(Pékin) Championne du monde. Championne olympique. Détentrice de records. Cheffe de mission. Le CV de l’ancienne patineuse Nathalie Lambert était déjà remarquable. Samedi, il s’enrichira d’un titre encore plus exceptionnel.

Créatrice d’une nouvelle épreuve olympique.

Laquelle ?

Hé que vous êtes impatients ! J’y arrive. Promis. Mais d’abord, petit détour sur le chemin parcouru par Nathalie Lambert pour convaincre le Comité international olympique d’ajouter une finale dans le programme officiel. Un marathon d’une dizaine d’années, qui a été aussi sinueux qu’un tracé de slalom géant.

L’histoire commence en 2010, lorsque Nathalie Lambert se joint au comité technique de l’Union internationale de patinage. Son objectif : créer du nouveau contenu pour le patinage de vitesse sur courte piste afin d’augmenter la visibilité du sport. Rapidement, elle réalise qu’elle est entourée de « gens très conservateurs, pas très portés sur le changement ».

« Je devais pousser très fort sur le mammouth », me confie-t-elle, en riant.

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Nathalie Lambert

La courte piste compte alors un petit canard boiteux dans sa famille. Le 3000 m. Une épreuve que Nathalie Lambert connaît très bien. Elle a déjà détenu le record du monde sur cette distance. C’est une course longue, lente et impopulaire, autant auprès des spectateurs que des athlètes, qui préfèrent les sprints.

« Ça ne pognait pas pantoute. C’était clair que ça n’allait jamais rentrer dans le programme des Jeux. » Elle se met donc à « twister des bras » – c’est son expression – pour convaincre ses collègues de remplacer le 3000 m par une épreuve plus sexy. S’amorce à ce moment une série d’essais et erreurs, qui s’étendra sur plusieurs années.

Premier essai : le Miss and out

Une épreuve inspirée du vélo. « Après un certain nombre de tours, le dernier concurrent était éliminé. Sauf que les patineurs mouraient avant la fin. Ça ne fonctionnait pas. »

Deuxième essai : les sprints intermédiaires

Une autre idée empruntée au cyclisme. Comme au Tour de France, les patineurs récoltent des points lorsqu’ils sont au premier rang après certaines étapes de la course. Encore là, les sprinteurs s’épuisaient trop vite. L’Union a enchaîné avec une formule hybride des deux concepts. Échec. « En avant, ça allait, raconte Nathalie Lambert. Mais en arrière, les patineurs se bousculaient pour ne pas être éliminés. Ça ne marchait juste pas. »

Troisième essai : la poursuite

Une épreuve populaire en cyclisme sur piste et en patinage de vitesse sur longue piste, qui n’a pas passé le test de la courte piste avec succès. Pourquoi ? « Notre tour de piste n’est pas assez grand. C’était trop facile de prendre quatre secondes sur un adversaire », explique Nathalie Lambert.

Quatrième essai : le tour lancé

L’idée était populaire auprès des entraîneurs. Un tour lancé le plus rapide, comme en Formule 1. « Les coachs capotaient sur ce concept. Et c’est vrai que sur papier, c’était super. Puis on s’est mis à travailler sur les détails. Il fallait évidemment que la glace soit optimale pour tous les patineurs. Ça impliquait qu’on devait refaire la glace avant chaque concurrent. On ne pouvait pas faire ça. »

* * *

En 2015, une grande nouvelle redonne des ailes aux ambitions de Nathalie Lambert. L’attribution des Jeux d’hiver de 2022 à la Chine, une puissance en patinage de vitesse sur courte piste. « Les Chinois adorent le courte piste. On se doutait bien que comme hôtes, ils allaient avoir un intérêt pour une finale de plus. »

L’année suivante, Nathalie Lambert devient la présidente du comité technique de l’Union internationale de patinage. Sous son leadership, la fédération planche sur un nouveau concept d’épreuve, qu’elle veut soumettre au Comité international olympique. Cette fois, on s’inspire du patinage artistique, plutôt que du vélo.

« Notre idée, c’était un concours par équipe, en trois étapes. D’abord, des courses individuelles, dans lesquelles les patineurs marquent des points pour leur pays. Ensuite, une course en équipe, dans laquelle c’est ton deuxième ou troisième patineur qui détermine ton rang final. Enfin, un relais mixte, dans lequel les hommes et les femmes participent à la même course. »

Le comité dépose son projet pendant la saison 2017-2018. Réponse du CIO : ouain… C’est un peu compliqué tout ça. D’autant que rien de tout ça n’a jamais été testé aux Championnats du monde ou en Coupe du monde.

« Ça nous a un peu pris de court, se souvient Nathalie Lambert. Les gens du CIO nous sont revenus, et nous ont dit : la seule épreuve qui nous intéresse, c’est votre relais mixte. Seriez-vous d’accord d’aller de l’avant avec seulement ça ?

  • Et vous avez répondu…
  • Oui, évidemment ! On a terminé le projet sur le fly. En 24 heures, on s’est revirés de bord, et on a présenté ce que tout le monde verra à Pékin. »

Une course de 2000 m, dans laquelle deux hommes et deux femmes de chaque pays prendront chacun deux relais dans l’ordre suivant : femmes-femmes-hommes-hommes-femmes-femmes-hommes-hommes. Comme les distances parcourues par chaque patineur seront courtes, ça promet d’être spectaculaire.

Nathalie Lambert devait venir ici, en Chine, pour assister aux premiers pas de son bébé olympique. Malheureusement, en raison de la pandémie, les invitations ont été restreintes. C’est donc de chez elle, au Québec, qu’elle regardera cette toute première finale du relais mixte aux Jeux.

« Je suis fière de cette contribution-là. Ce n’était pas si évident que ça. Il fallait que toutes les planètes soient alignées. Qu’il y ait une volonté du CIO. Qu’on n’augmente pas le nombre d’athlètes. Maintenant, ça va permettre à des pays avec moins de profondeur, comme la France, la Belgique et la Pologne, d’avoir une meilleure chance de remporter une médaille en courte piste.

« Sincèrement, si je n’avais pas été là, cette épreuve n’aurait pas existé. Je suis fière de laisser ça en héritage à mon sport et d’avoir contribué à rentrer une épreuve de plus dans le programme olympique. »

Le relais mixte sera présenté samedi. Qualifications à partir de 7 h 20, finale à 8 h 25.