« Insensible. Cruelle. Tout simplement inacceptable. »

Non, il n’est pas question ici de la claque de Will Smith à Chris Rock pendant la cérémonie des Oscars. Ce sont plutôt les commentaires de Chris Nilan à propos d’une autre vidéo devenue tristement virale cette fin de semaine.

La sienne.

Dans cette vidéo filmée alors qu’il conduit sa voiture, l’ancien bagarreur du Canadien rabaisse Jonathan Drouin. Et pas à peu près. Avec le ton condescendant d’un adulte qui parle comme un bébé à un enfant de 5 ans, il lance : « Jonathan Drouin ne joue pas ce soir. Allez savoir pourquoi. Pauvre Jonathan. Qu’est-ce qui ne va pas, Jonathan ? Oh mon Dieu. Regarde le match à la place. C’est moins dangereux d’écouter [la partie] de la maison. »

De la grosse classe.

Nilan a présenté ses excuses après coup. Or, le mal était déjà fait. Sa vidéo, relayée des centaines de fois, a nourri les trolls. Ces derniers ont ensuite vomi tout leur fiel sur l’ailier du Canadien, qui ne méritait pas ces attaques.

Si Nilan s’était renseigné avant de publier son coup de gueule, il aurait su que Drouin s’est fait mal pendant la partie contre les Bruins de Boston, lundi dernier. Une blessure au poignet droit. C’est plus qu’un simple inconfort. C’est assez grave pour que les médecins du Canadien lui recommandent une opération. Sauf que Drouin, lui, veut jouer de nouveau cette saison. Il souhaite prouver sa valeur à son nouvel entraîneur-chef, Martin St-Louis. Il a donc demandé un deuxième avis médical, dans l’espoir de pouvoir éviter une intervention chirurgicale, et disputer les parties du mois d’avril.

Alors pour le manque de courage, on repassera.

Par ailleurs, Drouin sait très bien à quoi s’attendre s’il se fait opérer. Il est déjà passé par là. C’était en 2019, pour son autre poignet, le gauche. Son absence a été longue. Dix semaines. À son retour au jeu, il avait perdu sa superbe du début de la saison (15 points en 19 parties). En huit matchs, il n’a inscrit aucun point, et cadré seulement sept tirs au but.

Les poignets, pour un passeur agile comme Drouin, ce sont des outils de travail essentiels. Comme la voix d’un chanteur. Comme le bras d’un quart-arrière. Comme les chevilles d’un sprinteur. Croyez-moi, Drouin préférerait être sur la glace, sans douleur à son poignet droit, plutôt que chez lui, à se morfondre en attendant de savoir s’il devra être opéré ou non.

Non, vraiment, je ne comprends pas la vague d’hostilité envers l’attaquant du Canadien.

Lorsqu’un lanceur au baseball se casse un bras et doit subir une opération de type Tommy John qui le mettra à l’écart du jeu pendant 18 mois, se fait-il ramasser par les partisans ?

Jamais.

Paul Byron s’est absenté trois mois. Joel Edmundson, cinq mois. Les fans s’en sont-ils pris à eux ? Bien sûr que non. Et tant mieux. Carey Price, qui n’a toujours pas disputé un seul match cette saison, et Shea Weber, qui soigne ses blessures à la maison, ont reçu quelques critiques, mais ça reste incomparable aux attaques envers leur coéquipier.

Alors, pourquoi s’acharner sur Drouin, alors qu’il est blessé ?

Pourquoi ce deux poids, deux mesures ?

Je suis pour la critique constructive. Les partisans et les commentateurs peuvent désirer que Drouin tire plus souvent. Qu’il soit plus constant dans ses replis défensifs. Qu’il s’implique davantage physiquement.

Là où je suis profondément en désaccord, c’est lorsqu’on s’attaque à la personne, comme l’a fait Chris Nilan, en fin de semaine, avant de le regretter.

Drouin est une cible facile, car c’est un troisième choix au total, qui a été échangé contre un défenseur prometteur, et qui n’a jamais comblé les attentes. Mais peut-être que le problème, depuis le premier jour, ce sont ces attentes irréalistes. Les partisans espéraient une production de 80 points par saison. Or, savez-vous combien de joueurs, repêchés la même année, ont réussi au moins une saison de 80 points ?

Seulement trois.

Le premier choix, Nathan MacKinnon.

Le deuxième choix, Aleksander Barkov.

Et le sixième choix, Sean Monahan, en chute libre depuis une opération à une hanche.

Les blessures font partie du sport. Certains joueurs y échappent. D’autres, pas. Drouin a vu sa progression ralentie en 2019, et il craint une répétition en cas d’une deuxième opération.

Dans les circonstances, il n’a pas besoin de plus d’ennemis.

Il a besoin d’empathie.