Maxime Crépeau s’apprêtait à monter dans l’ambulance lorsqu’il a entendu la liesse. L’éclat de joie de plus de 20 000 partisans du LAFC, célébrant en chœur le but de Gareth Bale, à la toute fin de la prolongation de la finale de la Coupe MLS, il y a 10 jours.

« Je pensais que c’était 3-2 et qu’on avait gagné ! Je n’étais pas au courant que Philadelphie avait marqué avant », me confie au téléphone, de Los Angeles, le gardien de but québécois.

Crépeau, sorti sur civière 20 minutes plus tôt, avait courageusement stoppé dans son élan un attaquant de l’Union qui filait vers son but, après une mauvaise passe en retrait d’un de ses défenseurs. Le duel lui a coûté non seulement un carton rouge, mais aussi une fracture à la jambe droite et une participation à la Coupe du monde au Qatar.

« Dès que je suis entré dans l’ambulance, j’ai réalisé qu’il n’y aurait pas de Coupe du monde pour moi ; que c’était terminé. J’ai braillé ma vie, comme on dit… »

Crépeau était avec sa femme Cristina, qu’il connaît depuis qu’ils ont 12 ans (ils jouaient pour le club de soccer du Roussillon, sur la Rive-Sud de Montréal). En couple depuis 10 ans, ils sont parents d’une petite fille d’un an et demi. Les parents et les beaux-parents du joueur l’ont aussi rejoint à sa sortie du terrain, avant qu’il ne se rende à l’hôpital.

La dernière et seule fois que le Canada s’est qualifié pour une Coupe du monde, Maxime Crépeau n’était pas né. Cette compétition, il en rêvait depuis l’enfance, sur les terrains de soccer de Candiac, où il a grandi, dans les sélections nationales de son adolescence puis en équipe sénior, où sa place pour le Qatar était assurée… à 10 minutes de jeu près.

L’athlète de 28 ans a su dès le contact avec l’attaquant Cory Burke que sa jambe était fracturée. Ce qui ne l’a pas empêché, malgré la vive douleur, de se relever sur sa civière pour encourager ses coéquipiers et motiver la foule, tétanisée par la gravité de sa blessure. Un réflexe de pure adrénaline, dit-il.

« Je peux te dire que cinq minutes plus tard, ce n’était plus la même histoire ! La douleur était atroce. Mais j’ai voulu dire aux gars qu’il y avait un coup à jouer. On est à la maison, on a eu une année exceptionnelle, ce n’est pas un incident comme celui-là qui va faire en sorte qu’on va s’éteindre. Notre qualité, c’est d’avoir de gros noms, mais pas d’ego. Tout le monde est là pour le groupe et non pour soi-même. »

Crépeau était convaincu, dans son for intérieur, que ses coéquipiers allaient remporter cette finale rocambolesque, aux revirements spectaculaires, déjà inscrite dans les annales de la MLS. « C’est drôle, mais à la seconde où j’ai compris qu’on s’en allait aux tirs au but, j’ai su qu’on allait gagner le championnat. D’après moi, mes coéquipiers ont eu le même feeling. »

La route du stade Banc of California au Centre médical Kaiser Permanente Baldwin Park est longue, même en ambulance. Plus d’une demi-heure dans la congestion. « Je n’avais pas mon téléphone, mais Cristina avait le sien. On n’arrivait pas à trouver un stream du match. On rafraîchissait la page toutes les deux secondes, pour savoir comment se passait la séance de pénaltys. »

Le lendemain au réveil, à peine remis de son opération, encore sous l’effet des sédatifs, Maxime Crépeau a dit à son médecin qu’il voulait se rendre à la fête donnée en l’honneur de son équipe. « Il m’a dit : “T’es malade !” », raconte-t-il. C’est finalement Cristina qui a livré pour lui sur scène un message aux supporters, alors qu’ils scandaient son nom : « Crépeau ! Crépeau ! Crépeau ! »

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La femme de Maxime Crépeau, Cristina Dagenais (au centre), lors de la fête des champions de la Coupe MLS

J’ai trouvé ça très émouvant. C’était l’idée du club d’impliquer ma femme, mes parents et mes beaux-parents dans ce défilé. J’en suis très reconnaissant. C’est vraiment un beau geste.

Maxime Crépeau

Sans regret

Non, rien de rien, le gardien ne regrette rien. Pas d’angoisse d’avoir raté les pénaltys ni la Coupe du monde. Si c’était à refaire, Crépeau s’élancerait de nouveau hors de sa surface de réparation en finale de la Coupe de la MLS, par pur instinct, pour tenter de neutraliser son adversaire. Même si ce tacle mal synchronisé lui a coûté son Mondial.

Ses coéquipiers le savent, les amateurs de soccer aussi : Maxime Crépeau est un guerrier qui laisse tout sur le terrain. Toujours prêt à se sacrifier pour son équipe. Il ne connaît pas la demi-mesure et ne craint pas le risque, malgré ses périls.

