Imaginez si le gouvernement fédéral interdisait au Canadien de Montréal de transiger des joueurs. De vendre des billets. Des chandails. Des fanions. Des porte-clés. Des peluches de Youppi !

Impensable.

Alors, imaginez la surprise des partisans de Chelsea, il y a deux semaines, lorsque le gouvernement britannique a imposé à leur club une ribambelle de sanctions semblables.

Pour les non-initiés, Chelsea, c’est un mastodonte du soccer anglais. Un géant international. Le champion en titre de l’Europe. Depuis 20 ans, l’équipe a allongé des centaines de millions de dollars pour acquérir des mégavedettes, comme Didier Drogba. En gros, Chelsea est au soccer ce que les Rangers de New York seraient au hockey – sans la contrainte du plafond salarial.

Et d’où proviennent tous ces millions ?

C’est un peu ça, le problème…

Chelsea n’a pas toujours eu des formations extraordinaires. Loin de là, même.

Au siècle dernier, l’équipe fut plus souvent reléguée en deuxième division que championne d’Angleterre. Les dettes se sont accumulées. Tellement que dans les années 1980, accablés par les défaites et les épisodes de hooliganisme, les Bleus furent vendus pour le prix d’un bretzel.

Une livre sterling.

Vingt ans plus tard, en 2003, Chelsea a de nouveau changé de mains. Cette fois, pour 140 millions de livres. Le nouveau propriétaire, un passionné de soccer, a investi massivement dans son nouveau joujou. Près de 350 millions en deux ans. Les résultats furent instantanés. En 2005, Chelsea gagnait son premier championnat anglais en un demi-siècle. En 2012, les Londoniens étaient sacrés champions d’Europe. Le nouveau propriétaire du club, il va sans dire, savait comment se faire aimer des partisans.

Au fait, vous l’ai-je présenté ?

Lecteurs de La Presse, voici Roman Abramovitch.

Roman Abramovitch, voici les lecteurs de La Presse.

PHOTO ARCHIVES REUTERS

Vladimir Poutine et Roman Abramovitch, en 2005, alors que le propriétaire du club de Chelsea était aussi le gouverneur d’une région de la Russie

M. Abramovitch a un parcours singulier. Cet oligarque russe a fait fortune en rachetant à bas prix les réserves de gaz et de pétrole de l’ancienne Union soviétique pendant la période trouble ayant suivi le démantèlement du pays. Ses méthodes sont controversées. Il a notamment reconnu, lors d’un procès, avoir versé des centaines de millions de dollars en pots-de-vin. En 2018, l’Angleterre n’a pas renouvelé son visa. M. Abramovitch a tenté de déménager en Suisse. Sans succès. Selon le journal 24 heures, la police suisse le soupçonnait de blanchir de l’argent et d’entretenir des liens avec le crime organisé. Elle croyait aussi qu’une partie de sa fortune était d’origine illégale.

Lisez l’article du journal 24 heures

Par ailleurs, pendant ses premières années à Chelsea, Roman Abramovitch était aussi gouverneur d’une région de la Russie, et réputé être proche de Vladimir Poutine.

Malgré tout, Roman Abramovitch est resté près de 20 ans à la tête de Chelsea.

C’est l’invasion russe en Ukraine qui a mis fin au party.

PHOTO JUSTIN TALLIS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Une banderole à l’effigie de Roman Abramovitch, déployée dans les tribunes de Stamford Bridge, au début du mois de mars. La vente de billets est maintenant interdite.

Dans les premières heures de la guerre, Roman Abramovitch était pressenti pour jouer un rôle de médiateur entre l’Ukraine et la Russie. Le propriétaire de Chelsea a même annoncé son intention de vendre le club et de verser toutes les recettes aux victimes de la guerre. Visiblement, les gouvernements occidentaux ont une lecture différente de la situation.

Le Canada, l’Union européenne et la Grande-Bretagne l’ont couvert de sanctions pour sa proximité avec le régime de Vladimir Poutine. Justin Trudeau l’a visé spécifiquement dans une conférence de presse. La Grande-Bretagne, elle, a décidé de geler ses actifs illico. Notamment son club de soccer.

Chelsea peut terminer sa saison, mais il ne peut plus vendre de billets, de joueurs ou d’articles de collection. Cela cause des situations absurdes. La semaine dernière, par exemple, Chelsea affrontait Middlesbrough, en Coupe d’Angleterre. Le club londonien a demandé à son adversaire de cesser la vente de billets, lui aussi, au nom de l’équité sportive.

Mouahahahahaha.

« Cette suggestion est à la fois bizarre et sans mérite, a répondu Middlesbrough. Tout le monde sait très bien pourquoi Chelsea a été sanctionné. Ça n’a rien à voir avec nous. De suggérer que notre club et nos partisans soient pénalisés, c’est grossièrement injuste. »

Le match fut finalement disputé devant les partisans de Middlesbrough.

Chelsea a gagné 2-0.

Chelsea est à vendre. La transaction sera compliquée et devra être approuvée par l’État britannique. Selon le Guardian, le gouvernement souhaite que Roman Abramovitch ne touche pas un seul sou de la vente. Joli dossier pour les avocats.

Une fois la vente conclue, est-ce que tout sera réglé ?

Pas vraiment, non.

D’autres franchises sont contrôlées par des propriétaires controversés.

Le club anglais de Newcastle, qui évolue dans la même ligue que Chelsea, vient d’être vendu au Fonds d’investissement public saoudien, dirigé par Mohammed ben Salmane. Ce prince héritier est lui aussi un personnage polarisant. Il est notamment à la tête de l’armée de l’Arabie saoudite qui, selon les Nations unies, a tué plus de 14 000 civils au Yémen. Or, comme l’Arabie saoudite est un partenaire important de la Grande-Bretagne, Newcastle n’est soumis à aucune sanction.

Et les partisans, là-dedans ?

Ils sont coincés entre l’arbre et l’écorce.

C’est difficile de repousser un invité généreux qui apporte le fromage, les blinis au caviar, quatre beaux morceaux de filet mignon et ses deux meilleures bouteilles de la Romanée-Conti. Mais si cet invité est brusque et offensant à la table, il faut trouver le courage de s’imposer et de lui montrer la porte.

Le partisan doit se souvenir qu’en premier lieu, il a choisi une équipe.

Pas son propriétaire.