Tous les patrons le confirmeront : les premiers mois comme gestionnaire sont déroutants. On observe. On doute. On se pose des questions. Beaucoup de questions.

Quelle est ma place ? Ai-je le bon ton ? Suis-je trop autoritaire ? Pas assez ?

C’est la phase dans laquelle se trouve Martin St-Louis. Depuis février, l’entraîneur-chef du Canadien est lui aussi un patron. Une première dans son parcours. Le voilà qui découvre les hauts et les bas de la vie de boss.

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Et comment ça se passe ?

« Je ne me vois pas comme un boss, honnêtement. »

Une confidence étonnante. Surtout que ce furent ses tout premiers mots de notre entrevue éditoriale. Par expérience, les entraîneurs-chefs préfèrent plutôt souligner qu’ils sont les maîtres à bord. Je me souviens d’un gérant des Expos qui s’était présenté au camp habillé en général d’armée. J’ai aussi connu des entraîneurs qui ont profité de rencontres comme celle-ci pour établir un rapport de force avec leur propre patron. Martin St-Louis n’est pas sorti du même moule.

Je prends soin du monde qui prend soin de l’équipe. Je ne me vois pas comme le boss, auquel tout le monde répond.

Martin St-Louis

Les entraîneurs-chefs ne pensent pas tous comme lui, lui fait-on remarquer. Il le sait. Lorsqu’il était joueur dans la LNH, raconte-t-il, il aimait présenter ses idées à ses coachs. « Il y a des entraîneurs plus ouverts que d’autres. » Lui a choisi son camp. « Il faut être ouvert. Je ne suis pas un dictateur. Les réponses sont partout. Il faut juste les trouver. Tu les trouves plus facilement [en groupe] que tout seul. Si tu peux mettre plus de têtes, plus d’opinions ensemble, tu peux couvrir plus d’angles morts. »

Sa gestion avec le Canadien sera donc décentralisée. Une approche courageuse, qui se démarque de celles de nombreux gestionnaires recrues, portés vers la microgestion.

« On a chacun des responsabilités. Les unités spéciales, je délègue ça. Après, ce n’est pas comme si je n’avais pas mon mot à dire. Mon opinion compte. Mais c’est important de responsabiliser le monde autour de toi. Si c’est toi qui diriges tout, et que [tes instructeurs] sont tous des robots, ils ne grandissent pas comme coachs. Je n’aime pas dire : toi, tu t’occupes de ça, toi de ça, et après, on est tous dans notre coin. »

* * *

Martin St-Louis est arrivé dans la Ligue nationale au tournant du siècle. À l’époque, il y avait moins d’entraîneurs. Lorsque le Lightning de Tampa Bay a gagné la Coupe Stanley en 2004, St-Louis n’avait que deux instructeurs : John Tortorella et Craig Ramsay. Aujourd’hui, la plupart des équipes en ont au moins quatre. Forcément, les tâches d’un entraîneur-chef ont évolué.

« Avoir plus de coachs, ça aide beaucoup. Surtout avec l’importance du développement des joueurs. Quand j’ai commencé à jouer dans la Ligue, les entraîneurs ne se concentraient pas sur le développement. Tu arrivais dans la LNH, et tu étais un produit fini. Si le produit n’était pas bon, les coachs passaient à quelqu’un d’autre. Ils n’étaient pas patients, sauf si tu étais un premier choix au repêchage. Ça a beaucoup changé. »

Et comment. Au tournoi de golf du Canadien, la semaine dernière, les dirigeants du Canadien ont martelé que le développement des espoirs était la priorité de l’organisation. Ça implique que St-Louis devra travailler avec plusieurs jeunes de moins de 25 ans. Des Z, avec lesquels bon nombre d’entraîneurs n’ont aucun atome crochu.

St-Louis, lui, connaît bien les jeunes de cette génération. Ses fils ont 19, 17 et 14 ans. Il sait que les nouveaux joueurs ont des exigences élevées envers leurs entraîneurs. Il estime être bien outillé pour travailler avec eux.

