Il y a trois ans, les pertes de l’Impact de Montréal s’accumulaient. Les assistances, elles, déclinaient. Le club a donc modifié sa stratégie d’affaires. Fini, les acquisitions à gros prix pour améliorer la formation. Désormais, l’Impact allait être un club formateur.

C’est quoi, un club formateur ?

C’est une équipe qui fait une grande place aux espoirs de son académie, et qui achète de jeunes joueurs pas cher, avec l’espoir de les revendre très cher.

Sur papier, c’est séduisant. D’abord, tu réduis ta masse salariale. Donc tes dépenses. Et si tu découvres le prochain Alphonso Davies, tu t’enrichis comme un geek qui retrouve ses bitcoins sur un disque dur qu’il croyait perdu depuis 2010.

Alors, après trois ans, comment ça se passe pour le CF Montréal ?

Sur le terrain, super bien. Mieux que prévu, même. Le club est excitant, et occupe la troisième place dans l’Association de l’Est. « L’équipe se bat et ne lâche jamais », me souligne le nouveau président du club, Gabriel Gervais, très satisfait des résultats sportifs. L’architecte de la formation, Olivier Renard, a d’ailleurs été récompensé, jeudi, avec une prolongation de contrat et un siège au comité de direction.

Malheureusement, dans le grand chiffrier Excel des finances, c’est moins jojo. Les assistances plafonnent à 15 000 spectateurs. Les abonnements sont en chute libre.

Entre autres, croit Gabriel Gervais, parce que les partisans s’identifient difficilement à une équipe dont l’effectif change continuellement.

Photo Martin Chamberland, archives LA PRESSE

Le propriétaire du CF Montréal, Joey Saputo, et le président de l’équipe, Gabriel Gervais

Puis, il y a l’hippopotame dans le cabanon.

La vente de joueurs, sur laquelle mise le CF Montréal pour équilibrer ses finances.

« Qui on a vendu ? m’a demandé Gabriel Gervais, mardi, lors d’une rencontre au Stade Saputo.

— … »

Il répète la question.

« Qui on a vendu ?

— Euh, personne ?

— Non, personne. »

Visiblement, ça le chicote. « Cette ligne dans le P & L [profits and losses/profits et pertes], il faut qu’elle commence [à paraître] », explique-t-il.

Gabriel Gervais reconnaît que cette stratégie d’affaires, développée sous l’administration précédente, est relativement récente. « Ça fait seulement trois ans. Avant, on payait de bonnes sommes pour des joueurs. » En contrepartie, depuis son entrée en MLS, le club n’a vendu que deux joueurs pour plus de 1 million : Ballou Tabla et Alejandro Silva.

« Ce sont les deux seuls. On n’a pas démontré comme organisation… » Il s’arrête et reprend sa phrase. « Il faut qu’on donne ce signal comme quoi Montréal est une équipe qui développe. »

C’est pourquoi les récentes titularisations de joueurs du club au sein des équipes nationales le réjouissent.

« Les gens commencent à le voir. On a trois joueurs présentement sur l’équipe canadienne. On en aurait eu quatre si Ismaël Koné n’était pas blessé. C’est une fierté pour nous. Notre plan commence à être mis en place. Maintenant, il faut attendre le bon moment pour vendre. Le joueur doit être prêt pour ça aussi. Il doit être ouvert à l’idée d’aller jouer ailleurs. En Europe. »

Et ce sera quand, le bon moment pour vendre ?

Sûrement pas cet été, précise-t-il. Le CF Montréal vise plutôt la fin de l’année. Ça lui permettra de conserver ses meilleurs joueurs jusqu’aux séries, et de profiter de la Coupe du monde, en novembre, comme vitrine.

« Si possible, on espère que quatre ou cinq de nos joueurs seront des partants [au Qatar]. Kamal Miller et Alistair Johnston l’étaient pendant les qualifications pour le Canada. Samuel Piette est un vétéran. Ismaël Koné pourrait être dans l’équipe aussi. Et Djordje Mihailovic pourrait jouer avec les États-Unis. »

Mihailovic, acquis de Chicago par Olivier Renard, est celui dont le potentiel de vente est le plus élevé. Sa valeur marchande, selon le site spécialisé Transfermarkt, est d’environ 8 millions CAN. À ce prix, ce serait – de loin – le transfert le plus payant de l’histoire du club. Le coup de circuit dont rêve l’organisation depuis longtemps.

