Non, ce n’est pas une erreur d’impression. Les trois plus grandes vedettes du tennis masculin sont bel et bien absentes du tableau principal, cette semaine, à Montréal.

Roger Federer, blessé, est à l’écart du jeu depuis un an ; Rafael Nadal, aussi blessé, a déclaré forfait vendredi ; Novak Djokovic, non vacciné, ne peut pas entrer au Canada.

Une rare éclipse. Jamais, entre 2006 et 2020, les trois étoiles n’avaient raté un tournoi du Grand Chelem ou de la série des Masters en même temps. Mais depuis l’année dernière, c’est maintenant la sixième fois. Leurs corps craquent. Fléchissent. Se fissurent, comme les grands glaciers des Alpes, que l’on croyait résistants pour des siècles et des siècles.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Roger Federer

Les trois géants écartés, le chemin des victoires s’ouvre enfin pour les plus jeunes.

« Quand les trois grands sont là, on peut dire qu’ils sont favoris dès le départ. Ils gagnent beaucoup de tournois. Presque chaque fois qu’ils jouent, il n’y a pas de surprise », a reconnu Daniil Medvedev, lundi.

Avec raison. Depuis 2004, le trio a remporté 84 % des tournois du Grand Chelem et plus de 100 tournois de la série des Masters. Même Medvedev, pourtant numéro un mondial, n’a jamais vaincu Federer.

« J’ai battu Rafa une fois. Novak, quelques fois. La sensation est très particulière. On gagne beaucoup de confiance [dans ces victoires]. »

En l’absence des trois légendes, une nouvelle parité est en train de s’installer sur le circuit de l’ATP.

Ça vous réjouit ?

Pas moi.

Oui, il y a plus de finales Cendrillon qu’avant. Comme celle entre Cameron Norrie et Nikoloz Basilashvili à Indian Wells. Ou celle ayant opposé Stéfanos Tsitsipás à Alejandro Davidovich Fokina, récemment, à Monte-Carlo. Maintenant, qui parmi vous a modifié ses plans dominicaux pour regarder ces matchs à la télévision ?

Eh bien voilà.

Je préfère les grands rendez-vous. Une finale Federer-Djokovic, à Wimbledon. Un duel entre Nadal et Félix Auger-Aliassime, à Roland-Garros. Même si ce n’est pas à l’avantage du Québécois.

C’est en les voyant affronter les meilleurs de l’histoire qu’on peut le mieux juger du talent, du potentiel et de la force de caractère des jeunes joueurs.

J’aime les athlètes qui règnent sur leur sport. Usain Bolt. Tiger Woods. Michael Phelps. Serena Williams. Tom Brady.

J’aime les matchs ultimes impliquant les plus grands sportifs, dans les plus grandes équipes. Une finale de la Coupe Stanley avec Sidney Crosby. Une finale olympique avec Marie-Philip Poulin. Une Série mondiale avec les Yankees de New York. Une Coupe du monde avec Cristiano Ronaldo ou Lionel Messi.

J’aime le Canadien des années 1970. Les Bulls de Chicago des années 1990. Les Giants de San Francisco des années 2010.

J’aime les dynasties.

J’aime les athlètes qui récoltent des médailles olympiques à la douzaine.

J’aime les cyclistes qui collectionnent les victoires d’étape au Tour de France, comme si c’étaient des collants Panini.

J’aime les sportifs qui détiennent tous les records et qui s’accrochent quand même jusqu’à la quarantaine, pour améliorer leurs statistiques.

J’aime voir les plus grands triompher. Mais j’aime aussi les voir s’incliner. Ça les humanise. Ça magnifie aussi l’exploit du tombeur.

La victoire de Félix Auger-Aliassime face à Roger Federer, huitième tête de série à Halle au printemps 2021, a davantage marqué les esprits que celle face à Alexander Zverev, troisième tête de série, aux derniers Internationaux d’Australie.

« C’est une victoire incroyable ! », s’était exclamé Auger-Aliassime dans son entrevue d’après-match, après avoir battu Federer, son idole de jeunesse. « J’ai toujours pensé qu’il serait parti quand j’arriverais sur le circuit. Il gagnait des tournois du Grand Chelem quand j’avais 5 ans. Je n’avais jamais imaginé jouer contre lui. Je souhaitais devenir professionnel, mais je ne pensais jamais atteindre son niveau. Être maintenant sur le même terrain que lui et le battre, c’est un honneur pour moi. »

PHOTO KIRSTY WIGGLESWORTH, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Novak Djokovic

Ce sont ces jalons, ces étapes importantes, ces moments de grâce que nous perdrons lorsque les trois géants prendront leur retraite. Oh, je vous rassure, ce n’est pas pour demain. Nadal vient d’avoir 36 ans. Djokovic en a 35. Il leur reste encore des victoires dans les jambes. Je vous rappelle que Federer a remporté 15 titres individuels – dont trois du Grand Chelem – après son 35e anniversaire.

Sauf que leurs meilleures années sont derrière eux. Les trois joueront-ils encore dans deux ans ? Reviendront-ils à Montréal ? Rien de certain. C’est pourquoi on aurait aimé profiter des derniers rayons de soleil, cet été.

Après ? Ce ne sera pas la grande noirceur. De nouvelles étoiles brilleront. Pensez à Carlos Alcaraz. Stéfanos Tsitsipás. Casper Ruud. Félix Auger-Aliassime. Mais c’est possible que pendant la veillée, sur le bord du feu, nous soyons quelques-uns à nous souvenir avec nostalgie de l’âge d’or qui s’achève.

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    Nombre d’éditions des Internationaux de tennis du Canada remportées par Roger Federer, Rafael Nadal ou Novak Djokovic