Je sais, je sais, c’est cliché. Tellement que lorsque j’étais patron, j’avais imposé un moratoire sur les reprises du titre du film de Jean-Pierre Jeunet dans La Presse. Pas grave. Marie-Philip Poulin justifie l’exception à la règle, car son destin est vraiment exceptionnel.

Pour la troisième fois de sa carrière, jeudi, l’attaquante québécoise a compté le but gagnant dans une finale olympique. Qui peut en dire autant, dans l’histoire du hockey ? Personne. Poulin a terminé la rencontre avec deux buts et une mention d’aide, pour mener les Canadiennes à une victoire serrée de 3-2 face aux Américaines.

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« Quand c’est le temps de tourner la switch, Marie-Philip est toujours là », a fait valoir sa coéquipière Mélodie Daoust, dont le visage brillait tout autant que la médaille d’or accrochée à son cou.

Alors, Marie-Philip, explique-nous. Comment fais-tu ?

Elle a commencé par rire. « Je me le demande aussi. Je ne sais pas ! » Puis elle est devenue plus émotive. « Il y a des anges en haut qui sont là avec moi. On a un groupe spécial. On a pu le sentir de la première partie du tournoi à celle-ci. Les filles sont contentes de célébrer le succès des autres. Ça fait une grosse différence. On est toutes sur la même page. Aujourd’hui, on est fières de pouvoir ramener la médaille d’or au Canada. »

Attends, Marie-Philip. Tu vas trop vite.

Des anges ? Quels anges ?

J’ai toujours mes grands-parents avec moi dans les moments importants. Je leur parle. Ils sont là depuis des années.

Marie-Philip Poulin

Leurs noms : Henri-Roch, Marie-Reine et Joseph. Ils ont inspiré Marie-Philip pour une de ses plus grandes prestations en carrière, jeudi. Un moment d’anthologie. De ceux dont on fait des minutes du Patrimoine, ou des documentaires, 30 ans plus tard.

Au milieu de la première période, tout juste après un but refusé au Canada, la centre de Beauceville a remporté la mise en jeu qui a mené au but de Sarah Nurse. Quelques minutes plus tard, elle a volé la rondelle de la palette du bâton de Kelly Pannek, qui amorçait une sortie de zone pour les Américaines. « J’ai soulevé son bâton. On s’était dit qu’on voulait mettre de la pression sur leur gardienne, alors j’ai essayé de lancer [tout de suite]. C’est rentré. »

Puis à la mi-rencontre, Capitaine Canada a saisi un long retour sur un tir de Brianna Jenner, et trouvé une mince ouverture pour battre Alex Cavallini. « Je suis chanceuse que ça ait touché la gardienne et que ça soit rentré. » Sauf que dans les grandes finales, les grandes joueuses comme Marie-Philip Poulin font aussi leur chance. En tirant souvent – trois fois jeudi. En allant récupérer des rondelles sur le bord de la bande. En exerçant un échec avant soutenu.

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La réaction de Marie-Philip Poulin après la victoire de son équipe.

« Marie-Philip, elle fait toujours les bonnes choses, a expliqué la gardienne Ann-Renée Desbiens. Peu importe contre qui on joue, elle bloque des lancers, elle fait ses replis, elle gagne des mises au jeu importantes, elle compte de gros buts. Elle fait toujours la bonne chose, au bon moment. »

Son entraîneur, Troy Ryan, lui a d’ailleurs rendu un hommage fort senti, alors qu’il se trouvait à côté d’elle, en conférence de presse.

« Marie-Philip est une joueuse spéciale. Honnêtement, je me surprends à me demander comment elle voit le jeu. Je tente de comprendre. J’aimerais pouvoir m’en servir pour que toute l’équipe en profite. Et même si elle n’est pas toujours volubile, qu’elle ne dit pas grand-chose, lorsqu’elle parle, je m’assure de porter attention à ce qu’elle dit. Parce que c’est probablement quelque chose de spécial. Quelque chose que, comme entraîneur, je peux apprendre. »

Heureusement, avec les journalistes, Marie-Philip parle un peu plus. Elle nous a confié que cette médaille d’or lui tenait particulièrement à cœur, après toutes les épreuves subies depuis le revers en tirs de barrage lors de la finale des Jeux de PyeongChang, en 2018.

