Je me demande à quoi pensait Xi Jinping en entendant Imagine, de John Lennon, pendant la cérémonie d’ouverture, vendredi soir.

« Imagine there’s no countries… Nothing to kill or die for… »

Peut-être préfère-t-il le vers « And no religion too », comme le gouvernement chinois l’a démontré au Tibet avec les bouddhistes et au Xinjiang avec les Ouïghours.

Mais comme disent le CIO et Xi Xinping lui-même : il ne faut pas mêler sports et politique. N’empêche, le président chinois, qui n’avait rencontré aucun dirigeant étranger depuis deux ans, a reçu Vladimir Poutine sur le tapis rouge de son palais, avant de l’inviter à l’ouverture des Jeux.

Il ne faut pas mêler sports et politique, mais quelle belle occasion d’annoncer une alliance « plus forte que jamais » entre la Chine et la Russie, contre les États-Unis et l’Europe. Et de dénoncer les « provocations » occidentales en Ukraine. La dernière fois que la Russie a envahi un pays, c’était pendant la trêve olympique de Sotchi.

La foule a bien entendu le message, et après celle de Chine, c’est la délégation russe, officiellement de retour dans la famille olympique, qui a reçu les applaudissements les plus chaleureux.

Avec le boycottage « diplomatique » américain, britannique, australien et canadien, et en l’absence sous divers prétextes de la plupart des leaders démocratiques, il restait le club des autocrates et dictateurs à la tribune d’honneur, au nombre desquels le prince saoudien Mohammed ben Salmane.

Quelle ironie, quand on pense que l’édifice même dans lequel ils se trouvaient, et nous aussi, a été conçu par le plus célèbre dissident chinois de sa génération, Ai Weiwei.

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Le bus qui nous conduisait sous haute surveillance à la cérémonie d’ouverture nous offrait par défaut un minuscule tour architectural des splendeurs de Pékin. Je n’inclus pas là-dedans le tout frais Musée du Parti communiste, bloc autoritaire inauguré l’an dernier pour son 100e anniversaire.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le Nid d’oiseau

Le Nid d’oiseau, 14 ans plus tard, demeure aussi magnifique, émouvant. Il faut dire qu’on l’a retapé pour les Jeux, vu qu’il ne sert à peu près plus.

Ai Weiwei a conçu (avec d’autres) ce stade en forme de sourire, pour en faire un symbole d’ouverture et de démocratie possible de la Chine nouvelle, qui se montrait au monde en 2008. George W. Bush, le premier ministre britannique, le président français, presque tous les chefs d’État étaient dans le stade, cet été-là. Tout irait mieux.

Mais ces Jeux-là n’étaient pas commencés qu’Ai Weiwei leur tournait le dos. Dans le temps, c’est la répression au Tibet, la destruction des temples et la détention des moines qui étaient le grand sujet. Les Jeux olympiques devaient amener la Chine à embrasser les valeurs démocratiques, et à assouplir le régime communiste.

Le responsable des Jeux de 2008 s’appelait Xi Jinping. Il est devenu président en 2012, et depuis, l’espace de liberté rétrécit chaque jour un peu plus.

Ai Weiwei a fait 81 jours de prison pour délit d’opinion après les Jeux. Il s’est ensuite exilé en Allemagne, puis au Portugal. Dans plusieurs entrevues cette semaine, il a dénoncé le détournement des Jeux et de son œuvre, la complicité du CIO et des pays démocratiques, qui ont partie liée économiquement avec la deuxième puissance mondiale.

Dans ce spectacle somme toute assez sobre, on a pu voir quelques trompe-l’œil électroniques saisissants, qui n’étaient pas sans beauté.

Les deux semaines qui viennent montreront qu’il est « possible d’être de féroces rivaux tout en vivant pacifiquement et respectueusement ensemble », a dit Thomas Bach aux athlètes qui l’entouraient dans les gradins, voulant en faire une métaphore pour le monde politique.

« Dans notre monde fragile où les conflits, la division et la défiance progressent, nous devons montrer qu’il est possible d’être de féroces rivaux tout en vivant pacifiquement et respectueusement ensemble. C’est la mission des Jeux olympiques : nous rassembler dans la paix, toujours construire des ponts et jamais des murs, unir l’humanité dans toute notre diversité. »

Et d’en appeler « à toutes les autorités politiques de la planète : respectez votre engagement envers la trêve olympique et donnez une chance à la paix ! ».

Des mots qui se sont comme vidés quand il a passé la parole à Xi Jinping, pour ouvrir les Jeux.

Avant que la flamme n’entre, des lanternes-colombes brandies par des dizaines d’enfants se sont lovées dans un cercle.

Perchés plus haut dans le nid, les faucons les observaient.