En 1986, Patrick Roy nous laissa tous pantois. Et Maradona nous laissa tous gagas. C’était la fin de ma première année à l’école secondaire. Le Canadien venait de battre, fin mai, les Flames de Calgary en finale de la Coupe Stanley, grâce à son gardien de but recrue. Une semaine plus tard, les Canadiens participaient au premier match de Coupe du monde de soccer de leur histoire.

J’avais 13 ans et je ne réalisais pas à quel point je tenais pour acquis ces deux évènements exceptionnels. Le Canadien, qui avait été champion de la Coupe Stanley une année sur deux depuis ma naissance, n’a remporté depuis qu’une autre finale, il y aura bientôt 30 ans. Et il aura fallu 36 ans avant que je retrouve les Canadiens en Coupe du monde, ce mercredi contre les Diables rouges belges.

Le Mondial de 1986 devait avoir lieu en Colombie, pas du tout prête à accueillir la compétition en raison d’importantes difficultés économiques (les cartels de la drogue ne remplissent pas les coffres de l’État, semble-t-il). C’est donc le Mexique qui a pris le relais malgré un tremblement de terre qui avait fait presque 10 000 morts et 30 000 blessés, quelques mois seulement avant le coup d’envoi du tournoi.

En plus du pays hôte, le Canada était le seul autre représentant de la CONCACAF qualifié pour la compétition. Même les États-Unis n’avaient pas réussi à trouver une place parmi les 24 nations participantes. La Coupe du monde étant diffusée à Radio-Canada, on allait bientôt découvrir l’équipe du sélectionneur du Canada, l’Anglais Tony Waiters, grâce aux reportages de Camille Dubé, de feu Jean Pagé, de Francis Millien et de Georges Schwartz, le joaillier passionné de soccer, à qui le confrère Robert Frosi a consacré un documentaire, Georges Schwartz le contestataire, diffusé à RDI, ce vendredi à 20 h.

Les cadres de l’équipe du Canada avaient pour noms Bobby Lenarduzzi, Bruce Wilson, Ian Bridge, Randy Samuel, Paul James, Gerry Gray, Igor Vrablic, Carl Valentine et Dale Mitchell (qui avait joué pour le défunt Manic de Montréal, quelques années plus tôt). Parmi les 23 joueurs de l’effectif, il n’y avait qu’un seul Québécois : Tino Lettieri, né en Italie mais ayant grandi à Montréal, qui fut le gardien partant du Canada pour ses deuxième et troisième matchs. Lettieri est le père de Vinni, un attaquant de l’organisation des Bruins de Boston.

C’est Igor Vrablic qui a assuré cette première qualification du Canada, en septembre 1985, grâce à un but marqué du genou à la 61e minute d’un match à élimination directe remporté 2-1 face au Honduras, à St. John’s, à Terre-Neuve. Vrablic, un attaquant de pointe de 20 ans qui venait de signer un contrat en première division grecque avec l’Olimpiakos, a été impliqué dans un scandale de match truqué, peu après la Coupe du monde, avec trois de ses coéquipiers de l’équipe nationale. Ils ont été accusés d’avoir accepté 100 000 $ en pots-de-vin. Vrablic n’a plus jamais joué pour le Canada.

Comme la NASL (dans laquelle évoluaient le Manic ainsi que le Cosmos de New York) avait cessé ses activités en 1984, la plupart des joueurs canadiens pratiquaient surtout le soccer intérieur au pays et aux États-Unis. Certains n’avaient même pas de contrat professionnel au moment de se rendre au Mexique.

Dire que ce n’était pas idéal pour préparer la plus importante compétition de soccer de l’histoire du Canada relève de l’euphémisme.

Les Canadiens ont pourtant entamé le tournoi en nourrissant certains espoirs. Ils étaient champions en titre de la CONCACAF (l’équivalent de la Gold Cup) et avaient été éliminés aux tirs au but par le Brésil, en quart de finale des Jeux olympiques de Los Angeles, en 1984. À leur premier match du Mundial mexicain, les Rouges ont neutralisé les Bleus, champions d’Europe en titre, jusqu’à la 79e minute, avant que le Français Jean-Pierre Papin, révélation du FC Bruges, ne convertisse l’une de ses nombreuses occasions dans le match.

Cinq ans plus tard, JPP (pour les intimes) allait devenir, sous le maillot de l’Olympique de Marseille, l’un des cinq Français de l’histoire à obtenir le Ballon d’or – après Raymond Kopa et Michel Platini, et avant Zinedine Zidane et Karim Benzema, il y a un mois.

Après ce revers très respectable de 1-0 contre la France, le Canada s’est incliné 2-0 devant la Hongrie puis de nouveau 2-0 devant l’Union soviétique. Trois résultats honorables, mais pas le moindre but. Contre l’URSS, Bobby Lenarduzzi, futur entraîneur de la sélection nationale, a figé à deux mètres de la cage soviétique, seul avec le ballon au pied, comme un chevreuil devant les phares d’une voiture dans le parc national des Glaciers.

Ce fut le plus près que le Canada s’approcha de s’inscrire au pointage d’un match du Mondial. Après des décennies de performances décevantes et de défaites humiliantes, parfois contre de modestes nations de soccer des Caraïbes, à peu près plus personne ne croyait que les Canadiens retrouveraient la plus grande compétition sportive de la planète après les Jeux olympiques.

Jusqu’à ce que la Coupe du monde soit accordée en 2026 au Canada, ainsi qu’au Mexique et aux États-Unis, et qu’une qualification comme pays hôte devienne une formalité. Mais cette équipe menée par les Alphonso Davies, Jonathan David, Stephen Eustaquio, Alistair Johnson, Kamal Miller et Samuel Piette n’avait pas envie d’attendre encore quatre ans.

Soudée comme la sélection nationale de 1986, elle a accumulé les bons résultats.

Pour la première fois depuis 1997, le Canada a disputé la dernière ronde de qualification de la CONCACAF.

Pour la première fois depuis 2007, les Rouges se sont rendus en demi-finale de la Gold Cup. Et on s’est tous mis à rêver.

En septembre 2021, j’étais au BMO Field de Toronto pour la victoire du Canada 3-0 sur le Salvador (sans Alphonso Davies). Il ne faisait plus de doute dans mon esprit que cette équipe, en mission, allait se rendre jusqu’au bout. J’ai tout de même versé une larme en mars dernier, lorsqu’il fut confirmé qu’après 36 ans d’attente et de misères, les Canadiens seraient de nouveau à la Coupe du monde.

Ce mercredi, les Diables rouges n’ont qu’à bien se tenir.