Les candidats pour le poste de directeur général du Canadien viennent de sortir du dernier virage. Ils entament la dernière ligne droite. Et qui trouve-t-on, très bien positionné, en avant du peloton ?

Kent Hughes.

Moins connu que les autres finalistes, Hughes est un agent respecté dans la LNH. Son profil correspond à celui recherché par le Canadien – « en dehors de la boîte » et « complémentaire » à celui du nouveau patron des opérations hockey, Jeff Gorton. Les deux hommes sont d’ailleurs des proches. Gorton a repêché un des fils de Hughes, Riley, avec les Rangers de New York.

« Un chum, c’t’un chum » ?

Bien sûr. La LNH est une industrie de contacts. Ça ne changera pas aujourd’hui ni demain. Sauf que Kent Hughes est beaucoup plus qu’un simple ami de Jeff Gorton. C’est surtout une très bonne tête de hockey, qui possède des atouts pour mener le Canadien au travers de la longue tempête qui s’est amorcée à l’automne.

Lesquels ?

L’expérience

Kent Hughes est le candidat le plus expérimenté. Au cours du dernier quart de siècle, il a travaillé avec la plupart, voire la totalité des directeurs généraux actifs. Il connaît leurs tactiques de négociation. Leurs stratégies. Leurs contraintes. Leur degré d’autonomie dans l’organisation. Il sait reconnaître un directeur général qui bluffe d’un autre qui est vraiment menotté. Il comprend aussi très bien les intérêts des agents. De gros atouts en négociation.

« Mon passé d’agent fut une expérience inestimable », a déjà écrit Andrew Brandt dans Sports Illustrated. Quelques années plus tôt, il était passé d’agent à vice-président des Packers de Green Bay.

« Je négociais les mêmes contrats qu’avant, mais de l’autre côté de la table. J’étais capable de me mettre dans les souliers de l’agent que j’affrontais. Je savais exactement comment il se sentait. J’avais été dans ses souliers des centaines de fois. J’anticipais tous ses arguments – les bons, les mauvais, les délirants. »

La connaissance du marché québécois

Même si Kent Hughes, qui est bilingue, a quitté Montréal pour Boston depuis longtemps, il connaît encore bien le marché québécois.

Autant que Patrick Roy et Marc Denis ?

Non. Mais plus que vous ne le pensez. Ancien attaquant des Lions du Lac Saint-Louis, il compte plusieurs anciens de cette organisation parmi ses clients. Notamment Joseph Veleno, William Carrier, Michael Matheson et Mathias Laferrière. Il a aussi recruté plusieurs joueurs des autres régions du Québec, comme Patrice Bergeron, Kristopher Letang et Anthony Beauvillier. Son agence, Quartexx, a des locaux sur le chemin de la Côte-de-Liesse, à Mont-Royal. J’ai déjà eu droit à une visite guidée. Les installations sont magnifiques. Du calibre d’un club de hockey professionnel. L’été, ses clients s’y entraînent avec les meilleurs hockeyeurs adolescents de la province.

L’évaluation du talent

Pour avoir du succès comme agent, il faut être persuasif. Mais il faut aussi avoir un œil pour dépister le talent rapidement. À cet effet, Hughes jouit d’une très bonne réputation dans le milieu. Ça peut jouer en sa faveur. « De nombreux propriétaires pensent qu’être un agent, ça vous outille non seulement pour diriger un groupe de personnes, mais aussi pour évaluer les joueurs. Parce que les agents sont dans l’industrie, ils ont l’occasion d’apprendre à connaître toutes les organisations. Je pense que c’est une bonne chose », expliquait l’ex-directeur général des Sénateurs d’Ottawa Bryan Murray dans le livre Behind the Moves.

Des informations privilégiées

Enfin, un gros, gros plus dans le dossier de candidature d’un agent, c’est la grande quantité d’informations privilégiées qu’il possède. Car un agent, pour un joueur, c’est plus qu’un négociateur. C’est un ami. Un confident. Une âme bienveillante qui écoute, réconforte, chasse les doutes et réduit les angoisses. Une personne de confiance, à qui on peut révéler ses zones d’ombre. Le directeur général qui possède toutes ces informations, lors d’une négociation, peut prendre une décision plus éclairée. Ça peut faire la différence entre une bonne acquisition ou une autre qu’on regrettera pendant cinq ans.

