(Doha) Kamal Miller et Alistair Johnston avaient déjà joué ensemble avec l’équipe canadienne. Contre Haïti. Contre la Martinique. Contre les îles Caïmans. De petites pointures. Mais cette fois, c’était un gros test. Un quart de finale de la Gold Cup de 2021, contre le Costa Rica, un pays qui s’est qualifié pour les deux dernières Coupes du monde.

Les Canadiens étaient fébriles. En entrant sur le terrain, Kamal Miller a pris Alistair Johnston à part. « Écoute, lui a-t-il dit, des gens pensent que nous sommes encore des joueurs universitaires. D’autres croient que nous sommes seulement assez bons pour la MLS. Aujourd’hui, nous affrontons tous les deux de bons attaquants. C’est le jour où nous démontrerons à tout le monde que nous méritons notre place ici. Que ces deux postes de défenseurs, ce sont les nôtres. Pas juste pour ce match. Pour le Qatar, aussi. »

« Son discours m’a vraiment crinqué », se souvient Alistair Johnston.

Ce jour-là, le Canada a blanchi le Costa Rica 2-0.

Depuis, les deux font la paire.

Avec l’équipe canadienne et le CF Montréal.

La première fois que Kamal Miller et Alistair Johnston se sont rencontrés, c’était à Toronto, il y a environ 10 ans. Alistair arrivait de Montréal, où il avait grandi. Kamal était déjà un joueur étoile dans la région.

« Kamal avait un an de plus que moi, raconte Alistair. Il était le défenseur central vedette du club de Vaughan. On s’entraînait ensemble. Je le trouvais incroyable. Je voulais être comme lui. »

Kamal, lui, était plutôt intrigué par cette recrue dont il n’avait jamais entendu parler. « Alistair devait avoir environ 14 ans. Il n’existait pas d’équipe pour son groupe d’âge, alors il jouait avec nous. Il n’était pas encore le joueur qu’il est devenu. Oui, il était bon, surtout techniquement, mais il était plutôt petit et parlait peu. »

« Notre équipe était paquetée de joueurs de l’équipe nationale. Les gars étaient recrutés par les meilleures écoles aux États-Unis. Nous affichions une arrogance positive. Nous étions bons — et nous le savions. Donc lorsque Alistair est arrivé, on s’est tous dits : c’est qui, lui ? Nous ne savions pas à quoi nous attendre. »

Alistair Johnston a réussi haut la main son audition. « Il a vite gagné notre respect, explique Miller. À partir de ce moment, j’ai toujours su qu’il deviendrait un bon joueur. »

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Alistair Johnston

Après son cours à l’école secondaire, Kamal Miller a déménagé aux États-Unis afin de jouer à l’Université de Syracuse, dans la NCAA. « Ça m’a impressionné, se souvient Alistair Johnston. Quand j’ai vu ça, moi aussi, j’ai voulu être recruté par une université américaine. » Un an plus tard, Johnston s’enrôlait à Wake Forest.

En 2019, Miller a été repêché dans la MLS et sélectionné en équipe nationale. Un an plus tard, qu’est-il arrivé à Johnston ? Exactement la même chose.

« Présenté comme ça, j’ai l’air d’un harceleur [stalker] », convient Johnston en riant.

« Mais sérieusement, Kamal est comme un grand frère pour moi. Il m’a enseigné plein de trucs. Surtout lorsque j’ai fait la transition de milieu de terrain à défenseur, un poste qu’il connaissait bien. Il m’a aussi beaucoup aidé à mon arrivée dans l’équipe nationale. Il s’est assuré que la bouchée ne soit pas trop grosse. »

Miller et Johnston ont d’autres traits communs. Les deux ont des personnalités plutôt extroverties. « Kamal est plus volubile à Montréal qu’avec l’équipe nationale, raconte son coéquipier Samuel Piette. C’est un gars qui parle beaucoup, qui est confiant. On aime ça le niaiser en disant qu’il mettra ses bons coups sur Instagram [rires]. Tu as besoin de joueurs comme ça. » Alistair, lui, « est un futur commentateur ou journaliste », prédit le président du CF Montréal, Gabriel Gervais.

Mais sur le terrain, précise Kamal Miller, « Alistair est un tueur silencieux ».

« Il est tellement intelligent. Sa connaissance du jeu est épatante. Dès que le ballon sort, ou qu’il y a un joueur blessé, il vient me rejoindre pour me dire quelques mots, ou pour régler un truc. Il ne crie jamais sur le terrain. S’il a quelque chose à me dire, il va attendre le bon moment pour m’en parler en privé. »

Alistair Johnston, lui, se dit particulièrement impressionné par le jeu de pieds de son partenaire à la défense. « Les gens pensent qu’il n’est qu’un grand défenseur central, fort physiquement. Il est bien plus que cela. Il peut dribler. Il peut passer. Il peut tirer. C’est un très bon footballeur, avec des pieds hallucinants. »

Un an après la victoire contre le Costa Rica, Miller, 25 ans, et Johnston, 24 ans, sont des piliers de l’équipe canadienne. Des titulaires incontestables. Des joueurs ambitieux, également.

Ils n’ont pas vécu les années sombres du soccer canadien. Ils n’étaient pas dans l’alignement lorsque le Canada s’est incliné 8-1 devant le Honduras, ou lorsqu’il a égalisé contre Saint-Christophe-et-Nièves. Ils font partie de cette nouvelle génération de joueurs canadiens qui ne souffrent d’aucun complexe d’infériorité.

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Kamal Miller

« Quand je suis arrivé dans le programme, se souvient Alistair Johnston, la grosse affaire, c’était notre qualification pour l’octogone. » L’octogone, c’est le tournoi régional qui permet de se qualifier pour la Coupe du monde. « Lorsqu’on a réussi, les vétérans comme Atiba [Hutchinson] et Milan [Borjan] pleuraient. D’autres gars et moi, on se demandait : qu’est-ce qui se passe ? Pour nous, c’était naturel de gagner les deux matchs contre le Surinam. Après, quand tu étudies l’histoire du soccer canadien, tu comprends qu’on a souvent perdu ce genre de matchs. C’est rempli de cicatrices. C’est après notre victoire dans l’octogone que nous avons compris que nous étions en train d’accomplir quelque chose de différent. »

La suite, vous la connaissez. Les Canadiens ont dominé l’octogone. Ils ont battu les Américains, les Mexicains et les Honduriens. Mercredi, pour la première fois depuis 1986, ils disputeront un match à la Coupe du monde. Et ils ne viennent pas au Qatar en touristes.

« Jouer à la Coupe du monde, c’est mon rêve, indique Kamal Miller. Lorsque les joueurs belges, italiens ou argentins de mon âge étaient enfants, ils regardaient la Coupe du monde. Ils pouvaient s’identifier à des joueurs de leur pays. Nous, on n’a pas eu cette chance. Historiquement, le Canada n’a jamais été un pays de soccer. Alors ça veut tout dire, pour nous, d’être ici. Nous sommes heureux de pouvoir être la génération qui encouragera les enfants à rêver. Nous voulons être une équipe combative, de laquelle les jeunes Canadiens pourront s’inspirer. »