C’est ce qui l’a décidé, à 24 ans, à quitter l’Impact de Montréal, où il avait été formé dès ses 15 ans, où il a signé son premier contrat professionnel à 18 ans, et où il se préparait à prendre le relais de son mentor Evan Bush (avec qui il échange toujours régulièrement), pour partir en prêt au Fury d’Ottawa, en USL.

« J’ai toujours parié sur moi-même. C’est la seule façon d’avoir un peu de contrôle sur mon avenir », rappelle Crépeau, qui se dit reconnaissant envers Rémi Garde, ancien entraîneur de l’Impact, de lui avoir donné l’heure juste à son arrivée au club. « Je me suis assis 15 minutes avec lui, je ne l’ai vu qu’une seule fois, et il m’a dit que je ne cadrais pas dans ses plans. Je lui ai dit “Merci beaucoup” et j’ai demandé à être échangé. »

Maxime Crépeau, il faut dire, a l’habitude de remporter ses paris et de faire mentir ses détracteurs. Nommé gardien de l’année en USL en 2018, il s’est imposé comme l’un des meilleurs portiers de la MLS pendant les trois saisons suivantes avec les Whitecaps de Vancouver, avant de forcer une nouvelle transaction en janvier dernier et de connaître une saison de rêve avec le LAFC, champion de la saison et des séries.

PHOTO KIRBY LEE, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Maxime Crépeau

Même si le rêve a, en quelque sorte, viré au cauchemar. Le Québécois le dit sans ambages, il n’a toujours pas fait son deuil du Mondial. Et l’annonce officielle de la sélection canadienne, dimanche, a ravivé cette blessure.

J’accepte ma fracture à la jambe. Je crois que rien n’arrive pour rien. J’ai aidé mon équipe à gagner son premier titre en MLS. Si je n’étais pas sorti, le scénario n’aurait peut-être pas été le même. Mais il y a une partie de moi qui n’a pas encore accepté que je vais rater la Coupe du monde.

Maxime Crépeau

La première des 15 sélections de Maxime Crépeau en équipe nationale date de 2014, mais la plupart des matchs auxquels il a participé se sont déroulés dans les deux dernières années. Il était déjà établi que Milan Borjan, dont le Québécois est la doublure depuis des années, serait le gardien titulaire des Rouges au Qatar. Mais c’est Crépeau qui, en son absence, a mené le Canada jusqu’à la demi-finale de la Gold Cup en 2021.

Le gardien québécois a grandement contribué à la qualification historique du Canada, inespérée il y a deux ans. Son leadership, son professionnalisme et sa bonhomie en font un élément essentiel du groupe, selon Samuel Piette, qui a regretté l’absence de son ami dans une vidéo diffusée en début de semaine.

« Ça m’a beaucoup touché, confie Maxime Crépeau. Sam et moi, on se connaît depuis qu’on a 13 ans. On a fait toutes les équipes du Québec et les sélections nationales ensemble. Nos parents sont proches aussi grâce à ça. »

Les deux Québécois ont participé à la Coupe du monde U-17 en 2011 au Mexique… où Crépeau s’est blessé à un genou face à l’Uruguay. « C’était ma première de trois blessures importantes. J’ai aussi subi une fracture du pouce à ma deuxième saison avec Vancouver. »

Sa convalescence et sa réadaptation, qui pourraient durer plusieurs mois, auront lieu essentiellement en Californie. Il ne pourra malheureusement pas se rendre au Qatar soutenir en personne ses coéquipiers, comme il l’aurait souhaité. Ce sont les ordres du médecin.

« Ce n’est que partie remise ! On se retrouve chez nous dans quatre ans », lui a dit Samuel Piette, en évoquant la Coupe du monde de 2026, pour laquelle le Canada est qualifié d’office à titre de pays hôte (avec le Mexique et les États-Unis). Maxime Crépeau n’aura que 32 ans. Je lui rappelle que c’est la fleur de l’âge pour un gardien de but.

« C’est vrai, 32 ans, c’est le pic pour un gardien. Je peux me dire que la prochaine Coupe du monde sera chez nous. Mais c’est tellement loin ! Je vais vivre celle-là maintenant. Ensuite, on va embarquer sur la prochaine. Mais je veux vivre celle-là en premier. »

Au cours du prochain mois, entre ses séances de physiothérapie, il sera chez lui, « sur le sofa », son maillot du Canada sur le dos, encourageant ses amis. « Ce qui est particulier, c’est que plus je vieillis, plus j’ai eu des coéquipiers qui jouent pour différentes équipes nationales. Il y en a qui jouent pour la Corée du Sud, pour l’Équateur, pour le pays de Galles, pour les États-Unis… Mais je serai surtout derrière mes gars ! »