« Notre génération, on suivait. On prenait des ordres, à la maison comme au hockey. On ne demandait pas pourquoi. Maintenant, les jeunes veulent savoir pourquoi on fait ça comme ça. »

Comme entraîneur, je suis dans la business de convaincre mes joueurs. Je suis un peu un vendeur.

Martin St-Louis

Est-ce que ça le dérange ?

Pas du tout. Même qu’il s’en réjouit.

« On a évolué, dans notre société, au niveau de la communication. Dans le sport, c’est pareil. C’est mieux [qu’avant].

— Pourquoi ?

— Parce qu’il y a beaucoup plus d’attention portée aux sentiments. On parle de santé mentale. Quand tu [tiens compte] des sentiments, les joueurs savent que tu viens d’une bonne place. »

À l’écouter, Martin St-Louis sonne comme un entraîneur qui souhaite rester proche de ses joueurs. Il y a une expression pour ça dans le jargon du hockey : un players’ coach. Certains gestionnaires perçoivent ça positivement. D’autres, non.

« En es-tu un ? », lui ai-je demandé.

Il n’a pas répondu sur-le-champ.

« Essaies-tu de prendre tes distances ?

— C’est sûr que je prends mes distances. Je suis proche d’eux autres quand je suis à l’aréna.

— Es-tu plus leur ami ou leur boss ? »

Il a pris 10 secondes pour mûrir sa réponse.

« Les joueurs savent que j’ai le marteau. Mais je ne suis pas un dictateur. Je pense que je suis un gars qui utilise mon grand bon sens, et ma propre expérience. Je coache mes joueurs comme j’aurais aimé être coaché. Tu me demandes si je suis leur ami ou leur boss… Tu peux avoir de bonnes relations avec bien du monde, ça ne veut pas dire que ce sont tes amis. Tu es cordial. Tu es professionnel. Je suis là pour les aider. Mais pour les aider, ça prend la vérité, aussi… »

La vérité.

C’est un mot que Martin St-Louis a souvent répété, pendant notre entretien de 45 minutes. C’est une de ses valeurs « non négociables ». Les autres ? L’amour et une bonne communication. « Mes valeurs sont les mêmes ici qu’à la maison », explique-t-il.

Et c’est quoi, la vérité, dans le contexte d’une équipe de hockey ?

C’est se dire les vraies choses, même lorsque le message est difficile à entendre.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Martin St-Louis lors d’un entraînement du Canadien en mars dernier

« Une chose difficile, et je l’ai vécue, c’est lorsque tu annonces à un joueur qu’il ne joue pas. C’est plate pour lui. Tu peux avoir des choses positives à lui dire, ça reste difficile [à entendre] s’il ne joue pas. Il faut lui dire la vérité. La raison pour laquelle il ne joue pas. Avoir une perspective. Ça prend un plan pour qu’il n’arrête pas de progresser. […] Ce n’est pas quelque chose de plaisant à faire. Ce n’est pas facile. C’est souvent délicat. Ce n’est pas une [partie de la] job que j’adore, mais c’est une job importante. »

Martin St-Louis affirme prendre son travail au sérieux – et ça paraît. J’ai rarement croisé un gestionnaire recrue aussi mature dans le monde du sport. Sa réflexion sur son rôle d’entraîneur-chef est avancée. Terminée ? Non. St-Louis rappelle avec justesse qu’il n’a passé que trois mois derrière le banc. Il n’a pas fini d’apprendre ni de définir son style comme entraîneur-chef.

Un de ses projets ? « Bâtir des relations avec chaque joueur. » Plus facile à dire qu’à faire. Des joueurs ont commencé à se tourner vers lui, dit-il, mais seulement « un petit peu ». « Il y a des joueurs plus introvertis. D’autres sont plus extravertis. Je dois faire attention pour ne pas avoir des relations qu’avec les extravertis. Les introvertis, faut que j’aille les chercher un peu plus.

« Une fois que tu bâtis ça, tu as leur confiance. Après, il y a beaucoup plus de dialogue. Je suis encore dans ce processus de développer ces relations. »