(Pékin) Certains l’aiment chaude, d’autres la préfèrent froide. Et bien entendu, il se trouve toujours quelqu’un pour dire que la glace de l’anneau de vitesse était trop dure ou trop molle.

Mais c’est rarement le gagnant d’une médaille d’or, encore moins s’il vient de battre le record du monde.

Sauf que le Suédois Nils van der Poel n’est pas un athlète ordinaire. Après un record olympique et une médaille d’or au 5000 m la semaine dernière, le champion a fait une sortie violente contre l’équipe néerlandaise. Il a accusé leur conseiller scientifique, Sander van Ginkel, de tricherie caractérisée. Il l’a accusé d’être allé faire du lobbying auprès du responsable de la glace olympique pour qu’elle soit à l’avantage des Néerlandais.

Vous me direz : comment une glace peut-elle avantager une nation plutôt qu’une autre, vu que tout le monde concourt sur la même ?

Parce que chaque équipe est habituée à certaines conditions de glace, dont la température peut varier de - 7 à - 15 oC selon les anneaux.

Les Polonais, à ce qu’on dit, patinent plutôt sur du - 9 à la maison. Les Néerlandais, sur du - 13 à - 15. Pour le sprint, on préfère des glaces plus molles, pour avoir une bonne prise ; pour les longues distances, les glaces plus dures aident la glisse.

La Mecque du patinage de vitesse mondiale, l’anneau de Thialf, à Heerenveen, aux Pays-Bas, serait tenu plutôt du côté bas – encore que les données officielles varient d’une compétition à l’autre.

Le jeu des Néerlandais, donc, serait de retrouver aux Jeux olympiques les conditions les plus proches de ce qu’ils connaissent à la maison.

Dans une entrevue à un site spécialisé néerlandais, van Ginkel s’est vanté d’être allé voir le patron de la glace olympique, le Canadien Mark Messer, pour lui faire part de ses observations sur la température de la glace.

Je le cite, tel que traduit par Reuters, puis par moi : « En lui montrant mes propres mesures, j’espère convaincre Messer et son équipe de mes idées. Ce que j’ai surtout essayé de faire, c’est de lui donner de l’information nouvelle. Par exemple, il sait maintenant que la température de la glace est légèrement au-dessus de zéro tout de suite après la pause pour le resurfaçage.

« Messer comprend que je partage ces informations avec lui parce que notre équipe peut être avantagée si les conditions sont idéales… Écoutez, à la fin, c’est la responsabilité de Messer. Mais en disant les choses et en continuant à insister pour que des ajustements soient faits en notre faveur, nous pourrons accomplir davantage. »

Van der Poel a vu dans ces propos une tentative éhontée d’influencer la gestion de la glace en faveur de l’équipe orange.

« Ou bien ils tentent d’obtenir une glace qui serait à leur avantage, ce qui serait une abomination, ou bien ils font publier cette information pour obtenir un avantage psychologique », a-t-il dit.

Non content d’avoir remporté le 5000 m, le Suédois a ensuite remporté le 10 000 m, en battant le record du monde, après une fin de course hallucinante, où il a fini en accélérant. Il faut savoir que les records, olympiques ou du monde, ne sont pratiquement jamais battus au niveau de la mer, où se situe Pékin. Mais depuis le début des Jeux, chaque course a vu l’établissement d’un nouveau record olympique sur la distance, ce qui est tout à fait exceptionnel. L’anneau de glace est la seule vraie nouvelle installation ici, et les Chinois en sont particulièrement fiers. J’ai assisté à la conférence de presse technique du responsable du « ruban » ; c’était sa deuxième, tellement il y avait de demande des médias chinois.

Des Québécois ont d’ailleurs fait partie du consortium ayant construit les installations – Guy Evon Cloutier, de Québec, a dirigé plusieurs travaux.

Cet anneau de glace est en quelque sorte le joyau des JO de Pékin. Plusieurs installations ont simplement été recyclées.

Alors, de voir inscrit dans l’histoire le nom des Jeux comme lieu de record olympique revêt une importance majeure, politique, même : c’est une preuve du génie technique chinois, responsable d’un système révolutionnaire de refroidissement au CO2.

C’est comme si Pékin « signait » des records, improbables en basse altitude (ils étaient presque tous à Calgary ou Salt Lake City).

Après son triomphe au 10 000 m, donc, van der Poel a maintenu ses attaques, n’a rien rétracté.

Inutile de dire que Mark Messer, un homme à la réputation impeccable et connu pour son indépendance, est furieux. « C’est une atteinte à ma réputation, je suis extrêmement insulté, ces insinuations totalement fausses, je lui ai dit [à van Ginkel] de ne pas revenir, que je ne lui donnerais aucune information que je ne donne pas aux autres », a-t-il dit à Reuters.

Messer, aussi responsable de l’anneau de Calgary, est un maître de la fabrication de glace d’anneaux de vitesse, un perfectionniste ayant travaillé comme consultant principal dans six olympiades.

Van der Poel, il faut dire, n’est pas seulement le meilleur au monde, il est un esprit rebelle et un innovateur.

Il a publié un long document expliquant sa technique d’entraînement, en rupture totale avec la culture dominante. Il s’entraîne uniquement sur cinq jours, mais en plus grande intensité. Il fait ses longues distances à vitesse de compétition, donc élevée, pour être capable de finir en force – alors que la doctrine traditionnelle privilégie les entraînements à basse vitesse et les intervalles à haute intensité. Il prend deux jours de congé complets par semaine. « Il en profite pour s’amuser ; il peut faire du ski de fond, mais pas dans une optique d’entraînement, vraiment comme une activité de loisir », m’explique Erik van Lakerveld, du quotidien Volkskrant, d’Amsterdam, qui couvre le patinage de vitesse à temps plein depuis 12 ans.

PHOTO PAUL CHIASSON, LA PRESSE CANADIENNE

Le Suédois Nils van der Poel, lors du 10 000 m

Mieux : van der Poel, 25 ans, avait fini 14e au 10 000 m à PyeongChang, il y a quatre ans. Il avait ensuite abandonné la discipline totalement. Il n’a remis ses patins de compétition qu’en 2020… Et voilà qu’il annonce, après son triomphe olympique… sa retraite. Après cette saison, c’est fini.

Bref, autant ses propos outranciers ont choqué, autant ça ne pouvait venir que de cet iconoclaste qui renverse les idées reçues.

« S’il s’était contenté de critiquer le fait que van Ginkel ait accès au responsable de la glace, il aurait soulevé une bonne question, opine le collègue van Lakerveld. Peut-être devrait-il y avoir uniquement des rencontres officielles, et non pas de ces rencontres individuelles, qui donnent de mauvaises apparences. Mais toutes les équipes font valoir leur point de vue. Parler de corruption, de dire que c’est pire que du dopage, c’est pousser le bouchon, c’est ridicule. Sur les longues distances, personne ne veut une glace moins dure ! Tout le monde veut une glace plus froide. »

Selon les relevés officiels de l’Union internationale de patinage, la glace à Pékin était à - 11 oC pour le 10 000 m, à - 11 oC pour le 500 m… et personne n’a rien pu y changer.

La thèse du dopage par Zamboni semble donc assez glissante pour le moment.