Qui doit choisir le capitaine : les joueurs ou les patrons ?

Les patrons du Canadien ont décidé que ce serait eux-mêmes. Ils ont donc procédé à la nomination de Nick Suzuki, sans permettre à ses coéquipiers de voter.

Est-ce antidémocratique ?

Oui.

Est-ce contraire à la tradition de l’équipe ?

Itou. Mais c’était quand même la bonne décision à prendre. Car les élections, dans les vestiaires sportifs, sont parfois de fausses bonnes idées.

Souvenez-vous du vote pour le capitaine du Canadien en 1989. Guy Carbonneau et Chris Chelios avaient terminé à égalité, après deux tours de scrutin.

« Cette histoire n’a pas créé de guerre, mais elle a occasionné de petits froids entre les joueurs », avait expliqué Carbonneau, le jour de sa nomination. « Quand Bobby Smith a organisé le party de départ de Bob Gainey, quelques gars ont laissé entendre qu’il préparait sa campagne électorale en vue d’obtenir le poste. Des commentaires du genre ne sont pas agréables. »

Carbonneau reconnaissait alors avoir craint de telles réactions de ses coéquipiers. « J’ai discuté avec ma femme pendant trois jours avant de recevoir mes coéquipiers à un brunch. Nous jouions à la balle-molle en après-midi sur un terrain situé à deux pas de la maison. C’était naturel de recevoir le groupe. J’ai pourtant craint d’être accusé de soigner ma candidature. Finalement, tout le monde est venu. Je n’aurais pas aimé entendre dire que mon invitation avait été dictée par l’opportunisme. »

En 2015, le Canadien s’est de nouveau retrouvé dans une dynamique de campagne électorale. Quelques jours avant le vote, P.K. Subban a organisé une grande conférence de presse pour annoncer son intention d’amasser 10 millions de dollars pour la Fondation de l’Hôpital de Montréal pour enfants. Un geste hyper populaire auprès des partisans. Le public l’a plébiscité pour devenir capitaine du club. Deux jours plus tard, les coéquipiers de Subban lui préféraient Max Pacioretty comme capitaine. « Max a obtenu un vote majoritaire. Je n’entrerai pas dans les détails, mais disons qu’on n’a pas eu besoin de compter deux fois », avait commenté le directeur général Marc Bergevin.

Lorsque le vote est unanime, tout le monde se réjouit. Mais lorsque le résultat est serré, ça peut piquer l’orgueil. Qui a voté pour moi ? Contre moi ? Ça peut créer des failles. Ça peut encourager la formation de cliques.

J’ignore si la direction du Canadien anticipait une division du vote. Peu importe, elle a évité bien des problèmes en tranchant elle-même. C’est beaucoup moins douloureux d’être écarté par ses boss que par ses coéquipiers. Surtout pour un vétéran, qui a le sentiment d’être allé au front avec « ses boys ».

Ça explique en partie pourquoi les patrons préfèrent nommer eux-mêmes le capitaine. C’est une pratique courante, notamment lorsque des jeunes joueurs sont impliqués. Ce ne sont pas les coéquipiers de Gabriel Landeskog qui l’ont élu capitaine de l’Avalanche du Colorado, à 19 ans. Ce sont Joe Sakic et Joe Sacco. Ce sont les patrons des Penguins de Pittsburgh qui ont donné le C à Sidney Crosby, au même âge. C’est Jacques Demers qui a imposé Steve Yzerman, 21 ans, comme capitaine des Red Wings de Detroit. Même Derek Jeter, le grand capitaine des Yankees de New York, fut nommé par le propriétaire de l’équipe, et non élu par ses coéquipiers.

L’ancien entraîneur-chef de Manchester United, sir Alex Ferguson, choisissait lui aussi ses capitaines. Il comparait le rôle du capitaine à celui d’un chef de section dans une entreprise. « C’est la personne responsable de s’assurer que l’ordre du jour de l’organisation soit respecté », a-t-il expliqué dans un essai sur le leadership, matière qu’il a enseignée pendant plusieurs années à l’Université Harvard.

L’actuel entraîneur-chef du Canadien, Martin St-Louis, parle aussi en connaissance de cause. Il a longtemps fait partie du comité de leadership du Lightning de Tampa Bay, avant d’être nommé capitaine de l’équipe, en 2013. Selon lui, le capitaine doit être le choix de la direction. « On a eu des communications avec les joueurs, a-t-il indiqué lundi. À la fin de la journée, ce n’est pas un vote de popularité. »

Non, le Canadien n’est pas un régime démocratique. Comme la presque totalité des entreprises privées, d’ailleurs.

Maintenant, Nick Suzuki était-il le meilleur choix ?

Ah ! ça, c’est un autre débat. Possède-t-il toutes les qualités d’un bon capitaine ? Celles déterminées par le journaliste Sam Walker, qui a étudié les plus grandes franchises de l’histoire pour son livre The Captain Class ?

Je les ai déjà énumérées dans une chronique, mais comme c’était avant la pandémie, je vous pardonne volontiers l’oubli. Les revoici.

1. Un style de jeu agressif qui teste les limites des règles ;

2. Une volonté de réaliser le travail ingrat dans l’ombre ;

3. Un contrôle émotionnel ;

4. Un acharnement extrême en compétition ;

5. Une communication discrète et démocratique ;

6. Une capacité de motiver les autres sans parler ;

7. Le courage de se démarquer.

Relisez la chronique « Le secret des équipes championnes »

Nick Suzuki en possède plusieurs. Toutes ? Pas sûr que son style de jeu teste les limites des règles. Parmi ses coéquipiers, peut-être que Brendan Gallagher et Joel Edmundson cochent autant de cases. Sauf que leur rôle au sein de l’équipe n’est pas aussi important que celui de Suzuki, le meilleur joueur du club.

C’est un facteur dont il faut tenir compte. Milan Hejduk avait bien rendu compte de cette réalité lorsqu’il a remis son C à Gabriel Landeskog. « Le capitaine doit être quelqu’un avec un rôle significatif dans l’équipe. Probablement sur les deux premiers trios, ce qui n’était plus mon cas. C’est un peu bizarre de jouer sur la troisième ou la quatrième ligne, et d’être capitaine. Je ne me sentais pas bien. »

Dans les circonstances, Nick Suzuki était le meilleur choix.

Même si les joueurs n’ont pas voté.