial pour le Canada, le seul pays à ne pas en porter un au Qatar.

On peut évidemment critiquer les décisions de John Herdman et se demander s’il est le plus apte à mener le Canada à des succès concrets en 2026. Mais il ne faudrait pas oublier qu’il compte 32 gains avec l’équipe nationale masculine, 12 de plus que quiconque parmi ses nombreux prédécesseurs, avec un pourcentage de victoires de 64 %.

Sous Herdman, le Canada peut désormais espérer disputer des matchs internationaux contre des équipes qui n’en avaient pas le moindre intérêt il y a deux ans. Ce sera d’une importance capitale pour bien se préparer au Mondial de 2026, alors que le Canada devrait être avantagé comme premier de poule de son groupe, dans un format à 48 plutôt que 32 équipes.

Alors à moins que Carlo Ancelotti ne quitte le Real Madrid pour prendre la barre de l’équipe du Canada, d’où est originaire sa femme vancouvéroise et où il possède une maison – ou que John Herdman ne reçoive une proposition intéressante d’un club européen –, je ne crois pas que le Canada nommera un nouveau sélectionneur d’ici trois ans et demi. Et on pourra pleinement mesurer le chemin parcouru par cette équipe du « Nouveau Canada ».