Les joueurs et entraîneurs du Canadien doivent-ils parler le français ?

La question est revenue dans l’actualité, cette semaine, après la nomination de Nick Suzuki comme capitaine. L’attaquant du Tricolore, qui a acquis des bases de français à l’école secondaire, suit des leçons depuis l’été pour mieux le parler. Une belle marque de respect pour le public francophone.

Comme je me suis souvent prononcé sur le sujet, je ne referai pas le débat pour une quarante-douzième fois. Par contre, il y a un mythe tenace qui mérite d’être déconstruit. Celui selon lequel le débat sur la langue est unique à Montréal.

Mamma Mia !

Par où commencer ?

Par ici. C’est vrai que dans les autres marchés de la Ligue nationale, la langue n’est pas un souci. La raison est fort simple : le hockey est un sport pratiqué en large majorité par des anglophones, dans des marchés anglophones. Même dans la LHJMQ, la langue de travail est l’anglais, pour préparer les joueurs francophones et européens à une carrière dans une ville anglophone.

Mais dans les sports plus diversifiés, le soccer notamment, la langue des joueurs et des entraîneurs est souvent un sujet d’actualité. Autant pour des raisons pratiques que politiques.

Au FC Barcelone, il est attendu que les vedettes du club parlent un minimum le catalan. C’était d’ailleurs écrit noir sur blanc, dans le contrat de Neymar. « [Il] doit faire un grand effort pour s’intégrer dans la société catalane, pour respecter et assumer les valeurs culturelles, en particulier en apprenant le catalan, un vecteur fondamental pour l’intégration. »

Le Bayern Munich a aussi des attentes envers ses joueurs. « La principale langue dans le vestiaire devrait être l’allemand », a décrété le président du club, en 2017. « Ce n’est pas une bonne chose si vous ne pouvez pas prendre part aux conversations. Si tu veux t’intégrer dans un club, tu dois apprendre la langue. Sinon, c’est un signal que tu utilises seulement l’équipe comme un tremplin [pour ta carrière]. On n’y a pas accordé assez d’importance ces derniers temps. »

Puis Uli Hoeness a ajouté : « Ça devrait être une règle que les joueurs parlent allemand. Sinon, ils doivent payer. »

Pep Guardiola l’avait bien compris. Avant de rejoindre le Bayern comme entraîneur-chef, en 2013, il avait suivi des cours d’allemand. Trois heures par jour, pendant des mois. « Après deux mois, a-t-il raconté à la BBC, je me suis dit : je vais les rappeler, et rompre mon contrat. Même pour les enfants, c’est une langue difficile à apprendre. Pouvez-vous imaginer ce que ça représente pour un homme de 41 ans ? Mais je suis têtu. »

Lorsqu’il s’est présenté à sa première conférence de presse, il parlait l’allemand. Très bien, même. Au point de glisser des mots compliqués, comme herausforderung (défi), raconte son biographe Martí Perarnau, dans Pep Confidential. « La presse allemande a fait tout un plat de sa maîtrise de la langue », souligne-t-il.

Le successeur de Pep Guardiola à Munich, l’Italien Carlo Ancelotti, a dirigé des équipes dans cinq pays différents. Partout, il a appris la langue locale. « Je veux parler la langue du pays. C’est très important. Si vous ne le faites pas, ça peut passer pour un manque de professionnalisme », a-t-il dit à son arrivée au Bayern.

Ancelotti a approfondi sa réflexion dans son autobiographie, Quiet Leadership.

Je ne comprends pas un joueur qui vient dans un pays et qui, après deux ans, est incapable d’apprendre la langue. Six mois, ça devrait être le maximum. Si un vieil homme comme moi peut le faire, les joueurs devraient être capables eux aussi. Je pense que ça devrait être inscrit dans leur contrat.

Carlo Ancelotti, entraîneur-chef du Bayern Munich

En 2013, 13 joueurs étrangers sont arrivés en même temps au club anglais de Sunderland. Parmi eux, plusieurs ne parlaient pas l’anglais. « Ça me rend fou », s’était exclamé leur entraîneur, l’Italien Paulo Di Canio. Ici, l’enjeu était moins identitaire que pratico-pratique. « Lorsqu’un joueur britannique leur dit : “Fais ceci”, le Français ou l’Italien ne comprennent pas. Je dois arrêter la séance. Je leur demande d’apprendre quelques mots de base. S’ils me disent ces mots dans une autre langue, j’arrête. Il faut se battre contre ça tous les jours. [...] S’ils ont décidé de venir jouer en Angleterre, ils doivent parler anglais. »

Son compatriote Fabio Capello parlait justement très mal l’anglais lorsqu’il est devenu l’entraîneur-chef de l’équipe nationale d’Angleterre, de 2007 à 2012. Devinez quoi ? Il n’était le favori de personne. Surtout pas des médias britanniques, qui lui ont fortement reproché de ne pas maîtriser la langue du pays.

« Après avoir été payé 24 millions de livres au cours des quatre dernières années, vous auriez pu penser que Fabio Capello aurait appris la langue. Mais il n’a même pas été capable de le faire », s’était plaint un chroniqueur du Sun. « On pouvait voir que son cœur n’y était jamais. Il n’a jamais compris la culture footballistique anglaise. D’ailleurs, il n’a même jamais compris la langue anglaise », avait déploré un chroniqueur du Times.

Lorsque Antonio Valencia fut nommé capitaine de Manchester United, il ne parlait pas l’anglais. Huit ans après son arrivée dans la ville, c’était toujours le cas. Son entraîneur, Louis van Gaal, lui avait ordonné, ainsi qu’à tous les autres joueurs espagnols de l’équipe, d’apprendre l’anglais.

Alan Pardew, ancien coach à Newcastle United, avait lui aussi forcé ses joueurs à parler l’anglais. C’était en 2013. Cette année-là, son club misait sur 11 francophones – l’équivalent d’une formation complète. Bien sûr, avec un tel poids au sein de l’équipe, ces footballeurs parlaient français entre eux. « Ils devront apprendre l’anglais, avait clamé Pardew, sans quoi ils devront faire face à des punitions. » Lire des amendes. « Je ne leur dirai pas un seul mot en français. Même pas oui. Mon travail, c’est de les intégrer, et la façon de le faire, c’est de leur faire parler en anglais le plus rapidement possible. »

Les Blue Jays de Toronto ont quant à eux demandé à Vladimir Guerrero Jr d’améliorer son anglais, en 2019, afin qu’il devienne « un futur leader de l’équipe dans tous les aspects de la partie ».

Donc non, il n’y a pas qu’à Montréal que la langue parlée par les joueurs et les entraîneurs fait partie de la conversation. Mon souhait ? Que ça devienne ici un sujet rassembleur, plutôt que clivant. Oui, c’est possible, comme l’a si bien expliqué l’entraîneur portugais José Mourinho au magazine GQ.

« Plus vous en savez en général, plus cela peut vous aider. Même si vous pensez que ces choses ne vous serviront pas. Comme entraîneur, il faut pouvoir parler le plus de langues possible. »

Lui-même en parle six.

« Regardez, je ne parle pas l’allemand. Mais je peux dire quelques mots. Et ces quelques mots, ils créent de l’empathie. Ça me permet d’entamer une relation. [...] Je peux me présenter dans une conférence de presse avec une sensibilité différente. Je peux répondre aux questions de façon plus intelligente. Chaque gramme de culture ou de connaissances que vous avez... ce n’est pas un fardeau. C’est un gramme de connaissances de plus. En fin de compte, ça jouera en votre faveur, et améliorera vos performances. »