Photo Dominick Gravel, archives LA PRESSE

Djordje Mihailovic

L’ennui, c’est que Mihailovic est actuellement blessé à une cheville. « Ce n’est pas une blessure grave, rassure Gabriel Gervais. Mais c’est suffisamment incommodant pour qu’il rate le camp d’entraînement des Américains. S’il continue de jouer comme il le fait, il peut faire l’équipe après le camp de septembre. Son intention, c’est de jouer en Europe. En termes de chiffres, il a des statistiques à la Piatti, et même plus. C’est un jeune joueur [23 ans]. Tout ça pour dire que oui, on souhaite vendre des joueurs. On va peut-être attendre à la Coupe du monde pour maximiser [l’investissement]. »

Gabriel Gervais est en poste depuis deux mois. Déjà, on remarque qu’il s’implique davantage dans les opérations soccer que les dirigeants précédents du club. « Ça prend environ la moitié de mon temps. » L’autre moitié ? Il la consacre à la gestion de l’entreprise : les ressources humaines, le marketing, les communications, les finances, les ventes…

Les ventes le préoccupent particulièrement. Selon les données que lui fournit la MLS, le CF Montréal est parmi les derniers de classe pour les assistances. Pour les abonnements vendus. Pour le prix moyen des billets. C’est anormal, considérant la taille de Montréal par rapport à des villes comme Kansas City, Cincinnati, Columbus, Austin ou Salt Lake City.

Photo Eric Bolte, USA TODAY Sports

Joaquin Torres rencontre des partisans après une partie.

Pourquoi ?

La Ligue – qui « souhaite notre succès » – ne comprend pas. Gabriel Gervais cherche des réponses. Oui, la pandémie a nui. Oui, le changement d’image de marque a déplu. Mais ça n’explique pas totalement la chute prononcée des abonnements, un phénomène qui exerce une pression immense sur l’équipe de ventes. « On est parmi les meilleurs de la ligue pour les ventes de billets unitaires. Mais va voir mon directeur des ventes. Son équipe et lui ont la langue à terre. »

Photo Martin Chamberland, archives LA PRESSE

Gabriel Gervais, président et chef de la direction du CF Montréal

Ce qui nous fait vraiment mal, c’est la situation économique. Surtout l’inflation. Quel montant discrétionnaire les gens ont-ils ? Pourquoi viendraient-ils le dépenser ici ? Où les gens coupent-ils ? Dans les sorties. Dans les loisirs. C’est une des raisons pour lesquelles on a de la difficulté.

Gabriel Gervais

Autre facteur, évoqué plus tôt : l’attachement.

« Quand l’équipe et moi avons eu du succès, lorsque je jouais [entre 2002 et 2008], les gens étaient attachés au club. Il y avait une continuité dans ce qu’on faisait. Les entraîneurs restaient longtemps. L’effectif aussi. Nos 11 partants changeaient rarement. »

Lucide, il constate que c’est différent aujourd’hui.

« Si tu prends notre photo d’équipe d’il y a trois ou quatre ans, tu vas voir [Rudy] Camacho. Samuel Piette. Peut-être Zachary Brault-Guillard. Le reste… »

Cela dit, les portes tournantes, c’est la réalité des clubs formateurs. Les joueurs arrivent et repartent rapidement, comme dans les ligues mineures au hockey ou au baseball. Est-ce même possible d’établir une stabilité relative avec cette stratégie d’affaires ?

« Oui, répond-il sans hésiter. Il y a des joueurs de calibre MLS. Olivier [Renard] et son équipe ont fait une bonne job là-dessus [pour en acquérir des bons]. Ces joueurs sont bâtis pour la MLS. Ils vont nous aider et auront de belles carrières. […] Ces joueurs resteront notre base, autour de laquelle il y aura des joueurs dans lesquels on aura investi, et qu’on voudra revendre plus tard. »

Souhaitons maintenant que l’équipe puisse conclure quelques ventes d’ici la fin de 2022. Avec les foules timides, ces transferts seront essentiels pour guider la franchise vers une nouvelle période de prospérité.