Les Iraniens se sont bien battus. Mais dans un match lourd de sens, à la fois sur le plan sportif et géopolitique, ils se sont inclinés 1-0 devant les Américains, mardi, au stade Al-Thumama. Ils ont été éliminés de la Coupe du monde par un but du meneur de jeu des États-Unis, Christian Pulisic.

Ce n’est pas faute d’efforts. Dans les dix dernières minutes de jeu, sous tension, les Iraniens ont tout donné, ballon après ballon centré près du point de penalty adverse, résultat de quantité de coups francs dangereux concédés par les Américains.

Cette énergie du désespoir contrastait avec le chant sans conviction de l’hymne national par le Onze partant iranien, avant le match. La plupart des joueurs ont semblé en marmonner les paroles, après avoir refusé de le chanter à leur premier match du Mondial contre l’Angleterre.

Ce geste de soutien aux femmes iraniennes, dans la foulée des soulèvements populaires réprimés dans le sang par Téhéran depuis la mort de Mahsa Amini, 22 ans, en septembre, aux mains de la police iranienne, n’est pas passé inaperçu.

À leur deuxième rencontre du groupe B face aux Gallois, les joueurs iraniens se sont remis à chanter l’hymne national, quoique timidement, après avoir été critiqués par de hauts dirigeants politiques et surtout par crainte de représailles, notamment pour leurs familles et leurs proches.

Ce dernier match de groupe se disputait dans un contexte géopolitique particulièrement tendu entre la République islamique d’Iran et les États-Unis, qui n’entretiennent plus de relations diplomatiques.

La décision de la fédération américaine de soccer de modifier, il y a quelques jours, l’apparence du drapeau iranien sur ses publications dans les réseaux sociaux – en retirant son emblème central qui signifie « Il n’y a pas d’autre dieu qu’Allah » –, afin de soutenir à son tour les Iraniennes, n’a pas eu l’heur de plaire à Téhéran…

Et vous pensiez que John Herdman avait ajouté de l’huile sur le feu avec sa déclaration sur ce qu’il souhaitait faire subir à la Croatie ?

La fédération iranienne de football a aussitôt exigé de la FIFA que les Américains soient suspendus dix matchs pour « atteinte à la dignité » de leur nation. En conférence de presse lundi, le capitaine de la sélection américaine, Tyler Adams, a dû répondre à des questions d’un journaliste iranien sur le traitement de la minorité afro-américaine aux États-Unis.

Bref, il n’y a pas qu’un rendez-vous sportif qui a été âprement disputé à Doha mardi. Et aucun effort n’a été fait pour que cette deuxième rencontre irano-américaine en Coupe du monde soit l’occasion d’une trêve politique. Ça avait pourtant été le cas en 1998.

J’assistais à la Coupe du monde en France lorsque fut disputé à Lyon le fameux « match de la paix » entre les États-Unis et l’Iran. Les Iraniens y avaient inscrit leur toute première victoire en Coupe du monde, 2-1. « Nous avons fait plus en 90 minutes que les politiciens en 20 ans ! », avait dit, philosophe après la défaite, le défenseur américain Jeff Agoos.

À l’époque, la secrétaire d’État américaine Madeleine Albright avait déclaré souhaiter que ce match permette de « bâtir des liens, faire tomber les murs de la défiance et créer une meilleure compréhension » entre les deux nations. Dans la foulée, l’Iran avait participé en 2000 à un match amical contre les États-Unis, en Californie. Deux ans plus tard, alors que se disputait la Coupe du monde nippo-coréenne, l’Iran faisait partie de « l’Axe du mal », selon l’expression du président américain George W. Bush (attribuée au rédacteur de son discours, le Canadien David Frum).

Mardi, paradoxalement, des joueurs iraniens qui défient par leur silence le régime de Téhéran et des joueurs américains qui n’étaient pas tous nés en 1998 se disputaient ce match à haute teneur symbolique… ainsi qu’accessoirement une place en huitièmes de finale.

La jeune sélection américaine a eu le dessus particulièrement en première demie, alors que les Iraniens peinaient à enchaîner plus d’une passe. Christian Pulisic a marqué le seul but de la rencontre à la 38e minute, sur une tête centrée de Sergino Dest, qui a redirigé dans la petite surface un long ballon de Weston McKennie.

PHOTO KIRILL KUDRYAVTSEV, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’Américain Christian Pulisic a marqué le seul but du match.

Puis Timothy Weah a failli doubler l’avance d’un (autre) magnifique but de l’extérieur du pied, sur une passe de McKennie, dans les arrêts de jeu de la première mi-temps. L’arbitre a sifflé hors-jeu.

Pulisic, blessé sur l’action qui a mené à son but, a dû être remplacé à la mi-temps. En l’absence de leur attaquant vedette, les Américains ont semblé se replier sur eux-mêmes. Les Iraniens, contraints de prendre des risques, ont été de plus en plus menaçants. Le rythme du match a souffert de la multiplication des fautes, de la part des Américains surtout, chez qui la fatigue se faisait sentir.

Le suspense de la qualification – les Iraniens pouvaient y parvenir avec un nul – a racheté quelque peu dans le dernier quart d’heure cette rencontre plutôt terne, une constante depuis le début du tournoi chez les Américains. Les voilà qualifiés pour la ronde éliminatoire pour leur troisième participation d’affilée, eux qui étaient absents du Mondial russe de 2018.

En revanche, les Iraniens sont éliminés pour la septième fois en sept qualifications en Coupe du monde, dès la phase de groupe. Ce qui n’enchantera sans doute pas davantage les dirigeants iraniens, qui ne se seraient pas fait prier, dans le contexte actuel, pour récupérer une victoire sportive sur les Américains à des fins politiques.

Les États-Unis affronteront les Pays-Bas en huitièmes de finale samedi. Un match qui aura une résonance particulière pour le défenseur américain Sergino Dest, né aux Pays-Bas d’un père américain d’origine surinamienne et d’une mère néerlandaise, formé à l’Ajax d’Amsterdam et qui a joué au FC Barcelone, terre d’accueil de bien des grands joueurs hollandais.