Commençons par une prédiction. L’un des 26 joueurs sélectionnés dimanche pour représenter le Canada au Qatar, la semaine prochaine, fera ce qu’aucun porte-étendard canadien n’a fait en 92 ans d’histoire de la Coupe du monde de soccer. Il va inscrire un but.

Est-ce que ce sera Jonathan David, l’un des meilleurs buteurs de la Ligue 1 française ? Alphonso Davies, la grande vedette de cette sélection nationale et du Bayern Munich ? Cyle Larin, buteur le plus prolifique de l’histoire de l’équipe nationale ? Ou encore Ismaël Koné, la « pépite » du CF Montréal, que l’Europe convoite pour janvier ? On verra bien.

Enchaînons avec une deuxième prédiction : le Canada ne se qualifiera pas pour la phase éliminatoire de ce Mondial. Mais peut-être que l’équipe nationale arrachera son premier point en Coupe du monde, 36 ans après sa seule et unique participation au plus important tournoi sportif de la planète.

Sur papier, le Canada est évidemment moins intimidant que ses adversaires du groupe F : la Belgique, la Croatie — respectivement troisième et vice-championne de la dernière Coupe du monde en Russie —, voire le Maroc, dont plusieurs joueurs évoluent dans les grands championnats européens (parmi lesquels le gardien de but du FC Séville Yassine Bounou, né à Montréal).

Il reste que les Rouges, éternels négligés, se sont fait une spécialité de défier les pronostics (que je me le tienne pour dit).

Non seulement on ne s’attendait pas à ce que les Canadiens finissent au premier rang de leur groupe de qualification pour le Mondial qatari, mais il était loin d’être assuré, il y a deux ans, que le Canada se qualifierait même pour disputer la ronde finale de qualification de la CONCACAF (le fameux « Octogone »).

Dans le groupe des 26 annoncé dimanche, il y a six joueurs du CF Montréal, ce qui témoigne de l’exceptionnelle saison du onze montréalais. Il y a à peine deux ans, Ismaël Koné jouait au soccer pour le CS Saint-Laurent, un club amateur de Montréal. Vendredi, il a inscrit son premier but international, splendide, en match amical contre Bahreïn.

Il y a trois ans, Alistair Johnston, qui a fait ses premiers pas au soccer avec Lakeshore, dans l’ouest de l’île de Montréal, jouait dans un club semi-pro de l’Ontario, le Vaughan FC, comme son « grand frère » Kamal Miller avant lui. « Nous serons sans peur au Qatar. Nous sommes négligés et cela nous convient parfaitement », a-t-il déclaré à un confrère de TSN, dimanche, en direct de Doha.

Il y a quelques mois, un autre ancien de Lakeshore (mon club de jeunesse, en toute transparence), James Pantemis, n’était pas encore le gardien titulaire du CF Montréal. Il s’est taillé une place en équipe nationale en raison de la fracture à une jambe de Maxime Crépeau, en finale de la MLS Cup, il y a 10 jours.

En 2019, Joel Waterman jouait en Première Ligue canadienne. Il a été titularisé en équipe nationale pour la première fois il y a trois jours, face à Bahreïn, après le forfait sur blessure pendant le réchauffement du vétéran Doneil Henry, qui ratera le Mondial.

« Annoncer la nouvelle à un gars comme Joel Waterman, qui bûche depuis quatre ans, c’est une belle histoire canadienne. Il s’est fait dire plusieurs fois que ça ne fonctionnerait pas pour lui [dans le soccer professionnel]. Il était au cœur de ce que Montréal a réussi à faire cette saison », rappelait dimanche à TSN le sélectionneur de l’équipe du Canada, John Herdman.

« Je suis un petit gars de Repentigny. C’est quoi, les chances ? », me disait Samuel Piette en entrevue, il y a un an, en parlant de sa potentielle et théorique participation à la Coupe du monde. Le capitaine du CF Montréal, qui a eu 28 ans samedi, joue en équipe nationale depuis l’âge de 17 ans. « Quand on dit que les rêves deviennent des réalités, c’est pas mal ça ! »

Il fallait les voir tous, dimanche sur les réseaux sociaux, prendre la mesure du chemin parcouru, pour eux personnellement et pour l’équipe canadienne, passée du 122e au 41e rang mondial, selon le classement, forcément arbitraire, de la FIFA. Arbitraire, comme tout ce qui vient du reste de la FIFA, à commencer par cette Coupe du monde scandaleusement attribuée il y a 12 ans au Qatar, pays misogyne, homophobe et liberticide.

On n’en voudra pas aux joueurs canadiens, qui n’ont rien à voir là-dedans, de se réjouir de réaliser le rêve de participer à la plus grande compétition de leur sport.

Un seul, le capitaine Atiba Hutchinson, 39 ans, était né la dernière fois que le Canada s’est qualifié pour une Coupe du monde, en 1986, au Mexique. J’ai 10 ans de plus et je m’en souviens comme si c’était hier…

L’attaquant Liam Miller a pleuré à chaudes larmes en apprenant la nouvelle de sa sélection à ses parents, dimanche matin. La grande vedette de l’équipe nationale, Alphonso Davies, né dans un camp de réfugiés libériens du Ghana, a écrit sur Twitter : « Un enfant né dans un camp de réfugiés n’était pas censé se retrouver ici ! Mais nous y voici. NOUS ALLONS À LA COUPE DU MONDE ! Ne laissez personne vous dire que vos rêves sont irréalistes. CONTINUEZ DE RÊVER, CONTINUEZ DE VOUS ACCOMPLIR ! »

Une dernière prédiction avant de finir. Le Brésil remportera cette Coupe du monde. Il est dû. Sa dernière victoire remonte à 2002, à Yokohama. J’y étais. L’Argentine, qui n’a pas perdu depuis 35 matchs, pourrait me faire mentir. Tout comme le Portugal, qualifié de justesse, qui a tout ce qu’il faut pour se rendre loin. Une finale Ronaldo-Messi ou le sacre de Neymar ? À moins que le Canada ne brouille les cartes… On s’en reparle dans le prochain mois.