(Pékin) En écoutant Thomas Bach torpiller l’entourage de la jeune patineuse Kamila Valieva, je me disais : rien ne vaut une bonne vieille controverse russe pour calmer le front chinois.

Faut dire que le président du Comité international olympique, qui livrait ses états d’âme lors de la traditionnelle conférence de presse finale des Jeux, fait un usage très limité du bazooka dans ses commentaires. Mais comme les Russes ont officiellement un (petit) bonnet d’âne, on peut ouvrir le feu à volonté.

Bach avait commencé par vanter le « grand succès » des Jeux. Puis avait relaté quelques histoires inspirantes –comme ces athlètes russe et ukrainien la main dans la main, ou cet échange de « pins » entre Chinois et Américains au curling.

Mais il a changé de ton en parlant de la « triste histoire de Kamilia Valieva ».

« Très dérangé » par le spectacle de cette fille de 15 ans qui s’effondre sous la pression, et dont « chaque mouvement du corps » révélait l’immense « stress mental ».

Il l’a été encore plus par ce qui s’est passé ensuite. L’accueil « glacial » de son entourage qui, au lieu de la soutenir, l’a reçue sans le moindre réconfort.

Est venue ensuite Alexandra Trusova, médaillée d’argent, qui a dénoncé son rang, disant que tout le monde a l’or sauf elle, et qu’elle « déteste ce sport ».

Ce qui s’est passé là ne « me donne pas grande confiance en cet entourage, ni au vu de ce qui s’est passé, ni pour le futur, et j’espère qu’elle (Valieva) aura le soutien de ses amis et sa famille. »

Dans cette pathétique affaire, plusieurs ont blâmé le CIO, disant que la jeune athlète dopée n’aurait jamais dû prendre part à la compétition. Mais le CIO n’avait pas le choix que de se plier à la décision du Tribunal arbitral du sport, qui l’y autorisait. Le CIO lui-même a plaidé contre sa participation, mais a perdu.

Le vrai problème, c’est le système de sanctions imposées aux Russes après le plus incroyable scandale de dopage d’État jamais révélé, à Sotchi.

Après une exclusion nationale qui permettait de concourir individuellement, les athlètes russes ont maintenant un statut intermédiaire : ils sont membres du « Comité olympique russe »; toujours pas de drapeau du pays, pas d’hymne national en cas de médaille d’or –mais un concerto de Tchaïkovski, et non le simple hymne olympique.

Comme on ne fait plus confiance au laboratoire russe, les échantillons sont analysés à Stockholm. Et en jouant avec les délais, on a réussi à retarder l’annonce de la découverte de « trimetazidine » dans le sang Valieva.

Comme a dit Bach hier : ce n’est jamais un athlète seul qui se dope. C’est encore plus vrai dans le cas d’une adolescente de 15 ans. Il annonce donc une nouvelle enquête de l’Agence mondiale antidopage sur « l’entourage » de la jeune star du patinage russe.

Autant ses mots étaient bien sentis et sa détermination sincère, autant M. Bach reçoit en pleine face les conséquences de la mollesse des sanctions contre la Russie et la preuve de leur non-repentance.

Clairement, ça ne fonctionne pas. On ne parle pas d’une obscure athlète; on parle de la grande vedette du sport le plus médiatisé des Jeux d’hiver. Cet « entourage » russe, dans le contexte post-Sotchi, il faut encore présumer que c’est le système étatique de dopage. Et si les contrôles ont fonctionné à retardement, c’est que la surveillance du CIO de ces super-délinquants n’est pas bonne.

Rendu aux Jeux, bien sûr, le CIO était obligé de se plier à la décision des juges, même s’il était en désaccord, même si ça l’humiliait.

Notamment, comme a dit Bach : quel que soit l’âge d’un participant, une preuve de dopage devrait vous exclure d’une compétition. Cela dit, il faut aussi réfléchir à la notion d’âge minimum des participants, a-t-il admis.

Mais tout était en place pour permettre cette humiliation.

Quel contraste tout de même entre cette dénonciation forte et sans équivoque, et la « diplomatie silencieuse » du CIO dans l’affaire Peng Shuai.

Jamais Thomas Bach n’a exprimé son inquiétude publiquement, demandé une enquête sur les allégations d’agression sexuelle, de censure ou de séquestration de l’athlète.

Il a eu avec Peng des conversations contrôlées et supervisées par des responsables chinois; il l’a côtoyée officiellement pour montrer au monde qu’elle va bien, est autonome et ne demande aucune enquête. Tout ça au plus grand plaisir de la dictature chinoise.

***

La veille, à la même tribune du centre de presse de Pékin, les journalistes avaient assisté à une scène absolument extraordinaire. La porte-parole du comité olympique chinois Yan Jiarong donnait le point de presse commun quotidien avec le porte-parole du CIO. Une procédure de routine sur les enjeux du jour.

Probablement tannée de se faire poser des questions sur Taïwan et la répression des Ouïhours par la presse internationale, Mme Yan a profité de cette dernière séance pour contre-attaquer.

Les questions des journalistes étaient basées sur des « mensonges », il suffit d’aller aux bonnes sources –elle n’a cité aucun fait, simplement fait une classique dénégation générale.

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, présent à la cérémonie d’ouverture, avait tout de même demandé l’envoi d’une commission indépendante pour visiter les camps de travail forcé et de rééducation des musulmans du Xinjiang. La répression est documentée (j’ai fait état du dossier monté par le « tribunal » sur le génocide ouïghour).

Yan a ensuite répété la politique selon laquelle il n’y a « qu’une seule Chine au monde », à une question sur la présence obligatoire à la cérémonie de clôture de Taïwan qui s’appelle ici « Chine Taïpei ». Elle a cité le président Xi Jinping dans une « prise de position solennelle ».

Un langage agressivement politique utilisé avec les anneaux olympiques en arrière-plan, ce qui est censé être rigoureusement interdit.

N’est-ce pas une violation claire de la fameuse « règle 50 » contre la politisation des Jeux?

« Nous avons été en contact avec le comité organisateur et ils ont répété leur engagement à demeurer neutres », a simplement répondu le président.

M. Bach, comme chacun sait, est passé maître dans l’art de jouer les variations politiques.