(Pékin) Qui ment le mieux : un athlète dopé ou un élève qui a échappé son devoir dans une bouche d’égout ?

L’élève, sans aucun doute. Mais il faut reconnaître que les dopés sont divertissants avec leurs affabulations. Le cycliste Floyd Landis a déjà expliqué sa hausse de testostérone par sa consommation abusive de whisky. Le marcheur Daniel Plaza, lui, a justifié son test positif à la nandrolone par un cunnilingus prodigué à sa femme enceinte. Quant au cycliste Tyler Hamilton, il était convaincu que la présence de cellules étrangères dans son corps était due à son frère jumeau – mort à la naissance.

Même dans Grey’s Anatomy, ça ne serait pas crédible.

C’est vous dire…

Le grand livre des histoires improbables de dopage s’est enrichi d’un nouveau chapitre, mardi.

Cette fois, le personnage principal est la patineuse artistique russe Kamila Valieva, gagnante du concours par équipes et favorite de l’épreuve individuelle, aux Jeux de Pékin. À moins d’avoir passé la dernière semaine dans un monde parallèle, à Ottawa ou à Windsor, je pense que vous connaissez tous un peu son histoire. Sinon, je vous renvoie à ce résumé.

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Depuis une semaine, donc, on se demande tous comment un médicament à faible recommandation contre les angines de poitrine, la trimétazidine, s’est retrouvé dans le corps d’une enfant de 15 ans. Comme me l’a souligné un cardiologue du CHUM, « il n’existe aucune indication médicale pour prendre une telle médication à 15 ans ». Ce que les Russes, d’ailleurs, ne contestent pas. Jamais ils n’ont plaidé que Kamila Valieva possédait une ordonnance pour la trimétazidine.

Alors, comment cette drogue bannie par l’Agence mondiale antidopage est-elle apparue dans son test antidopage ?

Ce serait la faute de papi.

Oui, oui, de papi.

Selon les médias russes, grand-papa est proche de sa petite-fille. Il l’accompagne régulièrement à ses séances d’entraînement. Les avocats de Kamila Valieva ont plaidé devant le Tribunal arbitral du sport, dimanche, que papi aurait peut-être pris de la trimétazidine pour traiter son cœur fragile. Que peut-être il aurait laissé traîner son verre d’eau. Que peut-être Kamila aurait ensuite bu dans ce même verre d’eau. Ou peut-être que Kamila aurait été en contact avec des traces du médicament laissées sur le comptoir.

Ouais.

Bien sûr.

C’est tout à fait crédible.

Qui, après tout, n’a jamais bu dans le verre souillé de papi ?

D’accord. Mais comment justifier, alors, la présence de deux autres médicaments contre les maladies cardiaques, permis ceux-là, retrouvés dans l’échantillon positif, comme l’a révélé mardi le New York Times ?

Vous posez trop de questions. Laissez au moins le temps à l’entourage de Valieva de lui préparer une défense. Un scénario digne d’un sketch de RBO, ça ne se construit quand même pas en une heure.

Toute cette saga devient lourde. Pour le mouvement olympique. Pour les amateurs de patinage artistique. Pour les concurrentes. Pour Kamila Valieva, surtout. Je le répète : à 15 ans, elle est une victime dans cette histoire.

J’ai assisté à son programme court, mardi, au Palais omnisports de la capitale, à Pékin. La jeune Russe avait les émotions à fleur de peau. Après sa performance remarquable, récompensée par la plus haute note de la soirée, elle s’est mise à sangloter. Elle a mis ses mains devant son visage, pour essuyer des larmes. Son entraîneure Eteri Tutberidze, dont les méthodes d’entraînement sévères sont critiquées, l’a accueillie et l’a réconfortée.

« Les derniers jours ont été très difficiles pour moi », a confié Valieva à la chaîne Channel One Russia.

« Je suis contente, mais émotionnellement fatiguée. Ces larmes, ce sont des larmes de joie, mais aussi un peu de tristesse. Bien sûr, je suis heureuse de participer aux Jeux olympiques. Je ferai de mon mieux pour représenter mon pays. »

Puis elle a ajouté : « Apparemment, c’est une étape que je dois traverser. Je reçois tellement de beaux messages. J’ai vu les bannières extérieures déployées à Moscou. C’est très plaisant. Ce soutien est très important, pour moi, dans ces moments difficiles. »

Parlant de soutien, les Russes étaient nombreux, dans l’aréna, pour l’encourager. Ils l’ont applaudie à tout rompre, même sur la galerie de presse, une hérésie en journalisme. Mon voisin de droite est arrivé seulement quelques minutes avant la routine de sa compatriote. Il n’a même pas sorti l’ordinateur de son sac à dos. Son seul geste, dans toute la soirée, fut d’applaudir la jeune patineuse. Puis il est reparti…

Et les autres spectateurs, eux, comment ont-ils réagi ?

Poliment. Personne ne confondra une foule de patinage artistique avec celle des Phillies de Philadelphie. Pas de huées. Pas d’affiche déplorable. Pas d’objet lancé sur la patinoire. Tant mieux, d’ailleurs.

Kamila Valieva complétera son parcours mouvementé aux Jeux de Pékin, dans les prochaines heures, avec son programme long. À moins d’une hécatombe, elle terminera première. Ou deuxième. Si c’est le cas, conformément au souhait du CIO, il n’y aura pas de cérémonie. Pas de médaille non plus. Juste rien.

Quel gâchis.

Dire que tout ça aurait pu être évité si papi n’avait pas laissé traîner son verre sur le comptoir…