À 18 ans, Ronald Crevier n’avait jamais disputé une seule partie de basketball de sa vie. À 27 ans, il est devenu le premier Québécois francophone à jouer dans la NBA. Ce fut bref : quatre minutes, en trois matchs, pour deux équipes différentes. Mais il s’est quand même retrouvé sur les mêmes terrains que Michael Jordan et Kareem Abdul-Jabbar, avant de jouer dans un film avec John Travolta.

Le plus étonnant ?

Son séjour dans la NBA, en 1985, est passé complètement inaperçu ici. « Dans le temps, on parlait peu de basketball au Québec. Surtout chez les francophones. »

Lui-même ne connaissait même pas les règles avant l’âge adulte. Il a plutôt grandi dans une famille de baseballeurs. Son grand-père, Camille Crevier, était l’un des meilleurs lanceurs québécois du début du XXsiècle. Son père, Ronald, a signé un contrat professionnel avec les Giants de New York et obtenu un essai dans l’organisation des Cardinals de St. Louis. Le jeune Ronald avait lui aussi une excellente rapide.

« 90 milles à l’heure ?

— Plus que ça ! »

Le baseball était une de ses deux passions. L’autre ? Le hockey. Il était un défenseur doué. Sauf qu’à 16 ans, il s’est mis à grandir soudainement. Tellement qu’il a dû prendre des médicaments pour freiner sa croissance. Il s’est arrêté à 7 pi. Son corps était tout déglingué. « J’étais devenu trop grand pour le hockey. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Ronald Crevier, premier Québécois francophone dans la NBA, dans les années 1980. Il mesure 7 pi.

Les Remparts de Québec l’ont retranché. Il s’est entraîné sur les Diablos du cégep de Trois-Rivières, mais les élèves du cégep ont déclenché une grève. Il a alors quitté la Mauricie pour tenter sa chance avec l’équipe de hockey du collège Dawson. Ça ne s’est pas passé comme prévu. Là aussi, il a été retranché.

« J’avais 18 ans. J’essayais de trouver ma voie dans la vie. J’étais tanné de tout. Je suis parti chez mes grands-parents, à Saint-Jean-de-Matha. » Après deux semaines, son père l’a appelé, pour lui secouer les puces. « Il m’a dit : “Ou bien tu travailles, ou bien tu retournes à Dawson, où l’équipe de basketball veut t’offrir un essai.” »

Il a choisi l’école.

Je ne connaissais presque rien du basketball. Je ne savais même pas qu’il fallait quitter la bouteille après trois secondes. Mais je me disais que ça allait me permettre de garder la forme avant la saison de baseball.

Ronald Crevier

La première année, Ronald Crevier a réchauffé le banc. « J’assistais surtout aux entraînements. » La deuxième année, il est devenu un joueur partant de l’équipe. Dawson a remporté le championnat canadien. Or, les débouchés pour les basketteurs québécois francophones, à l’époque, étaient minces. Aucun d’entre eux ne jouait dans la NCAA, et encore moins dans la NBA.

Un soir, cette année-là, Ronald Crevier et son père sont allés prendre un verre dans un restaurant populaire de Montréal, À La Catalogne. « Un Américain était assis à côté de nous. On s’est mis à parler de sport ensemble. De hockey. De basketball. À un moment donné, le gars nous lance : “Je connais un entraîneur de basketball à Boston College, je vais l’appeler pour savoir s’il aimerait te voir.” » C’était le cas. L’entraîneur s’est déplacé à Montréal. Il a aimé ce qu’il a vu. Et c’est comme ça, grâce à une rencontre fortuite au restaurant, que la carrière américaine de Ronald Crevier a pris son envol.

La marche entre le niveau collégial, au Québec, et les rangs universitaires, aux États-Unis, était haute. Trop haute. « Ça n’avait rien à voir avec ce que j’avais connu. À Dawson, on avait peut-être un match et un entraînement par semaine. Là, ça pouvait être trois entraînements… par jour ! »

Les trois premières saisons, Ronald Crevier a très peu joué.

PHOTO FOURNIE PAR RONALD CREVIER

Ronald Crevier avec l’équipe de basketball de Boston College

C’était hyper difficile. Les autres gars avaient 10 ans d’expérience de plus que moi. Mais après avoir abandonné le hockey, je m’étais juré de ne pas lâcher le basketball. Je voulais apprendre, et faire de mon mieux.

Ronald Crevier

Sa persévérance fut récompensée. Il s’est retrouvé dans un Boston Garden plein à craquer. Au Madison Square Garden, aussi. Pour le petit gars de Candiac qui avait rêvé d’une carrière dans la Ligue nationale de hockey, c’était magique.

En 1982, l’équipe canadienne l’a sélectionné pour le Championnat du monde. Dans un tournoi préparatoire, devant un parterre de recruteurs de la NBA, les Canadiens ont battu les Américains et les Yougoslaves. De retour à Boston College, Crevier s’est démarqué à l’entraînement face à des joueurs professionnels des Celtics de Boston. Tout allait bien, jusqu’à ce qu’il subisse une blessure importante à une jambe. Une fois rétabli, il est retourné au bout du banc, au pire moment, tout juste avant le repêchage de la NBA.

