Ce jour-là, juste avant d’expédier aux presses la une du journal, le chef de pupitre du Soleil, alors un quotidien de l’après-midi, insère en bas de page une nouvelle de dernière minute : « Le nom du futur club de hockey québécois de l’Association mondiale de hockey sera “Les Nordiques”, a-t-on appris ce midi. »

Nous sommes le 29 mars 1972, il y a 50 ans ce mardi. Pour la première fois, ce nom d’équipe qui marquera l’histoire sportive du Québec est mentionné dans les médias. Plus tard en journée, lors d’une conférence de presse, on explique que le jury, après avoir examiné 475 suggestions soumises par le public, a hésité entre « Nordiques » et « Laurentiens ». La première appellation a été choisie parce qu’elle dégage « vigueur, énergie et force ».

Le logo et les couleurs de l’uniforme demeurent en chantier, mais cela ne gâche en rien la fête : l’équipe a désormais un nom, et cela renforce sa crédibilité auprès des amateurs de hockey de Québec.

Malgré tout, un doute subsiste : ces fameux Nordiques sauteront-ils vraiment sur la glace en octobre prochain, quand s’amorcera la première saison de l’Association mondiale de hockey (AMH) ? Mille péripéties sont survenues au cours des dernières semaines et, même si l’espoir est au rendez-vous, l’affaire n’est pas entièrement bouclée.

L’invraisemblable histoire de l’AMH a commencé l’année précédente.

En juin 1971, un quotidien de la Floride écrit que Gary Davidson et Dennis Murphy, deux hommes ayant contribué à créer l’Association américaine de basketball, circuit concurrent de la NBA, veulent reproduire ce modèle au hockey.

Les noms de trois villes canadiennes – Québec, Ottawa et Winnipeg – sont mentionnés comme candidates potentielles à l’obtention d’une concession.

Dans Le Soleil, le journaliste Claude Larochelle commente cette nouvelle étonnante. Le titre de sa chronique, « Québec mêlée à une histoire farfelue », illustre son scepticisme. À son avis, il s’agit simplement d’un « ballon d’essai de promoteurs sondant le terrain ».

Cette prudence est compréhensible. La LNH est alors toute-puissante, et l’idée qu’une ligue rivale attaque son monopole paraît invraisemblable. Mais Davidson et Murphy ont du cran. Ils foncent droit devant, et l’AMH s’organise peu à peu.

À Québec, le projet intéresse six anciens actionnaires de l’équipe junior des Remparts. Des divergences de vues avec leurs partenaires les ont conduits à quitter le navire quelques mois après la conquête de la Coupe Memorial par Guy Lafleur et ses coéquipiers. En février 1972, l’AMH leur cède la concession d’abord attribuée à la ville de San Francisco, et Québec devient membre du circuit.

Hélas, des problèmes de financement surgissent rapidement. Québec a des ennuis à trouver les dollars pour boucler la transaction et établir un fonds de roulement. Une rumeur veut que des investisseurs montréalais rachètent la concession et l’installent à l’aréna Maurice-Richard. Une autre suggère que les Nordiques retarderont d’une année leur entrée dans l’AMH.

Au bout du compte, les sommes nécessaires sont récoltées. Le 15 mai 1972, lors d’une réunion de l’AMH tenue au Château Frontenac de Québec, la présence des Nordiques dès la saison initiale de la ligue est confirmée. Les nouvelles se succèdent alors à un rythme fou.

L’excellent défenseur Jean-Claude Tremblay quitte le Canadien et accepte un contrat avec les Nordiques. La plus grosse prise survient peu après : Maurice « Rocket » Richard devient entraîneur-chef de l’équipe. Son séjour derrière le banc ne durera que deux matchs, mais les Nordiques, comme ce sera si souvent le cas durant leur rocambolesque histoire, auront montré de la créativité en l’embauchant.

J’avais 12 ans lors de tous ces évènements. Et si je n’ai pas un souvenir clair du jour où le surnom « Nordiques » est devenu celui de « notre » équipe, ses sept années dans l’AMH sont gravées dans ma mémoire.

PHOTO ARCHIVES L’ACTION QUÉBEC

L’édition des sports du journal l’Action Québec, le 30 mars 1972

Québec, ma ville, jouait enfin dans la cour des grands. Ses adversaires avaient des noms, des logos et des uniformes envoûtants pour un ado passionné de sport : les Crusaders de Cleveland, les Cougars de Chicago, les Fighting Saints du Minnesota, les Sharks de Los Angeles, les Raiders de New York, les Blazers de Philadelphie…

La lutte avec la LNH dans la chasse aux meilleurs joueurs était féroce. À cette époque, l’embauche d’un joueur vedette par un autre club de l’AMH ne nous inquiétait pas, au contraire elle nous réjouissait. Cette addition renforçait « notre » ligue, qui luttait avec panache contre la toute-puissante LNH et son président, l’arrogant Clarence Campbell.

Au fond de nos cœurs, l’objectif était simple : obtenir un jour la chance de jouer contre le Canadien – et même de le vaincre ! La direction des Nordiques était animée par la même volonté.

En 2010, 15 ans après le départ des Nordiques pour le Colorado, Maurice Filion, employé de la première heure de l’équipe et longtemps son directeur général, m’expliqua : « Je n’avais qu’un seul but : un jour, battre le Canadien. Lorsque cela surviendrait, ce serait un succès incroyable. Pour devenir une équipe admirée au Québec, il fallait battre Montréal. »

En 1979, les Nordiques accèdent à la LNH. Leur grande rivalité avec le Canadien remplira les pages des journaux et alimentera d’innombrables conversations. Leur départ a causé un vide immense sur notre scène sportive.

Bizarrement, quand je pense maintenant aux Nordiques, ce ne sont pas les saisons dans la LNH qui me viennent spontanément en tête. Mais plutôt ces sept années dans l’AMH, durant lesquelles la bataille pour la survie de la ligue et de l’équipe était quasi quotidienne. Quelque chose de chevaleresque et de grisant en marquait chaque épisode, avec ses victoires et ses échecs.

Les Nordiques n’existent plus. Mais pour beaucoup de gens – et j’en suis –, ils demeureront toujours vivants dans nos cœurs.

Voilà pourquoi, dans un curieux mélange de fierté et de nostalgie, je dis à l’équipe de ma jeunesse : « Joyeux 50e, Nordiques ! »