Je croyais à une victoire des Rams, mais mon cœur était avec les Bengals.

À cause de Joe Burrow, leur exceptionnel jeune quart-arrière, dont l’arrivée à Cincinnati en 2020 a transformé la mentalité de l’équipe. Burrow est un gagnant, un vrai, dans le football universitaire il n’y a pas si longtemps, et chez les pros aujourd’hui. Quand il a hurlé de douleur au quatrième quart après avoir encaissé un choc violent, on s’est demandé si son match était terminé. Bien sûr que non. Il est revenu et s’est battu jusqu’au bout.

Les Bengals sont une organisation modeste de la NFL, qui célèbre avec fierté son passé. Leur stade porte le nom de leur fondateur, Paul Brown, pas celui d’une entreprise qui verse des millions en droits d’appellation. La concession appartient toujours à la famille Brown, et Mike, le fils du légendaire Paul, est aujourd’hui le propriétaire-président.

J’aurais aimé que Cincinnati, qu’on ne confondra jamais avec New York ou Chicago, gagne le premier Super Bowl de son histoire. Après la « Big Red Machine » des années 1970 au baseball, avec Pete Rose, Johnny Bench, Joe Morgan et tous les autres, Cincinnati était sûrement prêt à célébrer une « Big Burrow Machine ». Ce ne sera pas cette année.

Les Rams ? Ils représentent la business du sport dans son essence la plus pure et la moins agréable. L’attachement des fans à leur club ? Cela ne compte pas. L’équipe a quitté St. Louis en 2016 parce que son propriétaire, Stan Kroenke, estimait les perspectives économiques meilleures à Los Angeles. La ville de St. Louis l’a poursuivi et a reçu un dédommagement de 790 millions US dans un règlement à l’amiable.

Kroenke est un baron du sport professionnel. En plus des Rams, il détient l’Avalanche du Colorado (LNH), les Nuggets de Denver (NBA), les Rapids du Colorado (MLS) et Arsenal (Premier League anglaise). À Los Angeles, il a construit un complexe de 5 milliards avec, comme point d’ancrage, le stade où a été présenté ce Super Bowl.

Au-delà de ces considérations, les Rams forment une organisation redoutable qui assume sa personnalité et croit en sa philosophie.

On bâtit pour gagner maintenant, pas dans l’espoir de devenir concurrentiels dans trois ou cinq ans. Les Rams troquent sans crainte leurs premiers choix au repêchage. Leur objectif : acquérir des vétérans à la feuille de route éprouvée, qui renforcent leur équipe dès maintenant.

C’est ainsi qu’ils ont mis la main sur Matthew Stafford, des Lions de Detroit, l’hiver dernier. Après 12 saisons au sein de cette équipe incapable d’avoir du succès, le quart-arrière de 34 ans obtenait enfin la chance de s’aligner avec un club concurrentiel.

Stafford est un modèle d’engagement sur le terrain. Saison après saison, il s’est fait frapper durement, mais n’a jamais abandonné. Il a tout fait pour tirer vers le haut les médiocres Lions. Peine perdue.

Aujourd’hui, Stafford est champion du Super Bowl et le mérite pleinement. Avec les Rams, il a travaillé aux côtés d’un jeune entraîneur dynamique et créatif, Sean McVay. Le reste, comme on dit, fait partie de l’histoire.

Stafford a connu un match souvent frustrant face aux Bengals. Comme Burrow, il a été durement frappé en deuxième demie et on craignait pour l’état de sa cheville et de son pied. Mais pas question de prendre un répit dans un duel comme celui-là.

Peu après ce moment d’inquiétude, Stafford a orchestré la remontée des Rams avec le jeu clé du match : quatrième essai et une verge à franchir, de leur propre ligne de 30. En cas d’échec, les Bengals auraient repris le ballon dans une position très favorable et peut-être augmenté leur avance. Staffford a remis le ballon à Cooper Kupp qui a couru pour le premier jeu.

Jusque-là, Kupp connaissait un match plus difficile. En l’absence d’Odell Beckham fils qui a quitté le match en raison d’une blessure en première demie, il était surveillé de près par les Bengals. Mais il a répondu présent quand son équipe a eu besoin de lui en fin de match.

Les efforts de Kupp lui ont valu le titre de joueur par excellence de la rencontre, un honneur qui aurait aussi pu échoir à Aaron Donald, le leader de leur défense. Ou même à Stafford, qui a composé avec la perte de Beckham fils, les ennuis de ses demis offensifs… et les Lions de Detroit durant trop longtemps !

On dit souvent que, dans les grandes ligues professionnelles, la recette choisie par les nouveaux champions pour atteindre le sommet inspire les concurrents. Les Rams auront-ils cet effet ?

En ne privilégiant pas le repêchage, ils s’inscrivent en faux contre une tendance lourde de l’industrie (sauf peut-être dans le baseball majeur, où le marché des joueurs autonomes joue un rôle souvent déterminant).

Leur victoire, les Rams la doivent beaucoup à des joueurs ayant bâti leur réputation au sein d’autres équipes, comme Stafford, Beckham fils et Von Miller.

Cela en dit long sur la forte personnalité de leur entraîneur Sean McVay, guère plus âgé qu’eux. Pour s’imposer au sein d’un groupe aussi expérimenté, il faut être adroit, alerte et excellent communicateur. Bâtir une équipe championne autour de joueurs expérimentés et issus d’autant d’organisations est un exploit remarquable. Les Rams ne seraient pas champions sans lui.

Ce Super Bowl nous en a mis plein la vue (le match, bien sûr, mais aussi le spectacle de la mi-temps, la musique, la scène, wow !).

L’affrontement a été à l’image de ces éliminatoires exceptionnelles de bout en bout. Je ne me souviens pas d’avoir vu autant de matchs si excitants en quelques semaines. Les Rams et les Bengals ont volé le show, bien sûr, mais les Chiefs de Kansas City, les Bills de Buffalo et les 49ers de San Francisco ont aussi connu des moments forts.

Déjà hâte à la saison prochaine. Et si les Bengals améliorent leur ligne offensive, attention…