« Je ne m’attendais pas à être sélectionné. Sinon, peut-être à la toute fin, au 10tour. À ma grande surprise, les Bulls de Chicago m’ont repêché au quatrième tour.

— Comment expliquer que vous ayez été repêché si tôt ?

— Les Bulls m’avaient remarqué dans les entraînements. Enfin, je pense que c’est ça. Je ne jouais presque pas. Je ne vois pas ce que ça aurait pu être d’autre. »

Ronald Crevier a signé son premier contrat professionnel avec les Bulls, mais il n’a pas réussi à percer l’alignement. Après deux belles années dans un circuit mineur, à Toronto, ainsi que dans des ligues d’été, il a de nouveau tenté sa chance dans la NBA. Les Bulls, les Hawks d’Atlanta, les Bucks de Milwaukee, les Pistons de Detroit et les Warriors de Golden State l’ont tous invité à leur camp d’entraînement. « J’ai choisi les Warriors. C’était la pire équipe. C’est là que mes chances étaient les meilleures. » De plus, les deux centres de l’équipe, Purvis Short et Chris Mullin, faisaient la grève.

PHOTO FOURNIE PAR RONALD CREVIER

Ronald Crevier, à droite, avec les Tornados de Toronto

Dans les matchs préparatoires, Ronald Crevier a obtenu de belles minutes de jeu. Ça lui a permis de se démarquer, et d’être choisi au sein de la formation partante. Le premier match de la saison, il a disputé une minute, en toute fin de rencontre, le temps de tenter un tir.

Les semaines suivantes, même s’il était cloué au banc, Crevier a savouré pleinement sa vie de basketteur professionnel. Il a rencontré la légende des Lakers de Los Angeles Kareem Abdul-Jabbar. « J’avais grandi en voyant ses photos dans Sports Illustrated. Ça m’avait beaucoup impressionné. » Le 29 octobre 1985, il a aussi assisté à un match devenu célèbre, celui dans lequel Michael Jordan s’est cassé le pied gauche, après être revenu au jeu trop tôt. Cet évènement a été abondamment traité dans la série The Last Dance, sur la carrière du célèbre basketteur des Bulls. « Si vous regardez bien le documentaire, j’apparais à peu près deux secondes à l’écran », raconte Ronald Crevier en riant.

En novembre 1985, les grévistes des Warriors sont revenus au jeu. Il y avait un joueur de trop dans la formation. Ronald Crevier a écopé. Le Québécois est revenu brièvement au Québec, avant de signer un nouveau contrat avec les Pistons de Detroit. Il était super excité. Sauf que ses papiers de travail n’étaient pas tous en règle. La douanière a refusé de le laisser entrer aux États-Unis.

« Je suis resté dans un hôtel à Windsor pendant quatre jours, avant que tout soit réglé. Évidemment, je venais de rater tous les entraînements. Quand je suis arrivé à Detroit, je n’étais pas dans une forme maximale, et je devais apprendre rapidement le cahier de jeux. »

Les Pistons l’ont envoyé une minute sur le terrain, face à son ancienne équipe, les Warriors.

J’ai cafouillé. J’ai voulu être trop gentil avec mon ami Terry Teagle. Je suis parti en contre-attaque, et plutôt que de tenter un dunk par-dessus lui, j’ai essayé un lay up. Je l’ai raté. Oh boy. Ça m’a tué.

Ronald Crevier

Ronald Crevier a eu une autre chance, plus tard la même semaine, face aux Cavaliers de Cleveland. Cette fois, il a eu droit à deux minutes de jeu. Il a raté ses deux lancers francs. Le lendemain, les Pistons l’ont retranché.

Quatre minutes. Trois matchs. Deux clubs.

Ce sont les statistiques finales de Ronald Crevier. Mais au-delà des chiffres, c’est son parcours qui est remarquable et inspirant. Après sa carrière dans la NBA, il a joué une demi-douzaine d’années en Espagne, en Suisse et en France. On a tenté de lui organiser un mariage blanc pour qu’il puisse représenter la France sur la scène internationale. Il a refusé. Il a plutôt tenté d’obtenir sa citoyenneté française par les voies officielles. Sans succès.

Après sa retraite du basketball, il est revenu s’établir au Québec. Il a notamment travaillé quelques années sur une machine à coudre, pour son ancien entraîneur de basketball à Dawson, et figuré dans quelques films et émissions de télévision. « J’ai joué des grands monstres, avec une prothèse. Quelques épisodes de Space Cases, Are You Afraid of the Dark ?. Dans Battlefield Earth, aussi, avec John Travolta. J’ai participé à deux semaines de tournage pour apparaître une seconde dans le film [rires]. »

Au cours des quatre dernières années, il était entraîneur adjoint de l’équipe féminine de basketball de l’Université Bishop’s. Un rôle qu’il a apprécié. « Le sport fut bon pour moi. Ça m’a ouvert sur le monde. Ça m’a permis de rencontrer des personnes intéressantes. »

Et dire qu’à 18 ans, il n’avait jamais disputé un seul match de basketball !