(Pékin) Quinze ans. C’est jeune pour échouer à un test antidopage. Tellement jeune que l’Agence mondiale antidopage (AMA) considère les athlètes de cet âge comme des « personnes protégées* ». D’où l’imbroglio juridique qui paralyse depuis 48 heures la remise des médailles du concours par équipes de patinage artistique : comment gérer le cas exceptionnel de la jeune Kamila Valieva ?

Rappel des faits. La jeune patineuse a offert deux performances grandioses, samedi et lundi, dans le concours par équipes. Et encore, grandiose, c’est insuffisant pour décrire son exploit. Elle est devenue la première femme à réussir un quadruple saut aux Jeux. Mieux, elle l’a fait deux fois ! « Un phénomène », s’est emballé le New York Times. « Une performance historique », s’est extasié ESPN. « L’histoire est faite », a enchaîné NBC.

Sa domination a été telle qu’elle a frôlé le record du monde avec son programme court, battant sa plus proche rivale par 15 points – sur 90 ! Elle a ensuite largué toutes ses concurrentes par plus de 30 points dans le programme long. La partie de hockey entre les Canadiennes et les Suissesses était plus serrée que ça…

Ses coéquipiers et elle devaient récupérer leur médaille d’or mardi soir. Mais à la toute dernière minute, la cérémonie a été retardée. D’une demi-journée. D’une journée. D’une journée et demie. Ça fait maintenant deux jours. C’est à se demander ce qui se produira en premier : la cérémonie, ou une victoire de l’équipe chinoise en hockey masculin.

L'agence chargée des contrôles aux Jeux de Pékin, l'ITA, a confirmé que la jeune Valieva a échoué un test antidopage le 25 décembre. C’est quoi, ça ? Un médicament essentiel en cardiologie pour des indications bien précises, et qui aide à prévenir les angines de poitrine. C’est interdit par l’AMA depuis 2014, car ça pourrait aider un athlète à maintenir un rythme cardiaque élevé plus longtemps. C’est surtout employé dans les épreuves d’endurance, et même là, ce n’est pas si fréquent. Le cas de dopage le plus célèbre à la trimétazidine est celui du nageur chinois Sun Yang, triple champion olympique.

Là où l’affaire devient compliquée, c’est que Kamila Valieva n’a que 15 ans. Or, selon le code de l’AMA, « la divulgation publique obligatoire ne sera pas exigée lorsque le sportif […] qui a été reconnu coupable de violation des règles antidopage est un mineur, une personne protégée ou un sportif de niveau récréatif ». D’ailleurs, l’AMA et le CIO n’avaient pas encore confirmé, jeudi soir, le cas de dopage de la jeune patineuse.

Pour ajouter une touche de complexité, Valieva est russe. Et les Russes, c’est documenté, sont les champions mondiaux toutes catégories du dopage.

D’ailleurs, aux Jeux de Pékin, la Russie n’est même pas un pays officiel. Une conséquence, justement, d’une tricherie immense. La plus grave de l’histoire sportive. Aux Jeux de Sotchi, des agents avaient trafiqué des échantillons, pour blanchir les résultats positifs des athlètes russes. L’AMA a par la suite banni la Russie des grandes compétitions internationales, comme les JO.

Enfin, presque…

Le pays est banni, mais pas les athlètes. Ceux-ci peuvent participer aux épreuves. Ils peuvent s’habiller en bleu, blanc, rouge. On leur a même concocté un joli petit logo, qui intègre le drapeau russe dans la flamme olympique. Je vous le jure, on n’y voit que du feu. Sauf qu’à Pékin, on ne peut plus dire Russie. C’est plutôt le Comité olympique russe.

Mouais…

Pas une grosse punition, ça.

On ne peut donc pas faire abstraction du fait qu’une fois de plus, une histoire de dopage implique la Russie. En revanche, impossible d’ignorer le fait que la jeune fille au cœur du scandale n’a que 15 ans. Pensez-y : au Québec, Kamila Valieva serait en 4e secondaire.

Les circonstances de son dopage sont pour le moment inconnues. Mais historiquement, les athlètes qui se sont dopés à l’adolescence l’ont souvent fait sous la contrainte d’un entraîneur, d’un parent, d’un État, ou des trois. D’ailleurs, en 2015, le ministre des Sports de la Russie avait dénoncé les entraîneurs qui dopaient des adolescents, dans l’espoir de toucher les bonis de performance liés aux résultats de leurs protégés.

« Nous nous rendrons dans les écoles de sports pour enfants, et nous taperons sur les mains des entraîneurs qui sont prêts à tout pour remporter les championnats et les bonis », avait déclaré Vitaly Mutko. (M. Mutko a été suspendu à vie des Jeux, en 2017, pour son implication dans le scandale de dopage. Il a gagné son appel en 2019.)

Alors, comment dénouer l’impasse ?

Comme le font l’AMA et le Comité international olympique présentement. En prenant le temps de retourner toutes les pierres. Avant de préparer le bûcher pour Kamila Valieva, attendons de connaître les circonstances de la prise de son médicament, de savoir si elle a subi des pressions pour le faire, et si c’est le cas, de qui. Elle pourrait s’en tirer avec une simple réprimande. Par contre, si elle a bel et bien profité d’un avantage sur ses adversaires, ses coéquipiers et elle devront faire le deuil de leur médaille d’or.

* Selon le Code de l’Agence mondiale antidopage, un athlète qui, au moment de la violation des règles, n’a pas atteint l’âge de 16 ans est considéré comme une « personne protégée ».