C’était pendant les journées chaudes des vacances, fin juillet. Aaron Judge frappait des circuits comme je mange des Skittles – sans s’arrêter.

Quatre contre les Royals. Trois contre les Orioles. Un contre les Mets. Un autre contre les Astros. Tout ça en seulement 10 jours. Phénoménal. À la maison, le cogneur des Yankees de New York est devenu un sujet de conversation au déjeuner, au dîner, au souper et même sur l’oreiller, jusqu’à ce que mon amoureuse me rappelle notre entente prénuptiale, déjà évoquée dans cette chronique.

« On ne parle plus de baseball après 22 h. »

Oui, mais chérie, les Yankees jouent à Houston ce soir. Le match commence une heure plus tard, quand même.

Psitt. Dors-tu ? Judge est rendu à deux circuits.

Six points produits.

Nos enfants étaient plus enthousiastes. Ils ont dépoussiéré leur jeu MLB : The Show. Ils se sont mis à regarder les matchs des Yankees à la télévision. Puis l’idée fut lancée : et si on allait voir jouer Aaron Judge en personne, à New York ?

Les billets n’étaient pas chers. 15 $ chacun, au balcon. Deux jours plus tard, nous laissions l’auto à Albany, prenions le train jusqu’à Manhattan, puis le métro jusque dans le Bronx. En route, j’essayais de me souvenir si j’étais déjà allé à l’étranger pour voir un athlète bien précis.

Non.

C’était la première fois.

PHOTO JOE NICHOLSON, USA TODAY SPORTS

Aaron Judge

Nous étions assis haut. Très haut. Mais même si loin de l’action, Aaron Judge est immanquable. C’est Hulk, dans un pyjama rayé bleu et blanc. Six pieds, sept pouces, 282 livres. Des chaussures de taille 17. Entre ses mains, son bâton a l’air d’un cure-dent. Il impose le respect. Non. Plus que ça. Il incarne le respect.

Comment l’affronter ?

En lançant en périphérie de la zone des prises. Or, les bras de Judge couvrent pas mal de territoire. Les lanceurs doivent donc viser encore plus loin, s’ils ne veulent pas être la prochaine victime de son élan ravageur. C’est ce qui s’est produit le premier soir de notre séjour à New York. Les Mariners lui ont concédé trois buts sur balles.

Sa domination me rappelle celle d’un autre frappeur de puissance, que j’ai eu la chance de couvrir au début de ma carrière : Barry Bonds. En 2001, Bonds a battu le record de circuits en une saison, avec 73. Le même été, il a aussi pulvérisé la marque des buts sur balles, avec 177. Attendez, le meilleur s’en vient. En 2004, Bonds a reçu 232 buts sur balles – dont 120 intentionnels. Aucun autre joueur, dans l’histoire, n’a reçu plus de 45 buts sur balles intentionnels dans une saison !

Pas de doute, Barry Bonds était plus dominant qu’Aaron Judge. Sauf que le voltigeur des Giants de San Francisco a été impliqué dans le scandale de dopage du laboratoire BALCO. Judge, lui, ne fait l’objet d’aucun soupçon. Sa force, jusqu’à preuve du contraire, n’est pas due à un onguent magique, mais à un entraînement rigoureux et une hérédité extrêmement avantageuse.

Ça explique en partie pourquoi les amateurs de baseball sont fascinés par sa chasse aux meilleurs frappeurs de l’histoire. Jeudi soir, Judge était rendu à 60 circuits. La marque mythique de Babe Ruth. Prochaine étape : les records des Yankees, de la Ligue américaine et des joueurs propres, détenus par Roger Maris (61). Après ? Il ne restera que trois joueurs, tous soupçonnés ou convaincus de dopage : Sammy Sosa (64), Mark McGwire (70) et Bonds (73).

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Roger Maris regarde la balle de son 61e circuit traverser la clôture.

Peut-il les rattraper dans les deux dernières semaines ?

Je ne miserai pas contre lui.

* * *

Une chance pour le baseball majeur qu’Aaron Judge est en feu. Le voltigeur des Yankees représente la seule étincelle d’une fin de saison autrement ennuyante.

Onze des douze clubs qui participeront aux séries sont déjà connus. Du moins, leurs chances de se qualifier sont supérieures à 95 %, selon FanGraphs. Donc au cours des prochains jours, nous aurons droit à une centaine de parties sans enjeu pour les partisans locaux. C’est plate.

Le pire ? C’était archiprévisible. J’ai ressorti mes prédictions du début de la saison. J’avais presque tout bon. J’ai même deviné l’ordre exact de tous les clubs dans trois divisions.

Je n’écris pas ça pour me vanter. Bon, d’accord, un peu. Or, la réalité, c’est que le baseball est maintenant divisé en deux groupes : les très bons clubs, et les très mauvais. Entre les deux, la classe moyenne rétrécit.

Équipes par taux de victoires

  • Plus de 55 % : 10
  • Entre 50 % et 55 % : 5
  • Entre 45 % et 50 % : 4
  • Moins de 45 % : 11

C’est en partie dû aux disparités économiques, plus importantes dans le baseball majeur que dans les ligues avec des plafonds salariaux plus contraignants. Mais il y a un autre coupable : le mirage de la reconstruction. Près de la moitié des organisations sont engagées dans ce processus.

Le problème ?

La compétition dans la cave du classement est tellement forte qu’avoir un club exécrable ne vous garantit plus un choix au repêchage parmi les trois premiers. Alors, les derniers de classe font du surplace. Les Royals de Kansas City et les Pirates de Pittsburgh rateront les séries pour la septième saison d’affilée. Les Tigers de Detroit et les Angels de Los Angeles ? Pour la huitième fois de suite. Les Mariners, eux, retourneront dans les éliminatoires, après une absence de… 20 ans.

Le clivage a toutefois ceci de bon que les clubs d’élite, eux, sont vraiment excitants. Vivement octobre. Vivement les séries. Vivement les duels épiques, soir après soir.

J’ai hâte !

Et chérie, si Aaron Judge frappe un grand chelem gagnant passé 22 h, veux-tu que je te réveille ?