Les joueurs du Canadien ont-ils pris une douche froide en apprenant que Martin St-Louis devenait leur nouvel entraîneur ?

C’est ainsi qu’avait réagi Patrick Roy en octobre 1995 lorsque Mario Tremblay avait succédé à Jacques Demers. Il voulait ainsi s’assurer d’être bien « réveillé », manière mordante de manifester son incompréhension.

Comme St-Louis, notre « Bleuet » national n’avait aucune expérience significative au poste d’entraîneur. La suite ? Mario a accompli un travail honnête, conduisant deux fois le CH en séries éliminatoires. Mais les féroces critiques à son endroit, souvent injustes, ont eu raison de lui et il a quitté son poste au printemps 1997.

On verra si St-Louis redonnera du lustre au CH au cours des prochaines semaines. Étant donné qu’il s’agit pour lui d’un vertigineux plongeon dans l’inconnu, il n’a rien à perdre. Impossible d’avoir des attentes envers un gars n’ayant jamais fait ses classes derrière un banc.

Souhaitons que St-Louis affiche le même mordant dans son nouveau rôle qu’à l’époque où il était un des meilleurs attaquants de la LNH. Le CH, une équipe disloquée, a besoin d’une nouvelle voix, et la sienne portera peut-être.

Jeff Gorton et Kent Hughes sont dans une situation très différente. Avec cette nomination audacieuse – les plus cyniques la qualifieront plutôt d’incompréhensible –, les deux nouveaux hommes forts du CH jouent très gros.

Il s’agit en effet de leur première décision majeure à la tête de l’équipe. Si St-Louis a du succès, on saluera leur vision. Dans le cas contraire, on s’interrogera sur leur jugement et on s’inquiétera pour l’avenir.

À première vue, le duo Gorton-Hughes semble démontrer sa capacité à penser de manière originale, hors des sentiers battus.

Sans être faux, ce n’est pas entièrement vrai non plus. En choisissant St-Louis, Gorton et Hughes s’inscrivent dans une vieille tradition du sport professionnel : on embauche des gens avec qui on entretient déjà des liens.

En ce sens, Gorton et Hughes montrent leur conservatisme et, surtout, leur refus de sortir de leur zone de confort. Pas question d’être bousculés par un candidat qu’ils ne connaissent que de réputation et avec qui leur relation serait potentiellement plus houleuse. Cela élimine d’entrée de jeu des gens forts et établis comme Patrick Roy et Guy Boucher.

Si cette recette est bien connue, Gorton et Hughes ajoutent un nouvel ingrédient. Ils optent pour un néophyte derrière le banc, ce qui révèle leur conception du métier d’entraîneur-chef. Pas besoin d’avoir du bagage pour réussir, tout est possible si on y met du cœur et des heures. Dans le sport professionnel contemporain, où beaucoup d’entraîneurs ont peaufiné leurs connaissances au fil des années, c’est un immense pari et, quelque part, un retour dans le passé.

Hughes, qui ne possédait lui-même aucune expérience dans la gestion d’un club de hockey avant d’être nommé DG du Canadien, se sent-il plus à l’aise ainsi ? Voulait-il éviter que ses décisions soient remises en question par un entraîneur expérimenté ? J’espère que non, mais la question se pose.

Si St-Louis a travaillé un moment avec les Blue Jackets de Columbus, il n’a jamais dirigé d’équipe dans les rangs juniors ou la Ligue américaine, il n’a jamais été à la tête d’une vaste équipe d’adjoints, il n’a jamais eu le dernier mot sur le plan de match ou l’utilisation des joueurs et il n’a jamais été le principal porte-parole d’une équipe. Espérons qu’il apprenne vite, car la LNH est impitoyable, comme Dominique Ducharme le sait maintenant trop bien.

St-Louis est nommé entraîneur-chef « par intérim » du Canadien. Selon le bien branché commentateur Elliotte Friedman de Hockey Night in Canada, le plan serait de voir comment les choses se dérouleront jusqu’à la fin de la saison et discuter ensuite de l’avenir.

J’avoue ma stupéfaction. Le CH est-il devenu une organisation si déboussolée qu’on essaie des trucs en croisant les doigts dans l’espoir que ça marche ? Il ne faudrait pas que le Canadien de Montréal, une des grandes organisations sportives au monde, devienne subitement un banc d’essai.

J’imagine que St-Louis lui-même a l’absolue conviction qu’il est fait pour ce métier. Mais il aurait dû le démontrer plus tôt, à l’image de Daniel Brière et de Mathieu Darche, qui gravissent les échelons de belle façon dans l’espoir de devenir un jour DG d’une équipe de la LNH.

D’autre part, si St-Louis veut diriger le CH à long terme, Gorton et Hughes auraient dû montrer leur foi en lui en retirant l’étiquette « par intérim » et en annonçant qu’il serait derrière le banc la saison prochaine. Cela aurait envoyé un signal clair aux fans – il est notre homme de confiance – et un message plus percutant aux joueurs.

Malgré les doutes qui m’habitent à propos de la nomination de St-Louis, j’avoue que son arrivée représente une bouffée d’air frais. L’équipe sombre plus bas que bas et redresser la barre était nécessaire.

En ce sens, Gorton et Hughes ont eu raison de remplacer Ducharme, malgré leurs assurances inverses. La situation était devenue intolérable et le revers sans appel de mardi contre les Devis du New Jersey a été celui de trop.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Jeff Gorton, vice-président aux opérations hockey du Canadien

Impossible de rester insensible face au sort de Ducharme, un homme charmant et compétent. Pour lui, le rêve s’est transformé en cauchemar en quelques mois à peine. Une combinaison rare de blessures, d’éclosion de COVID-19 et de mauvaises décisions de l’administration précédente ont eu raison de sa meilleure volonté.

Je souhaite à Ducharme de panser ses plaies et, ensuite, de relancer sa carrière, même s’il lui faudra du temps avant de redevenir entraîneur-chef dans la LNH. Les parcours d’Alain Vigneault et de Michel Therrien montrent néanmoins que c’est possible. Malgré la peine, il faut s’accrocher. Je suis convaincu que Ducharme optera pour cette voie.

Quant à nous tous, amateurs de hockey, les prochaines semaines, qui s’annonçaient interminables, suscitent maintenant un vif intérêt. La nomination de St-Louis n’a pas l’impact qu’aurait eu celle de Roy ou de Boucher, et surtout pas le même effet rassurant, mais elle apporte du piquant.