Les tambours se sont tus. Les fumigènes se sont éteints. Les drapeaux ont cessé de flotter. Sur le terrain, Djordje Mihailovic, sanglotant, s’est réfugié dans les bras de Wilfried Nancy. Ismaël Koné, inconsolable, pleurait sur l’épaule de Laurent Ciman.

Cette fois, il n’y a pas eu de ralliement. Pas de remontada. Pas de miracle. Juste une défaite cruelle de 3-1. Ce revers a mis fin à une formidable saison, ainsi qu’au rêve d’une finale glaciale au stade Saputo, au cours de laquelle le CF Montréal aurait pu remporter son premier championnat de la MLS.

Les joueurs, les entraîneurs, les partisans, tous y ont cru. C’est pourquoi cette élimination a fait si mal. C’est pourquoi le dernier tour d’honneur, dimanche, fut si douloureux. Les joueurs se sont dispersés le long des tribunes. Kei Kamara est allé serrer des mains de partisans, près de l’Étoile du Nord. Koné, encore en pleurs, est allé retrouver des proches, près du banc des adversaires. Il n’y a pas eu de chant des joueurs, ni de danse.

C’était comme si un technicien, dans un spectacle rock, avait ouvert les lumières avant le rappel et demandé aux gens de rentrer à la maison. Tous auraient préféré que ça dure un peu plus longtemps. Surtout après une si belle saison, marquée autant par des réussites sur le terrain que par des retrouvailles entre le club et ses partisans.

Ce sera difficile de reproduire ces succès l’été prochain. Encore plus de les surpasser. Le meilleur joueur de la formation, Mihailovic, quittera Montréal dans les prochains jours pour les Pays-Bas. Il poursuivra sa carrière avec l’AZ Alkmaar. Le joueur désigné Victor Wanyama a également annoncé son départ. Le Québécois Koné, brillant dans le tournoi éliminatoire, a des ambitions européennes. Il ne résistera pas longtemps aux chants des sirènes.

Quatre autres joueurs canadiens du club sont en voie de participer à la prochaine Coupe du monde, au Qatar, où ils pourraient eux aussi tomber dans l’œil de recruteurs des grands championnats. Surtout Alistair Johnston, 24 ans, qui fut l’un des meilleurs joueurs défensifs de la MLS cette saison.

C’est un portrait doux-amer ?

C’est ça, la réalité d’un club formateur. Chaque année, l’effectif roule. L’objectif, c’est de faire une place aux académiciens et d’acquérir des joueurs à bas prix, dans l’espoir de les revendre à profit. Plus un club parvient à le faire, plus il améliore sa réputation auprès des joueurs prometteurs. Le souhait des clubs formateurs, c’est de créer un cercle vertueux.

Au cours des dernières années, le club a excellé dans son recrutement en MLS et, de façon globale, en Amérique du Nord. C’est là qu’il a trouvé Djordje Mihailovic, Kamal Miller, Alistair Johnston, Ismaël Koné, Joel Waterman, Mathieu Choinière et Romell Quioto. Kei Kamara a été rapatrié de la Finlande, mais il était auparavant une ancienne vedette de la MLS.

À l’opposé, le recrutement à l’étranger fut moins efficace. Oui, Victor Wanyama s’est distingué cette saison. Mais Ahmed Hamdi, Bjorn Johnsen, Sunusi Ibrahim, Matko Miljevic et Róbert Thorkelsson ont moins contribué aux succès de l’équipe. J’ai hâte de voir quelle stratégie adoptera Olivier Renard, cet hiver. J’espère que les propriétaires du club lui permettront d’utiliser une partie de la somme obtenue dans le transfert de Mihailovic pour lui trouver un remplaçant de qualité.

Mais le dossier le plus important de la saison morte, ce sera le renouvellement de contrat de l’entraîneur-chef Wilfried Nancy. Si le club a surpassé les attentes cette année, c’est beaucoup grâce à lui. C’est un brillant tacticien, respecté par ses pairs, aimé par les joueurs et adoré par les partisans. Il a le potentiel de devenir pour le CF Montréal ce que Felipe Alou fut pour les Expos : un leader compétent, efficace et sympathique.

Souhaitons seulement que Joey Saputo porte Wilfried Nancy en aussi haute estime. Ce dont je doute.

Le propriétaire du CF Montréal ne s’est jamais prononcé publiquement sur un incident survenu après une défaite à domicile contre le Sporting de Kansas City, à la mi-juillet. Mon collègue Jean-François Téotonio avait vu Saputo manifester bruyamment son mécontentement envers Nancy, devant le président Gabriel Gervais.

Quelques jours plus tard, Nancy avait commenté ainsi la situation : « Je suis au club depuis longtemps. J’ai vu plein de choses. Chaque leader gère sa compagnie comme il le souhaite. Je n’ai aucun problème avec ça. Par contre, j’ai des valeurs auxquelles je ne dérogerai jamais. »

Normalement, après ses succès obtenus cette saison, l’équipe aurait dû déjà se prévaloir de l’option pour la saison 2023 prévue dans son contrat. Or, rien n’a encore été annoncé. Dimanche, un journaliste lui a demandé s’il avait dirigé son dernier match à la tête du CF Montréal. « Wow, a répondu Nancy. Laisse-moi l’apprécier. Je viens de faire un match. On vient de s’éclater. Du coup, qu’on parle du match et qu’on ne parle pas de ma situation. Merci. »

Ça vous rassure ?

Moi non plus.

Depuis 10 ans, le stade Saputo est un cimetière pour entraîneurs. Nancy mérite de rester en poste plus longtemps que ses prédécesseurs. Pourquoi attendre si longtemps avant d’annoncer son retour ?

Perdre un homme de si grande valeur en plein cœur d’un cycle aussi prometteur serait inexcusable.