(Pékin) Les Américaines tiraient de partout. Tac-a-tac-a-tac-a-tac. Vague après vague. Sans répit. Les Canadiennes, retranchées dans le fond de leur territoire, subissaient les raids. Toutes les deux minutes, on se disait : hé boboy, la lumière rouge va s’allumer. C’était sous-estimer la dernière fortification canadienne.

La Grande Muraille de Charlevoix.

Ann-Renée Desbiens.

La gardienne de La Malbaie nous a offert une performance historique, mardi, à l’aréna Wukesong. Elle a réussi 51 arrêts – un record olympique canadien, hommes et femmes confondus. Son brio a permis aux Canadiennes de gagner 4-2 et de terminer la ronde préliminaire avec une fiche parfaite de quatre victoires contre aucune défaite.

« Elle est extraordinaire », a lancé l’attaquante Sarah Nurse. « La meilleure gardienne au monde », a renchéri sa coéquipière Jocelyne Larocque.

Les statistiques lui donnent raison. À ses trois premiers matchs à Pékin, Desbiens a arrêté 95,9 % des tirs dirigés vers elle. Et ceux des Américaines, mardi, étaient pas mal plus difficiles à repousser que des ballons de kin-ball. À une dizaine de reprises, Desbiens s’est distinguée sur des tirs lourds, bas, alors que c’était aussi embouteillé devant elle que dans une navette des médias. Indice : ça dépasse largement les recommandations des autorités sanitaires.

Après la partie, la gardienne de 27 ans était tout sourire. Je lui ai demandé si elle se souvenait avoir déjà affronté, dans sa carrière, un bombardement aussi intense.

« J’ai sûrement déjà fait 51 arrêts, mais je ne peux pas te dire c’est quand la dernière fois que c’est arrivé. »

PHOTO RYAN REMIORZ, LA PRESSE CANADIENNE

Ann-Renée Desbiens célèbre la victoire du Canada.

Sûrement pas à l’Université du Wisconsin, a-t-elle précisé. En effet, ce serait étonnant. Lorsque la Québécoise protégeait leur filet, les Badgers étaient dominantes : 99 victoires en 122 parties. « Maintenant, que ce soit 51, 12, 14, 16 arrêts, a-t-elle ajouté, chaque arrêt est important et permet de laisser une chance à ton équipe de gagner. »

OK. Sauf que contre les Suédoises, les Danoises ou les Tchèques, le pointage est rarement serré. Ses coéquipières lui procurent un coussin d’une demi-douzaine de buts, et la victoire est acquise. Alors que contre les Américaines, c’est toujours une guerre de tranchées. Depuis le début de la pandémie, quatre des huit duels entre les deux formations s’étaient rendus en prolongation. Le niveau de stress ne doit pas être tout à fait le même, non ?

Desbiens nous a fait une confidence : elle préfère recevoir plus de tirs que pas assez. « C’est plus facile de jouer des matchs avec 50, 60 lancers qu’un match à 12 lancers dans lequel tu as des échappées, des désavantages numériques et des trois contre un. »

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Autant Desbiens a brillé dans le territoire canadien, autant Marie-Philip Poulin s’est illustrée dans la zone adverse.

La dynamo québécoise a disputé un match remarquable. Son meilleur à Pékin. Son niveau d’énergie en échec avant était stupéfiant, surtout qu’il s’agissait d’une deuxième partie en 24 heures.

C’était comme si le bouton turbo, dans un jeu vidéo, était resté enfoncé en permanence.

À peine rentrait-elle au banc qu’elle retournait déjà sur la glace. Elle a terminé la rencontre avec 40 (!) présences. Pour vous donner une idée, ça correspond à peu près à la charge du fils d’un entraîneur dans une équipe de hockey de printemps.

Poulin fut à l’origine de trois des quatre buts du Canada. En première période, elle a entamé le tic-tac-toe ayant mené au but de Brianne Jenner. À la mi-match, sa pression exercée sur une adversaire a provoqué un revirement, dont a profité Jenner pour inscrire son deuxième but du match. Quelques instants plus tard, Poulin s’est échappée en infériorité numérique, forçant une Américaine à l’accrocher.

Tir de pénalité.

« Quand tu vois l’arbitre faire un X, et que c’est Marie-Philip, tu peux commencer à célébrer pas mal d’avance », nous a dit Desbiens en riant. « Marie-Philip est Capitaine Canada pour une raison. C’est une leader. C’est le type de joueuse qui est à son meilleur dans des matchs comme ceux-là. On l’a encore vu aujourd’hui. »

Partie sur son côté gauche, Poulin a tracé un grand arc pour se rendre vers Maddie Rooney. C’est une tactique qui lui permet d’entrer dans la zone avec un angle, ce qui force la gardienne à se déplacer. Poulin a facilement trouvé l’ouverture et marqué le but d’assurance.

PHOTO RYAN REMIORZ, LA PRESSE CANADIENNE

Marie-Philip Poulin a déjoué la gardienne américaine Maddie Rooney sur un tir de pénalité.

Vous souhaitez connaître ses états d’âme après cette victoire spectaculaire ? Malheureusement, pour une raison tout aussi inexpliquée qu’inexplicable, Hockey Canada ne l’a pas rendue disponible aux journalistes de la presse écrite. Après tout, c’est juste la meilleure ambassadrice du sport, qui vient de connaître un match exceptionnel, dans le cadre de la plus grande rivalité, sur la plus grande tribune dont dispose le hockey féminin…

Prochain rendez-vous : vendredi ou samedi, pour un quart de finale contre la Suède. Ma prédiction ? Desbiens n’aura pas à faire 51 arrêts, cette fois-ci.