C’est la nouvelle coqueluche du baseball. Les joueurs l’adorent.

Une chaussure pour courir plus vite ?

Un bâton pour frapper plus loin ?

Une balle à effet qui mystifie les frappeurs ?

Non. Plutôt la série de six matchs. La formule est si populaire qu’en seulement un an, toutes les ligues mineures affiliées au baseball majeur l’ont adoptée.

C’est quoi, exactement, une série de six matchs ?

C’est un concept développé par nécessité, au printemps 2021. Les clubs des ligues mineures souhaitaient relancer leurs activités, après une pause forcée de 18 mois. Le problème, c’est que la COVID-19 était encore hyperactive. Dans tous les sports, des équipes étaient happées par des éclosions et forcées d’annuler des rencontres.

Pour diminuer les risques de contagion, les ligues mineures ont modifié les calendriers. Finis les nouveaux adversaires tous les quatre jours – la norme depuis la petite enfance de Babe Ruth.

Désormais, chaque équipe n’allait affronter qu’un seul adversaire par semaine, dans une série de six parties. Une révolution.

La réaction des joueurs ?

Un gros, gros coup de cœur.

« C’est vraiment mieux [qu’avant] », m’a répondu le Québécois Charles Leblanc, qui brille au sein du club-école AAA des Marlins de Miami. « C’est beaucoup plus facile pour le corps et le sommeil. [La réaction chez les joueurs] est pas mal unanime. C’est pour ça qu’ils ont gardé le concept cette année. »

Ces longues séries ont permis de réduire substantiellement les déplacements. De presque la moitié, pour certaines équipes. C’est énorme. Moins les joueurs passent de temps assis dans l’autobus, meilleure est leur qualité de vie. En plus, les propriétaires économisent des dizaines de milliers de dollars en frais de transport.

Les joueurs sont heureux. Leurs patrons épargnent des sous.

C’est gagnant-gagnant, non ?

Oh. Attendez. Je vois une main levée dans le fond de la salle…

Michel Laplante a joué dans les ligues mineures pendant une douzaine d’années. Augusta. Welland. Salem. Lynchburg. Madison. Richmond. Greenville. Québec. Il a probablement fait plus de kilométrage en autocar que j’en ferai en voiture dans toute ma vie.

« Le joueur que j’étais, qui se tapait de longs voyages d’autobus, n’aurait sûrement pas haï le concept », confie-t-il en riant.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Michel Laplante, président des Capitales de Québec

Mais le président des Capitales de Québec qu’il est aujourd’hui critique avec aplomb cette nouvelle formule. « Heureusement », dit-il, la Ligue Frontier – dans laquelle évoluent les Capitales – n’a pas adopté les séries de six matchs.

« Le sport, ça reste une business. Comme joueur, tu veux un gros salaire. Un gros boni. Sauf que tu dois réaliser que c’est beau de jouer dans un parc, encore faut-il qu’il y ait du monde qui vienne te voir pour être bien payé. »

Et vendre aux partisans des billets pour six matchs consécutifs contre un même adversaire, c’est plus difficile que d’écouler une boîte de popsicles trois couleurs dans le désert. « Je vois mal, en ce moment, des fans assister à six matchs de suite à domicile contre la même équipe. » Lui-même, un des plus grands amateurs de baseball que je connaisse, avoue que la fatigue s’installerait.

Le match individuel, je le déteste. La série de deux matchs aussi, car ça ne démontre pas quelle équipe est la meilleure. La série de trois ou quatre matchs, c’est le plus bel équilibre. Six matchs ? C’est trop long.

Michel Laplante, président des Capitales de Québec

« Aussi, que fais-tu, dans une longue série, si un frappeur est atteint dans le troisième match ? Ça s’en va où, au quatrième match ? Au cinquième ? Au sixième ? »

C’est une préoccupation légitime, qui était aussi partagée par les entraîneurs-chefs de la LHJMQ, en 2020-21, lorsque la Ligue a statué que les rivaux régionaux allaient s’affronter plus souvent, pour réduire les déplacements et les risques de contagion. On a eu droit à 19 duels entre les Mooseheads d’Halifax et les Islanders de Charlottetown – sans trop de débordements, il faut le reconnaître.

Et même financièrement, Michel Laplante n’est pas convaincu que le concept en vaille le coup. Il a accepté de dévoiler les chiffres d’une organisation semblable à la sienne.

« Une équipe dans le A fort ou le AA qui joue 150 matchs, c’est un budget de 4 à 5 millions. C’est un peu plus élevé que pour un club de hockey junior majeur. Si tu retranches 14 voyages en autocar, tu peux économiser environ 80 000 $. C’est à peu près 2 % de ton budget. Si tu as besoin de ça pour justifier à tes partisans de jouer six fois de suite contre la même équipe, tes affaires ne vont pas bien. Ta créativité est mal en point.

— Mais 2 % du budget, c’est significatif, non ?

— Attends. Après, tu dois convaincre les gens de venir voir six fois la même équipe. Si tu perds 100 spectateurs par soir, à 15 $ chacun, pour 75 matchs, tu te retrouves avec 112 000 $ de billets invendus… »

L’avenir des ligues mineures de baseball passe-t-il par les séries de six matchs ?

Nous aurons une meilleure idée, à la fin de l’été, de l’impact sur la vente de billets. Mais la tendance vers des plus séries plus longues me semble inévitable. Pour le bien-être des joueurs. Pour leur santé. Pour des raisons écologiques, aussi. Plus tôt que tard, les organisations sportives pourraient subir la pression de commanditaires et de partisans militants afin de réduire leur empreinte carbone.

Maintenant, je suis d’accord avec Michel Laplante : six, voire sept parties contre le même adversaire en une semaine, c’est trop. Ma solution préférée ? Cinq matchs en cinq jours, du mercredi au dimanche.

Oui, les revenus diminueraient. Les salaires, aussi. Mais pas autant qu’on peut le croire, car les spectateurs ne se bousculent déjà pas aux guichets les lundis et mardis. Quant aux joueurs, leur qualité de vie serait assurément améliorée.

Ça ressemble à un coup de circuit, non ?