(Pékin) C’est quoi, la différence entre une sixième place et une médaille ? Il n’y a pas si longtemps, Isabelle Weidemann aurait répondu, comme bien des athlètes : plus d’entraînement, plus fort, plus longtemps !

Jeudi, après avoir décroché l’argent au 5000 m longue piste, après le bronze au 3000 m samedi, elle a plutôt répondu : la joie. Non pas plus d’entraînement, mais plus de plaisir dans l’entraînement. Et bizarrement, la pandémie l’a aidée.

L’anneau de glace de Calgary a été fermé longtemps. Il a fallu trouver d’autres méthodes. Changer la routine. Réfléchir à l’entraînement. Au sens même de ce qu’elle faisait.

« Je réalise, heille, ma job, c’est de patiner, c’est quand même incroyable. Je suis tellement chanceuse ! »

« Je me rends compte que ça ne pouvait plus durer comme avant, je ne pouvais continuer comme ça, à être trop dure envers moi. J’ai plus d’indulgence et de compassion pour moi… »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Isabelle Weidemann

L’entraînement n’est jamais devenu plus facile, entendons-nous bien. C’est du 20 à 30 heures par semaine selon les cycles, sans compter la préparation, l’alimentation, la physio, le sommeil…

Mais elle n’approche plus les choses de la même façon. « Il faut penser à apprendre et progresser. Souvent les athlètes sont leurs pires ennemis. On est des personnalités de type A, et ça m’a rendue bonne dans mon sport, mais dans ce sport, tout le monde s’entraîne fort, ça ne peut pas être la solution, juste en faire plus. Ce n’est pas productif de s’entraîner comme une brute et de ne pas avoir de joie ; j’ai retrouvé le feu », a dit l’athlète née à Ottawa. Ses déceptions aux Jeux de 2018 (6e, 7e, 4e) sont loin derrière.

On ne sera pas étonné en entendant ce discours sur la gratitude d’apprendre que sa mentore est Clara Hughes, ex-championne olympique et médaillée tant en cyclisme qu’en patinage de vitesse. « Elle m’écrit souvent, et elle m’a écrit encore avant la compétition. Elle m’a dit d’être dans le moment présent, de ne pas me laisser submerger par l’ampleur de l’évènement. Ça enlève tellement de pression. »

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À quoi ça ressemble, au fait, patiner 5000 m en 6 min 48 s ? Ces enjambées si fluides qui semblent faire glisser les corps sans résistance ? C’est une épreuve de douleur intégrale.

« Tu perds le compte des tours assez vite… Je pense juste au rythme, à la technique, ça m’aide à rester concentrée ; souvent je ne regarde pas combien il en reste, et à la fin, je compte juste les coins… Je me dis : il reste trois coins, deux coins…

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Isabelle Weidemann

« Ça devient difficile assez vite, tes jambes sont comme de la roche [venant d’une géologue, la métaphore doit être prise au sérieux], ça brûle, après c’est difficile de plier ses genoux, de garder ta technique, et pour moi, c’est toujours dur de rester aussi penchée que possible. À la fin, ta vision se restreint, tu ne vois plus bien autour, tout est flou. Je ne savais plus où j’étais, je voulais seulement demeurer sur mes jambes, ne pas vomir… »

Puisqu’elle vous dit qu’elle a une belle job.

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L’autre chose qui a changé dans la vie d’Isabelle Weidemann, entre les Jeux de PyeongChang et ceux de Pékin, c’est son entraîneur. Si le Canada exporte ses entraîneurs de curling, les Pays-Bas exportent leur savoir-faire en patinage de vitesse : Remmelt Eldering, ex-athlète néerlandais, est maintenant chargé de l’équipe féminine. Et de toute évidence, la connexion est parfaite entre les deux.

« Mon père disait toujours qu’on ne passe pas de la cave au grenier d’un seul coup, il faut y aller une marche à la fois, et le secret dans l’entraînement, c’est la constance », a résumé le coach.

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Isabelle Weidemann

Un des problèmes de Weidemann, c’est qu’elle avait d’excellents résultats en automne, et décevants en hiver. Or, comme leur nom l’indique, les JO d’hiver sont en hiver, plus précisément en février, un mois historiquement médiocre pour elle. Plus maintenant.

« Sa force, c’est qu’elle ne se fait jamais prier pour s’entraîner, beau temps, mauvais temps, par - 30 ou par jour chaud, et s’il faut faire deux heures de vélo, elle veut en faire deux heures et demie. Elle aime ça. »

« Sans Remmelt, je ne serais pas ici. »

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Après avoir réalisé le meilleur chrono des 10 premières patineuses, Weidmann était assurée d’une médaille. Il restait toutefois une paire : l’Italienne Francesca Lollobridigida et, surtout, la Néerlandaise Irene Schouten. Les deux sont parties très vite. Trop pour l’Italienne, qui a frappé le mur en milieu de course. Mais Schouten est allée chercher une deuxième médaille d’or, après sa victoire au 3000 m, et un deuxième record olympique en une semaine. Les Pays-Bas ne raflent plus de podiums au complet, mais ce sport leur appartient encore.

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La Canadienne Isabelle Weidemann, la Néerlandaise Irene Schouten et la Tchèque Martina Sábliková sur le podium

Il reste pour l’équipe féminine la poursuite par équipes, où le Canada, avec Weidemann, Valérie Maltais et Ivanie Blondin, vise un autre podium, et encore un peu plus de joie à ramener à la maison, pourquoi pas, c’est hors taxes.