(Pékin) Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Le Canada, en ce temps-là, remportait tous les tournois.

C’était à la fin des années 1980. Chaque fois que je tombais sur un match de curling, à la télévision, les Canadiens dominaient. Un match contre les Britanniques ? Pas de panique. Contre les Danois ? Bébé-fa. Contre les Coréens ? Mon arrière-grand-mère les aurait battus – avec sa mauvaise main. Presque à chaque coup, l’or revenait à la maison.

De 1980 à 2012, les hommes ont remporté 22 des 33 championnats du monde. Les femmes, 15. Les hommes ont aussi gagné l’or aux Jeux de Turin (2006), Vancouver (2010) et Sotchi (2014). Mais dans la dernière décennie, l’écart avec le reste du monde s’est vite rétréci. La victoire n’est plus acquise comme avant. Même une place sur le podium représente aujourd’hui un défi.

Les Canadiens n’ont pas gagné de Championnat du monde depuis 2017. Les Canadiennes, elles, n’ont gagné qu’un seul tournoi olympique depuis 2002. Elles ont aussi été privées de médailles lors des deux derniers Championnats du monde. Que se passe-t-il ? Sommes-nous moins bons qu’avant ? Les autres sont-ils meilleurs ? Ou un peu des deux ?

Laurie St-Georges, qui a représenté le Québec au dernier tournoi des cœurs Scotties, croit que c’est le reste de la planète qui est en train de rattraper le Canada.

« Ce que je remarque depuis quelques années, dit-elle, c’est que plusieurs entraîneurs de haute performance du Canada vont aider d’autres pays. Notre expertise est demandée partout. Et quand tu te fais offrir un poste comme celui-là à l’étranger, tu l’acceptes. C’est la chance d’une vie. Ça explique en partie pourquoi les autres pays nous rattrapent. »

PHOTO ANDREW VAUGHAN, LA PRESSE CANADIENNE

La skip québécoise Laurie St-Georges

Des exemples ? Guy Hemmings a donné un coup de pouce aux Coréens. Pierre Charette, qui a participé à 13 tournois Brier, dirige l’équipe de la Suisse. Wayne Middaugh, triple champion du monde, est associé avec la Suède. « Les Suédoises et les Suissesses sont parmi les meilleures au monde, souligne Laurie St-Georges. En fait, les équipes qui se rendent très loin dans les tournois ont presque toutes des entraîneurs canadiens. »

Marc-André Robitaille, directeur général de Curling Québec, évoque lui aussi une « passation des connaissances » liée à l’exode des entraîneurs canadiens. Mais ça n’explique pas tout. Il se demande si le processus de sélection de nos représentants n’a pas fait son temps.

« Chez nous, explique-t-il, on ne choisit pas les quatre meilleurs joueurs au pays. On organise un tournoi, et l’équipe qui le gagne va aux Jeux. » Une formule en effet assez étrange. C’est comme si Hockey Canada formait une équipe avec les joueurs d’un seul club, plutôt que de puiser parmi les meilleurs éléments d’un peu partout.

« Dans les autres pays, poursuit Marc-André Robitaille, ça ne fonctionne pas comme ça. On choisit les quatre meilleurs joueurs pour un cycle olympique. » C’est entre autres le cas des Suédois, champions du monde en titre. « Pour chaque méthode de sélection, il y a du pour et du contre, reconnaît-il. Mais peut-être qu’un jour, on devra revoir nos façons de faire au Canada. »

Laurie St-Georges, elle, défend avec conviction le procédé canadien. « Une équipe de curling, ce ne sont pas seulement quatre joueurs sur la glace. Le curling, c’est un sport de communication. Tu dois très bien connaître tes partenaires pour avoir une bonne chimie sur la glace, et réussir des bons coups. »

« Il y a aussi une question de timing dans tout ça. Le tournoi de sélection est organisé tout juste avant les Jeux. L’équipe qui le gagne est alors au sommet de sa forme. Maintenant, est-ce que les essais sont trop rapprochés des JO ? Peut-être. Ça, c’est un peu moyen. Mais sur le fond, je suis totalement d’accord avec le fait de devoir gagner ta place pour aller aux Jeux. »

Et qui a remporté ces essais, cette année ?

Deux équipes aguerries, avec un grand potentiel de médaille.

Chez les hommes, le capitaine Brad Gushue a déjà remporté le Championnat du monde et les Jeux olympiques, ceux de Turin, en 2006. Chez les femmes, la capitaine Jennifer Jones est double championne du monde et médaillée d’or aux Jeux de Sotchi, en 2014.

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La skip canadienne Jennifer Jones aux Jeux olympiques de Sotchi, en 2014

« Ces deux équipes se connaissent vraiment bien, fait valoir Marc-André Robitaille. Si le Canada avait pu sélectionner lui-même son équipe, c’est sûr que ces deux formations auraient été dans le chapeau. »

En double mixte, les essais ont été annulés en raison de la pandémie. Au terme d’un processus controversé, c’est la paire formée de Rachel Homan et de John Morris qui a été choisie. Leur tournoi est bien entamé. Après quatre parties, vendredi, ils présentaient une fiche de 3-1.

« Nous sommes encore reconnus pour être très, très forts, relativise Laurie St-Georges. Et j’ai confiance dans les joueurs de la prochaine génération. » Elle-même n’a que 24 ans, et est un espoir pour les prochains Jeux olympiques. « C’est fini, l’époque où les joueurs fumaient dans les arénas. Le curling est maintenant un sport athlétique, et nos jeunes Canadiens sont de grands athlètes. Ils sont ouverts à l’apprentissage. Ils progressent rapidement. Je pense qu’on va assister à un regain de force du Canada dans les prochaines années. »

Le tournoi de double mixte se poursuit jusqu’à mardi. Les deux autres tournois commencent mercredi, et prennent fin le 19 février (hommes) et le 20 février (femmes).