(Doha) L’entraîneur-chef du Canada, John Herdman, a commis des erreurs dans cette Coupe du monde. Pas juste une. Plusieurs. Et pour la première fois depuis qu’il est à la tête du programme national, il affronte la critique du public.

Il n’y est pas habitué. Au contraire, sa carrière était jusqu’ici un parcours sans faute. Deux médailles de bronze consécutives aux Jeux olympiques avec les femmes. Une première participation à la Coupe du monde en 36 ans avec les hommes, à la suite d’une domination totale dans les qualifications continentales.

Il y a sept jours, tous chantaient encore ses louanges. Après la courte défaite de 1-0 contre les Belges, des analystes européens se disaient renversés par la qualité de la performance des Canadiens. Un titan de l’équipe de France, Thierry Henry, est même allé féliciter personnellement John Herdman après la rencontre.

« Vous avez sorti les Belges du parc », lui a-t-il dit. C’est bon pour la confiance. C’est bon pour l’ego. Cette soirée-là, gonflé à bloc, Herdman a fait une déclaration présomptueuse à la télévision : « Nous allons F*** les Croates ! »

Non, Herdman n’a pas dit cela pour enlever de la pression à Alphonso Davies, qui venait de rater son penalty. Ses propos étaient tout simplement malhabiles. Maladroits. Irrespectueux.

Pendant quatre jours, il s’est empêtré entre des excuses et des explications. Un processus épuisant, à quelques heures du match le plus important. Puis les Croates ont écrasé les Canadiens, 4-1. Herdman fut de nouveau critiqué, cette fois pour la gestion de son effectif. Avec raison, je le précise. L’entraîneur-chef canadien a réagi trop lentement à la blessure de Stephen Eustáquio, et il s’est fié trop longtemps à son capitaine Atiba Hutchinson, qui en arrachait en milieu de terrain.

Depuis, son avenir comme entraîneur-chef de l’équipe canadienne est un sujet de conversation. Mercredi, lors de la conférence de presse officielle du Canada, un journaliste lui a demandé quels étaient ses plans après la Coupe du monde. Herdman a éludé la question, en parlant plutôt du prochain match, contre le Maroc. Un deuxième reporter est revenu à la charge, lui demandant cette fois s’il comptait rester avec l’équipe canadienne jusqu’à la Coupe du monde de 2026, qui sera en partie présentée chez nous.

Réponse : « Je serai [le coach] demain. Je serai excité demain. Absolument. Ça fait 11 ans que je travaille pour ce pays. Je suis un pionnier depuis longtemps. Vous ne trouverez personne de plus passionné que moi par ce programme, ces joueurs et ces employés. Vous ne trouverez personne de plus passionné pour mener ce projet à un niveau supérieur. Vous ne trouverez personne qui a vécu ce moment [spécial] avec l’équipe. »

Je peux apprendre des leçons [de cette Coupe du monde] et les transposer dans la prochaine.

John Herdman, entraîneur-chef de l’équipe du Canada

Il s’est ensuite lancé dans une défense passionnée de son palmarès.

« Nous sommes toujours revenus plus forts. En 2015, avec les femmes, nous avons terminé sixièmes. En 2016, nous avons gagné le bronze aux Jeux olympiques. Quatre ans plus tard, elles ont remporté l’or [à Tokyo]. Nous sommes venus à cette Coupe du monde, et Thierry Henry m’a dit que nous avions sorti [les Belges] hors du parc. Je vais prendre le compliment. Si ce sont nos fondations, nous avons quatre belles années devant nous, et je suis impatient de me mettre au travail. »

John Herdman ne parle pas comme un coach qui souhaite partir. Et bien qu’il ait déçu plusieurs partisans dans les derniers jours, sachez que les joueurs, eux, l’adorent.

« C’est un entraîneur que tous les joueurs respectent », m’a expliqué le défenseur Kamal Miller, il y a quelques semaines. « Tu peux aller le voir, et lui parler de n’importe quel sujet. Il est capable de se reconnaître dans nos histoires de vie. Parmi nous, plusieurs sont issus de la classe moyenne ou ouvrière. Lui-même n’a pas grandi dans une famille riche. Il est aussi un motivateur hors pair. »

PHOTO HAMAD I MOHAMMED, ARCHIVES REUTERS

Kamal Miller

Samuel Piette et Alistair Johnston m’ont confié sensiblement la même chose. Les deux m’ont dit qu’ils défonceraient un mur si Herdman le leur demandait.

« John est un motivateur fantastique », convenait aussi le défenseur Joel Waterman, tout juste avant d’arriver au Qatar. « Intense par moments, mais jamais de façon négative. Il sait quand être sérieux et quand faire des blagues. Ses discours d’avant-match sont uniques. Il sait comment enflammer les joueurs, et obtenir le meilleur d’eux. »

La motivation n’est évidemment qu’un aspect du travail de l’entraîneur. Mais ça en est un très important. Surtout en équipe nationale.

Un sélectionneur national dispose de moins de temps qu’un entraîneur en club pour créer et établir un système de jeu, m’a récemment expliqué un ancien international canadien. Il faut que la mayonnaise prenne. Vite. Les joueurs arrivent de différents clubs, de différentes ligues, de différents calibres. Le coach doit s’assurer de créer un environnement sain, même si des vedettes en club deviennent soudainement des réservistes. Avoir un motivateur d’exception, en équipe nationale, est un atout indéniable.

Je ne dis pas que John Herdman est un entraîneur parfait. Aurait-il pu mieux gérer son effectif face à la Croatie ? Oui. Ses propos envers la Croatie étaient-ils déplacés ? Absolument. Je l’ai d’ailleurs déploré quatre fois plutôt qu’une.

Mais John Herdman n’est pas non plus que son dernier match.

Il mérite d’être évalué sur l’ensemble de son travail avec l’équipe canadienne. Pas juste sur une défaite contre les finalistes de la dernière Coupe du monde.

Canada-Maroc, jeudi à 10 h (heure de Montréal)