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Ces dernières semaines, j’ai appelé quelques anciens joueurs de la LNH. Je leur ai demandé comment ils auraient réagi si leur agent était devenu directeur général.

La réponse entendue le plus souvent ?

Pas très bien.

C’est l’équivalent, m’a-t-on expliqué, d’un représentant syndical qui passe du côté patronal. Tu ne veux pas retrouver ton agent/ami/confident de l’autre côté de la table de négociations. Ça peut être perçu comme une trahison.

Malaises garantis.

C’est ce qui s’est produit, à l’automne 2018, chez les Mets de New York. L’équipe a embauché l’agent Brodie Van Wagenen au poste de directeur général. Comme Kent Hughes, Van Wagenen provenait d’une agence importante, CAA. Plusieurs des clients de Van Wagenen et de l’agence évoluaient alors pour les Mets. Notamment les vedettes Jacob deGrom, Noah Syndergaard et Yeonis Cespedes.

Cette nomination a suscité la controverse. « Je ne vous dirai pas combien d’appels et de messages textes j’ai reçus. Je vais simplement vous confirmer que nos membres suivent la situation avec attention », avait déclaré le président du syndicat des joueurs en plein milieu de la Série mondiale.

La crainte des joueurs ? Que Van Wagenen utilise des informations privilégiées contre les clients de l’agence. Un autre agent, Scott Boras, s’était indigné de la situation au Michael Kay Show.

Quand vous êtes fluide et que vous [risquez] de passer d’une agence à une direction d’équipe, comment un joueur sait-il que vous ne ferez pas ce changement à tout moment ? Pourquoi vous dirait-il les choses les plus intimes du monde, sachant que vous risquez de négocier contre lui ?

Scott Boras

Kent Hughes est proche de l’espoir Jayden Struble, qui évolue dans la même équipe que ses fils, à l’Université Northeastern. Hughes ne représente toutefois aucun joueur du Canadien. Du moins, pas ceux dans la formation officielle.

L’agence Quartexx, elle, compte au moins deux clients dans l’organisation : Josh Anderson et Michael Pezzetta. J’ai demandé à l’Association des joueurs, en décembre, si elle était préoccupée qu’un agent puisse devenir directeur général à court terme. Réponse : « La question des relations entre les agents et les clubs est régie par les dispositions sur les conflits d’intérêts dans les règlements des agents. Nous surveillons les circonstances afin de déterminer si un conflit d’intérêts est survenu. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Josh Anderson

Comme Hughes n’a pas de client connu au sein de l’effectif, je ne crois pas que sa nomination comme directeur général du Canadien poserait problème. Un malaise ? Peut-être. Mais rien qui ne s’estomperait pas avec les victoires et les années, comme on l’a souvent vu ailleurs. Entre autres avec Pierre Lacroix, au Colorado, ou Bob Myers, avec les Warriors de Golden State.

Comme l’a souligné Andrew Brandt, dans son témoignage dans Sports Illustrated : « Écoutez, les conflits [d’intérêts] dans le sport, comme dans d’autres industries, sont chose courante. La réalité, c’est que parfois, les gens les plus talentueux, ceux qui ont le plus d’aptitudes pour certains postes, ils sont assis de l’autre côté de la table de négociations. Leur expérience dans l’opposition leur donne un point de vue extraordinaire qui peut faciliter la relation avec l’autre camp. »

« Les avocats changent tout le temps de côté. C’est la même chose en affaires. On voit d’anciens collègues négocier ensemble. De plus, lorsque des chefs d’entreprise gravissent les échelons, ils sont souvent appelés à gérer – ou discipliner, ou licencier – ceux avec qui ils travaillaient autrefois. Ça arrive. C’est la réalité des affaires, et non pas des théories sur de potentiels conflits d’intérêts. »

Alors, Kent Hughes comme directeur général ?

Ça ne ferait peut-être pas plaisir à tous les joueurs. Ni aux partisans qui espéraient voir Patrick Roy, un jeune joueur retraité ou une femme dans ce rôle. Mais si Kent Hughes est le candidat confirmé dans les prochaines heures, ce pourrait être un coup fumant pour le Canadien.