J’avoue mon agréable surprise. Si bien que, après le premier point de presse de Martin St-Louis comme entraîneur-chef du Canadien, j’ai fouillé dans ma mémoire : quelle est la dernière fois où les propos, l’attitude et la confiance d’un nouveau coach d’une équipe québécoise m’ont autant étonné ?

J’ai plongé dans mes souvenirs pour trouver la réponse. C’était le 22 mai 1992, il y a près de 30 ans. Ce jour-là, à la suite d’un décevant début de saison, les Expos ont nommé Felipe Alou gérant de l’équipe. Avec son assurance et son charme, cet homme extraordinaire a envoûté son auditoire. Tout y était : la profonde connaissance de son sport, un désir de changer les choses, une touche humaine bien sentie et un occasionnel trait d’humour. Alou était porteur d’espoir.

St-Louis, pourtant pas le plus bavard des joueurs durant sa carrière, a provoqué en moi une réaction semblable. L’homme a de la présence. Son veston sombre et sa chemise bleue ont mis en valeur ses yeux vifs et ses cheveux poivre et sel. De bout en bout, il a dégagé une image d’autorité, ne montrant aucune nervosité.

Lorsqu’un journaliste l’a interrogé sur son peu d’expérience, rappelant qu’il n’avait dirigé des équipes qu’à un niveau « très, très junior », St-Louis a souri et lancé : « T’es gentil, il me semble que c’était pee-wee… »

Cette réplique m’a impressionné. Au lieu de tourner autour du pot dans l’espoir d’éviter cet enjeu crucial, il l’a affronté directement. Cela illustre son cran. Et s’il a reconnu son absence d’expérience derrière le banc, il a fait un bon travail dans l’espoir d’en minimiser les conséquences. « Si tu veux juste des choses faciles [dans la vie], c’est dur de grossir comme humain », a-t-il dit.

Pour l’instant, la comparaison entre Alou et St-Louis s’arrête ici. Le premier, lui aussi joueur doué, a été le meilleur gérant de l’histoire des Expos et a joui d’une énorme cote d’amour auprès du public québécois. Plus important encore : Alou est entré en poste fort d’un immense bagage en coaching, ayant occupé plusieurs rôles chez les Z’Amours au cours des 15 années précédentes.

Le parcours de St-Louis après sa carrière de joueur n’a pas cette richesse. Il a été un attaquant exceptionnel doté d’une force de caractère peu commune. Ses réussites sont inspirantes et il suscite l’admiration de toute la communauté du hockey.

Mais une fois ce constat dressé, regardons la réalité en face : le fait que St-Louis n’a jamais dirigé d’équipe n’est pas anecdotique. On arguera qu’écarter les obstacles et surprendre les gens ne croyant pas en lui est sa marque de commerce. Le DG Kent Hughes a rappelé qu’il ne fallait jamais parier contre le nouveau coach.

L’argument est solide, mais ne me convainc pas totalement. St-Louis jouait au hockey depuis l’enfance avant de s’imposer comme super-étoile dans la LNH. Ses expériences sur la patinoire étaient multiples et variées.

Dans son nouveau rôle, rien ne lui servira de point d’ancrage, sinon les leçons tirées des entraîneurs qui l’ont dirigé. C’est sûrement un énorme atout lorsqu’un ancien joueur souhaite devenir commentateur dans les médias, mais c’est très peu pour mener une équipe de la LNH.

Les joueurs clés exercent un leadership fort dans le vestiaire, mais cet ascendant est différent de celui exigé d’un entraîneur. On verra au fil du temps si St-Louis franchira avec succès cette frontière. Pour le CH, le pari est immense.

L’expérience tentée par le Canadien aura peut-être du retentissement dans la LNH. Si St-Louis obtient du succès, d’autres organisations songeront à confier les guides de leur équipe à une ancienne star, aussi inexpérimentée soit-elle.

On assisterait alors à un changement de paradigme où la qualité des liens avec l’administration en place deviendrait plus importante qu’un palmarès bien rempli, comme c’est déjà le cas chez le Canadien.

Résultat, de nombreux coachs attendant leur chance d’atteindre la LNH dans la Ligue américaine ou les rangs juniors pourraient ne jamais en avoir l’occasion. Certains d’entre eux s’en inquiètent sûrement depuis l’annonce de la nomination de St-Louis. Car pour lui, « rêver » de prendre place derrière le banc d’une équipe de la LNH a été suffisant pour obtenir le poste. Avouons qu’il a gagné le gros lot.

Les propos de St-Louis, qui parle franc, n’ont laissé planer aucun doute : il souhaite demeurer longtemps entraîneur du Canadien. Il ne vient pas à Montréal comme « professeur suppléant », a-t-il lancé avec vivacité. S’il ne se formalise pas de l’étiquette d’entraîneur-chef « par intérim », il n’envisage pas son poste ainsi.

Peut-il réussir ? Malgré mes réserves, je pense que oui. Ses propos ont levé le voile sur trois aspects cruciaux du coaching, un métier au sujet duquel il a manifestement beaucoup réfléchi.

Sur le plan technique, il a fait une distinction éclairante sur la différence entre système de jeu et concept de jeu, et indiqué la nécessité pour ses joueurs de « lire » l’action sur la patinoire.

Sur le plan de l’approche psychologique globale, il a indiqué que les joueurs devaient être heureux pour bien performer, ce qui est l’a b c d’une gestion moderne. Tout cela en rappelant qu’un joueur fait mal à son image et à sa carrière si l’effort n’est pas au rendez-vous.

Enfin, sur le plan relationnel, il a expliqué que chaque membre de l’équipe était un homme différent et que cela avait un impact déterminant sur la manière de le diriger.

Si St-Louis peut transformer toutes ses réflexions en actions concrètes, s’il a la patience de diriger des joueurs moins doués que lui, s’il sait tirer les bonnes ficelles aux moments appropriés, s’il ne se laisse pas submerger par l’immense notoriété publique qui est désormais la sienne et s’il apprend très, très vite, alors peut-être nous surprendra-t-il encore une fois.

Chose certaine, l’intention est là. Reste à savoir si ce sera suffisant.

Bonne chance, Martin St-Louis !