En 2016, l’homme d’affaires Stephen Bronfman déclarait que « ce ne sera pas un problème de trouver des investisseurs » pour assurer le retour du baseball majeur à Montréal.

En 2017, un journaliste lui a demandé si ses partenaires et lui étaient prêts à investir 1,5 milliard pour acheter une équipe. « C’est beaucoup d’argent, mais on va le faire », promettait-il.

Nous voici en 2021. C’est enfin le moment de vider ses poches et de compter les sous. Et que découvre-t-on ? Il manque des sous. D’accord. On comprend qu’un club d’expansion est hors de prix. Mais une demi-équipe, qui ne disputerait que la moitié de ses parties locales ici, ça devrait être OK ? Non ? Eh bien, non. Même pour ça, il manque des sous.

C’est pourquoi le consortium dirigé par Stephen Bronfman se tourne aujourd’hui vers le gouvernement du Québec. Le Groupe Baseball Montréal demande une aide pouvant atteindre « des centaines de millions », ont révélé mardi mes collègues Tommy Chouinard et Vincent Brousseau-Pouliot, dans La Presse.

Combien de centaines de millions ?

Il y a plusieurs scénarios sur la table. Dans une discussion, il a été question de 300 millions. Québec envisage une subvention et un « prêt pardonnable » – une subvention avec des conditions. Un but sur balles intentionnel, quoi.

Ce serait beaucoup d’argent.

Surtout pour une demi-équipe.

Je l’ai souvent écrit, je suis pour les investissements du gouvernement dans le sport.

Je suis pour les subventions aux athlètes d’élite. Pour les millions investis dans la construction de nouveaux centres sportifs. Pour l’aide d’urgence qui a sauvé la Ligue de hockey junior majeur du Québec pendant la pandémie.

J’aime que le gouvernement s’implique pour accueillir des compétitions internationales. J’accueille aussi favorablement le projet du CF Montréal, qui souhaite collaborer avec la Ville de Montréal pour embellir les environs du stade Saputo.

Je suis pour les investissements du gouvernement dans le sport – jusqu’à la limite du raisonnable.

Qu’est-ce qui est déraisonnable ?

Plus de 300 millions pour trois matchs de la Coupe du monde de soccer, c’est déraisonnable. Des centaines de millions pour construire un stade destiné à une demi-équipe de baseball, ça me paraît tout aussi déraisonnable.

C’est vrai, le gouvernement subventionne plein d’autres industries. Pensez à l’aéronautique. À la biopharmaceutique. Aux arts de la scène. Aux mines. Au secteur des jeux vidéo. Or, le baseball n’est pas une industrie comme les autres.

Le salaire moyen des joueurs dans les ligues majeures est de 4,17 millions US. La semaine dernière, le lanceur Max Scherzer a signé un nouveau contrat avec les Mets de New York. La somme : 42 millions US par saison. Soit l’équivalent de 840 000 billets vendus 50 $ chacun.

C’est insensé.

Le comble ? Quelques heures après que Scherzer est passé à la caisse, les propriétaires d’équipes ont déclenché un lock-out. « Les joueurs de baseball ne sont pas soumis à un plafond salarial ni à des limites de temps ou d’argent pour leurs contrats. En fait, seul le baseball majeur offre des contrats garantis de 10 ans et de plus de 300 millions. Nous n’avons rien proposé [dans les négociations] qui changerait cela », s’est défendu le commissaire du baseball majeur.

Le problème ?

Il est exactement là.

Ce qui distingue le baseball des autres industries, c’est son incapacité chronique à s’autoréglementer pour freiner la hausse des salaires et des coûts d’exploitation. À qui est refilée la facture ? Aux partisans, évidemment. Aux télédiffuseurs lors du renouvellement des ententes. Et un peu, aussi, aux gouvernements.

Les propriétaires pourraient payer les joueurs en moyenne 1 ou 2 millions de moins par saison. Ils auraient alors suffisamment d’argent pour financer eux-mêmes leurs projets de stade. Ils ne le font pas. Ils préfèrent plutôt solliciter l’État, tantôt pour un allègement fiscal, tantôt pour une aide directe. Entendons-nous : même sans l’aide de l’État, les propriétaires resteraient milliardaires.

Ce qui se passe à Montréal n’est pas l’exception. C’est la règle.

Le mois dernier, les Rays de Tampa Bay ont demandé aux gouvernements locaux de payer la moitié de leur nouveau stade de 700 millions US. Il y a 10 ans, l’autre équipe de la Floride – les Marlins de Miami – a obtenu 500 millions US de l’État pour construire son nouveau domicile. Une fois le stade terminé, le propriétaire a vendu le club à très fort profit.

Combien ?

Un milliard de plus qu’il l’avait payé.

Son nom ?

Jeffrey Loria.

Subventionner une équipe de millionnaires, propriété de milliardaires incapables de gérer une spirale inflationniste, ne sera jamais une décision populaire.

Un demi-club ?

Encore moins.

Le gouvernement Legault s’aventure en eaux troubles. Il cherche des justificatifs. Il envisage, par exemple, de lier son aide financière aux impôts récoltés par Québec lorsque les joueurs seront de passage ici. OK. Sur une masse salariale de 75 millions, ça fait environ 5 millions par année. On est loin du compte, à moins, bien sûr, de répéter la formule sur 25, 35 ou 50 ans.

Québec évalue aussi la possibilité de réinvestir dans le club les recettes fiscales générées par la construction du stade. Soit. Mais ce n’est pas convaincant. Si, plutôt qu’un stade, des condos étaient construits sur le même site, ça générerait quand même des recettes fiscales – cette fois, pour le fonds consolidé du gouvernement.

Pour rendre le projet socialement acceptable, le gouvernement rame seul contre un fort vent de face. C’est à se demander qui veut le plus ce projet : le gouvernement ou le groupe de Stephen Bronfman ?

Il est plus que temps que M. Bronfman et ses partenaires sortent de leur cachette. Ça fait huit ans – huit ans ! – qu’on attend leurs réponses à des questions franchement simples, et hautement d’intérêt public.

Combien coûtera le stade ?

Qui paiera sa construction ?

Qui sera son propriétaire ?

Quelle sera la contribution des gouvernements ?

Pourquoi l’État doit-il aider une industrie de millionnaires ?

Parallèlement, on tente toujours de bien comprendre le concept d’une équipe en garde partagée. Notamment sur le plan légal. Qu’arrivera-t-il si le propriétaire actuel des Rays, Stuart Sternberg, vend son club ? Quelles seront les garanties qu’une fois un nouveau stade construit, le club restera à Montréal à long terme ?

Le mutisme des promoteurs ne fait qu’amplifier la sensation qu’on nous cache des choses. Et qu’un matin, on va se lever et on se sera fait enfoncer le projet dans le fond de la gorge, sans que les enjeux n’aient été débattus.

Vous voulez rendre le projet acceptable et raisonnable ?

Expliquez-le.

Sinon, c’est non.