J’ai assisté à plusieurs conférences de presse absurdes dans ma carrière. Mais du calibre de celle du président de la FIFA, Gianni Infantino, samedi ? Jamais.

Sa déclaration initiale a duré une heure. Une heure de sophismes, de citations bizarres et de comparaisons maladroites. C’était digne d’un épisode de The Office. Si seulement ça avait été drôle. Même pas. C’était juste malaisant.

Son long monologue a commencé avec une énumération surprenante. « Aujourd’hui, je me sens qatari. Aujourd’hui, je me sens arabe. Aujourd’hui, je me sens africain. Aujourd’hui, je me sens homosexuel. Aujourd’hui, je me sens comme une personne en situation de handicap. Aujourd’hui, je me sens comme un travailleur migrant. »

Et même « comme une femme », a-t-il ajouté un peu plus tard. Évidemment, ce sont des métaphores. M. Infantino n’est rien de tout cela, bien qu’il réside au Qatar depuis le début de l’année. Les 400 personnes dans l’auditorium se demandaient toutes où allait aboutir cette tirade. La suite a été encore plus surprenante.

« Je sais ce que c’est que d’être discriminé. J’ai été un étranger, dans un autre pays. À l’école, je me suis fait intimider, car j’avais les cheveux roux et des taches de rousseur. En plus, j’étais italien et je parlais mal l’allemand. Tu pleures dans ta chambre, et après, tu essaies de te faire de nouveaux amis. »

Pause.

La situation d’un fils d’entrepreneur italien en Suisse est-elle vraiment comparable à celle d’un Bangladais qui pose des briques à 47 °C pour 15 $ par jour ? Les enfants européens aux cheveux roux vivent-ils avec la menace d’être emprisonnés, comme le sont les membres de la communauté LGBTQ+ au Qatar ? Qui, parmi ses proches conseillers, a pensé que ces comparaisons étaient judicieuses ?

Gianni Infantino s’est ensuite lancé dans une attaque passionnée contre l’Occident en général, et l’Europe en particulier. Pourquoi ? Pour répondre à toutes les critiques émises envers le Qatar, pour sa gestion des droits de la personne.

« On se fait donner des leçons par des Européens et des gens de l’Occident. Je suis européen. Je pense qu’après ce que nous avons fait, nous Européens, au cours des 3000 dernières années, nous devrions nous excuser pour les 3000 prochaines années avant de faire la morale aux autres. »

Trois mille ans d’excuses, c’est long longtemps.

Les anglophones ont une jolie expression pour ce type d’arguments : le whataboutism. C’est l’art de dévier la conversation en exposant un problème différent. Personne ne nie qu’il y ait eu des atrocités en Europe au cours des 3000 dernières années. Ç’a aussi été le cas en Amérique, en Afrique et en Asie, d’ailleurs. Après, est-ce que les erreurs de nos ancêtres devraient nous interdire de critiquer les travers d’un État pour les trois prochains millénaires ? De souhaiter de meilleures conditions de travail pour des ouvriers ? De déplorer l’intimidation dont sont victimes des pans entiers d’une société ? Se taire n’encourage-t-il pas la répression ?

Dans une autre diatribe, Gianni Infantino s’en est pris spécifiquement aux journalistes, qui ont multiplié les articles et les enquêtes, ces derniers mois, sur les enjeux sociaux au Qatar.

« Vous voulez critiquer quelqu’un ? Venez vers moi. Critiquez-moi. Je suis ici. Crucifiez-moi. Ne critiquez pas le Qatar. » Malaise dans la salle. « Ne critiquez pas les joueurs. Ne critiquez personne. Critiquez la FIFA, critiquez-moi si vous le voulez. C’est moi qui suis responsable de tout. »

Ironiquement, lorsqu’un journaliste lui a demandé s’il considérait que l’attribution de la Coupe du monde au Qatar était « une erreur », comme l’a déclaré il y a bientôt deux semaines l’ancien président de la FIFA, Sepp Blatter, Gianni Infantino s’est déresponsabilisé, affirmant avec raison qu’il n’est devenu président qu’en 2016, donc six ans après la décision.

M. Infantino avait une autre crotte sur le cœur envers les journalistes. Il leur a reproché d’avoir peu couvert une conférence de presse sur le sport pour les personnes en situation de handicap. « Il y a un milliard de personnes [dans cette situation]. Personne ne s’en soucie. C’est 15 % de la population mondiale. Il n’y avait que quatre journalistes. Vous pensez que ces personnes ne souffrent pas ? Qu’il ne faut pas se soucier d’eux ? »

Qui a laissé entendre ça ?

Absolument personne.

Une conférence de presse absurde, disais-je.

À l’image de cette Coupe du monde.

Lisez « Le grand malaise » d’Alexandre Pratt