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Marie-Philip Poulin et sa médaille d'or

« [Cette] défaite a fait mal. Très mal. Pouvoir mettre ça en arrière, Pouvoir utiliser ça comme motivation, d’avoir pu être résilientes… Le groupe au complet a mis l’effort, pendant la pandémie [en plus]. Peu de gens le savent, mais je pense que ça a fait la différence. Aujourd’hui, ça a payé. »

***

Si Marie-Philip Poulin fut le moteur de l’attaque canadienne, Ann-Renée Desbiens, elle, fut le frein d’urgence qui a permis d’éviter un dérapage. En avance 3-0 à la mi-match, les Canadiennes se dirigeaient vers une victoire facile. Sauf que les Américaines sont passées en cinquième vitesse, et elles ont trouvé des chemins jusqu’à la gardienne canadienne, même en infériorité numérique.

La Grande Muraille de Charlevoix a résisté. Une fois de plus, dois-je préciser. Dans le match préliminaire contre les États-Unis, Desbiens avait réalisé 51 arrêts, un record pour l’équipe olympique canadienne. Jeudi, elle a fait 38. Plusieurs malcommodes. Surtout en troisième période, face à Alex Carpenter (en échappée), Hilary Knight et Abby Roque. Les deux dernières minutes de la rencontre, disputées à 4 contre 6, furent particulièrement intenses, a-t-elle reconnu.

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Marie-Philip Poulin et Ann-Renée Desbiens savourent le moment.

Je me disais : arrêtes-en un à la fois… pis arrête le prochain !

Ann-Renée Desbiens

Pour Ann-Renée Desbiens, cette médaille d’or est particulièrement significative. Après les Jeux de PyeongChang, elle était mentalement épuisée. Elle avait d’ailleurs pris sa retraite du hockey, pour se concentrer sur sa maîtrise en comptabilité et son travail d’entraîneuse spécialisée. Elle est revenue dans l’équipe canadienne tardivement, il y a deux ans – au cœur de la pandémie.

« En grandissant, je rêvais de devenir médaillée d’or. Mais c’est un rêve que je ne croyais plus être possible. En 2018, j’avais fait une croix là-dessus. »

« [Maintenant] ce sera définitivement mon nouveau bijou préféré, ajoute-t-elle. « Je pense que je ne l’enlèverai pas trop souvent au cours des prochains jours [rires] ! » Un bijou qu’elle compte bien présenter à ses parents et ses amis au cours des prochains jours. « Mon père pleurait hier quand je lui ai annoncé que j’allais amorcer la rencontre. Je peux seulement imaginer comment il se sent présentement. Cette victoire, c’est pour eux, c’est pour moi, c’est pour nos coéquipières. »

Le Canada termine le tournoi avec la médaille d’or, mais aussi avec une fiche parfaite de 7-0 – et une abondance de nouveaux records olympiques. Celui du plus grand nombre de buts dans un tournoi (57). Celui de la meilleure compteuse (Brianne Jenner, 9). Celui de la meilleure passeuse (Sarah Nurse, 13). Celui de la meilleure marqueuse (Nurse, 18). Celui de la recrue la plus productive, de la défenseure la plus productive, de… de pas mal tout, en fait.

« C’est la meilleure équipe qu’on a formée avec Hockey Canada depuis que je suis là, en 2014, a affirmé Mélodie Daoust. Je sais que ça sonne un peu cheezy, mais on est vraiment une famille unie. Ça commence en haut, avec la DG, Gina Kingsbury, puis nos coachs et le groupe de leaders. On a changé l’atmosphère cette année. Ça a paru au Championnat du monde, et ça s’est poursuivi jusqu’ici. »

Jusqu’en Chine.

Un voyage et un parcours qui auront marqué les joueuses, et l’histoire du hockey canadien.