(Pékin) Steven Dubois se souvient des Jeux de 2018. Il se levait à 5 h chaque matin à Terrebonne pour regarder ses amis aux Jeux de PyeongChang. Il avait été leur partenaire d’entraînement, il avait fait toute la préparation avec eux. Mais il n’avait pas son billet pour les Jeux. Quand l’équipe masculine a pris le bronze au relais, il a pleuré.

« Je sentais que j’avais contribué à une partie de leur succès », nous a dit le patineur de 24 ans.

Mais mercredi soir à Pékin, avec sa médaille d’argent au 1500 m, il n’était plus l’athlète de l’ombre. C’était son succès à lui, entier, éclatant, au terme d’une course tactique gérée brillamment.

Dans une soirée pleine de catastrophes et de joies pour l’équipe canadienne, disons donc : dans une soirée de patinage de vitesse courte piste, il a causé la surprise en remportant l’argent au 1500 m.

Surprise, d’ailleurs, pas tant que ça. Tout le monde n’en avait que pour le vétéran Charles Hamelin, dont c’était la dernière course olympique individuelle d’une glorieuse carrière. Mais les initiés misaient davantage sur ses successeurs, Pascal Dion et Dubois. Les deux sont moins médiatisés, mais ont souvent obtenu de meilleurs résultats ces dernières saisons.

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Revenons donc sur cette médaille d’argent, décidée au photo-finish, dans une finale qui a failli ne pas avoir lieu pour Steven Dubois – lui-même « un peu surpris », a-t-il concédé.

Les trois Canadiens avaient atteint la demi-finale. Mais Dion, après un quart de finale à un train d’enfer (le record olympique y a été battu !), n’avait plus de carburant. Il a été laissé derrière dans sa vague. Il a eu un contact avec le Hongrois Shaolin Sandor Liu, après quoi il n’avait tout simplement « plus de jambes ».

Charles Hamelin, lui, a tenté un dépassement un peu serré, s’est fait toucher, a été déporté, a touché à son tour un autre, et n’a pas pu se qualifier. Il espérait une décision favorable de l’arbitre, mais c’est plutôt lui qui a été pénalisé.

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Charles Hamelin n'a pas pu se qualifier pour la finale du 1500 m.

Et savez-vous quoi ? Ça ne le « dérange tellement pas ». « Je ne suis plus à une place où ça m’affecte autant », a dit l’athlète de 37 ans.

Après la course, il avait sa femme et sa fille, Violette, 19 mois, en appel vidéo : « Ça a mis un baume, ça m’a apaisé. »

Qu’a dit Violette exactement ?

« Elle a dit : “Go go, papa !” »

Mais l’arbitre était d’un autre avis.

Les journalistes ont bien tenté de faire esquisser une sorte de bilan au quintuple olympien et porteur de drapeau, mais on n’en est pas là encore. Il reste le relais, il reste plusieurs autres courses pour l’équipe.

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Quel sport chaotique, quand même, me disait un des responsables de l’installation, qui sert aussi au patinage artistique.

« Je pense que les règles sont encore plus compliquées et l’arbitrage plus controversé en courte piste qu’en patinage artistique, quoi qu’on dise », a-t-il ironisé. Vous aurez deviné que l’homme arrive du monde du patinage artistique. J’ai quand même un peu le goût de lui donner raison…

Mais pour une décision qui fait crier en Corée, en Chine ou au Canada, une autre vient réjouir les mêmes équipes tout de suite après.

Steven Dubois en est le parfait exemple.

On croyait bien qu’il était exclu de la finale, comme Dion et Hamelin, après avoir été largué dans sa vague. Mais non : l’arbitre a jugé qu’il avait été victime d’un accrochage par un concurrent japonais.

Dans ma tête, j’étais certain d’avancer [à la finale], mais la décision n’arrivait pas, et Dany [Lemay, l’annonceur olympique québécois aux Jeux] ne disait rien, je commençais à paniquer…

Steven Dubois

Le verdict est tombé : non coupable, et hop, il avançait.

Il s’est donc retrouvé en finale. Une finale à 10, ce qui est très rare – normalement elle compte 7 patineurs. Ça fait beaucoup de gens, beaucoup de lames, sur peu de glace.

Il fallait se placer en avant, pas trop vite, pour ne pas se brûler, pas trop tard pour ne pas être largué… Ça dure 2 minutes et des flocons, cette course.

Dubois a fait une course parfaite. Il a suivi l’attaque du Coréen Hwang Dae-heon, et ne l’a pas lâché. Il fallait simplement résister aux attaques.

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Steven Dubois

« À un moment donné, je m’attendais à des attaques, je me disais : “Coudonc, où est-ce qu’ils sont ?” »

Ils n’étaient pas si loin.

À la toute fin, il a « fait une crise cardiaque » en sentant le Russe Semen Elistratov revenir sur lui. Il n’était plus question de tenter une ultime attaque sur le Coréen, mais bien de bloquer le poursuivant pour sauver sa deuxième place.

« Les émotions ne me sont pas encore rentrées dedans en vous parlant, mais en rentrant au condo tantôt, je pense que ça va arriver… »

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Entre le désastre et le triomphe, la ligne dans ce sport est plus mince que dans d’autres, je crois bien.

Kim Boutin, après une superbe troisième place au 500 m lundi, était une des favorites au 1000 m. Sa qualification dans les manches préliminaires était une formalité, et de fait, à 40 m de l’arrivée, elle était seule en avant… jusqu’à ce qu’elle tombe, inexplicablement.

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Kim Boutin a inexplicablement chuté à 40 m de l'arrivée.

Elle avait encore un sanglot dans la gorge, quand elle nous a rencontrés.

Elle est d’autant plus déçue qu’elle est forte sur la distance, qu’elle est en pleine forme, et qu’elle n’a pas fait d’erreur. Dans son cas, ce n’est pas une décision douteuse de l’arbitre ou un contact. Elle est juste… tombée.

« Je pense que c’est une craque dans la glace qui m’a fait perdre l’équilibre, ça ne m’est jamais arrivé avant. »

Heureusement, les demi-finales du relais féminin avaient lieu le même soir, et l’équipe a fait un sans-faute, ce qui a remis le sourire sur les visages des filles, surtout après la chute du relais mixte au début des Jeux, et d’autres déceptions.

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L’équipe féminine canadienne s’est qualifiée pour la finale du relais.

« Je n’aurais jamais été capable de m’en remettre si vite avant, mais avec le travail [psychologique] que j’ai fait ces dernières années, j’ai réussi à mettre ça de côté pour le relais », a dit Boutin, sortie des Jeux coréens avec un choc post-traumatique.

« On se prépare en disant qu’on va faire la Troisième Guerre mondiale », a dit en riant Alyson Charles. « On sort nos épées, nos lames, on va à la guerre ! », a renchéri Courtney Sarault.

Alyson Charles, interrogée sur le Mois de l’histoire des Noirs, a confié que celle qui a été son modèle, l’ancienne patineuse de vitesse Kalyna Roberge (afrodescendante comme elle), lui a écrit un mot d’encouragement avant le 500 m.

Les voici donc en finale du relais, dimanche. Celui des hommes, qui sera la dernière course olympique de Charles Hamelin, a lieu trois jours plus tard.

Il est donc beaucoup, beaucoup trop tôt pour causer retraite.

Y a du boulot à faire.