Viendra-t-il ? Viendra-t-il pas ?

Et, question plus cruciale encore, veut-on vraiment qu’il vienne ? Après tout, il nous a envoyé quelques taloches au visage au fil des ans. Bon, c’est vrai qu’on n’a pas toujours été corrects avec lui. C’était quoi cette pathétique idée de huer son fils au tournoi pee-wee il y a quelques années ?

On ne devrait pas agir ainsi, c’est sûr. Mais il nous a tout de même provoqués en parlant de « Colisée de fanatisme » quand le Canadien junior, et son p’tit frère Henri, affrontaient nos Citadelles au début des années 1950. Mais, bon, le temps est peut-être venu de mettre tout cela derrière nous...

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Ces réflexions habitent plusieurs amateurs de sport de Québec en ce mois de juillet 1972. La possibilité que Maurice Richard devienne le premier entraîneur-chef des Nordiques est dans l’air depuis que Claude Larochelle, réputé chroniqueur du Soleil, a évoqué cette possibilité deux semaines plus tôt : « En dépit des problèmes que le bouillant et coloré Maurice Richard a pu avoir avec Québec dans le passé, certains appuient sa candidature et l’on songe à le sonder. »

Le Rocket derrière le banc, voilà qui renforcerait la crédibilité des Nordiques et de la toute nouvelle Association mondiale de hockey (AMH).

Richard est intrigué par l’idée lorsque Marius Fortier et Maurice Filion, deux dirigeants des Nordiques, le rencontrent à sa résidence de Montréal. Mais impossible pour le Rocket de faire abstraction de sa relation avec les gens de Québec.

PHOTO RÉAL ST-JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Maurice Richard, nouvel entraîneur-chef des Nordiques de Québec, et Maurice Fillion, directeur général de l’équipe, le 10 octobre 1972

Adulé aux quatre coins de la province, le Rocket sait très bien que cela est moins vrai dans la capitale. Toujours disponible pour appuyer une cause ou une autre, il refuse en revanche toute apparition publique à Québec depuis longtemps. Voilà pourquoi, avant d’accepter l’offre des Nordiques, il veut la certitude d’être bien accueilli.

Fortier, premier directeur général du club, a alors un flash : inviter le Rocket à effectuer le lancer protocolaire avant un match des Carnavals au Stade municipal de Québec.

Filiale des Expos dans la Ligue Eastern, les Carnavals jouent du solide baseball. De futurs Expos y feront leurs classes au fil des ans : Gary Carter, Ellis Valentine, Larry Parrish... Et le Stade municipal est un endroit agréable pour assister à un match.

Un plan est vite mis sur pied. On soulignera le 10e anniversaire des Sportifs du Québec, un groupe qui coordonne bon nombre d’activités sportives dans la région. L’invité de marque sera Maurice Richard. L’évènement aura lieu avant le match du 11 juillet – il y a 50 ans cet été – entre les Carnavals et les Pirates de Sherbrooke.

En ce splendide mardi soir, les gradins sont bondés – près de 6000 personnes – quand le Rocket foule le terrain pour effectuer le « premier lancer ». D’un seul bloc, les gens se lèvent et lui accordent une formidable ovation. Profondément ému, il salue le public de la main.

Le lendemain, les journaux de Québec commentent ce moment unique.

« Ce contact direct avec les amateurs devait servir de sondage à la cote de popularité de Richard, écrit L’Action-Québec. Le résultat a été sans équivoque. Une ovation monstre, qui a duré plusieurs minutes, a salué son arrivée. »

Le journaliste ajoute que selon les observateurs les plus aguerris, cette ovation était « la plus explosive » jamais entendue à Québec pour saluer un athlète.

Dans Le Soleil, le vétéran journaliste Roland Sabourin, dont les relations avec Richard ont longtemps été tumultueuses, avoue avoir ressenti un « serrement de cœur » en assistant à cet accueil enthousiaste.

« Il est évident que tous ceux qui étaient là étaient venus pour lui prouver que Québec l’aimait beaucoup plus qu’il n’avait pu le croire au cours des 15 dernières années. Un lourd fardeau vient de partir des épaules de ce fameux athlète. »

Sabourin ajoute : « Que Richard devienne ou non l’entraîneur des Nordiques, ça n’a aucune sorte d’importance. Tous ceux qui étaient au Stade municipal hier lui ont prouvé qu’ils l’aimaient. Maintenant, il ne lui reste plus qu’à passer l’éponge sur le passé et à venir nous voir plus souvent. »

Dans sa chronique de l’hebdomadaire Dimanche-Matin, le Rocket écrit à propos de cette soirée magique : « Aujourd’hui, je n’y crois pas encore. Ce fut une des plus chaudes réceptions de toute ma carrière. »

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Seize jours plus tard, devant 1500 personnes, Maurice Richard signe son contrat d’entraîneur-chef des Nordiques en présence du maire de Québec, Gilles Lamontagne, devant l’hôtel de ville. « Le français sera la langue de travail chez les Nordiques, tant sur la glace que dans le vestiaire », lance-t-il aux journalistes.

La suite est bien connue. Le Rocket constate très vite que ce boulot n’est pas pour lui. Malheureux comme les pierres du chemin, il quitte son poste après les deux premiers matchs de l’histoire des Nordiques, une défaite de 2-0 à Cleveland contre les Crusaders et une victoire de 6-0 au Colisée contre les Oilers de l’Alberta, comme on les appelait alors.

« On ne peut demander à Maurice Richard de mourir en arrière du banc, explique le DG Marius Fortier au Soleil. Nous ne sommes pas des tyrans. Et c’est bien évident que pour lui, c’est devenu une tâche surhumaine, au-dessus de ses forces. Il a maigri à vue d’œil depuis qu’il est avec nous. Son moral est très bas. »

Dans ses chroniques de Dimanche-Matin, Richard confirmera les propos de Fortier : « Franchement, je peux bien vous l’avouer, amis lecteurs, depuis 10 jours, j’ai vécu les pires moments de tension de mon existence. » Il ajoutera plus tard : « Merci encore Québec, grand merci », avant de préciser : « Je n’aurais jamais dû accepter ce travail. »

Peu importe. Entre le Rocket et Québec, l’été 1972 est celui de la grande réconciliation. Cette spectaculaire série d’évènements – offrir le poste d’entraîneur-chef au Rocket, l’ovation du 11 juillet au Stade municipal, la signature publique de son contrat et sa rapide démission – donnera en quelque sorte le ton à l’histoire des Nordiques, pleine de rebondissements du début à la fin.

Note : les citations et les faits relatés dans cette chronique sont pour la plupart tirés de mon livre Le Colisée contre le Forum, publié aux Éditions La Presse en 2012.