Lorsque Kevin Gilmore a remplacé Joey Saputo à la présidence de l’Impact de Montréal, en janvier 2019, c’était d’abord pour mettre le couvercle sur la marmite.

Souvenez-vous du contexte. Les crises s’enchaînaient. Les chicanes aussi. La grande vedette du club, Nacho Piatti, avait même pris le micro au stade Saputo, après une performance de deux buts, pour négocier publiquement son nouveau contrat.

Des scènes dignes de la commedia dell’arte.

Kevin Gilmore promettait de faire le grand ménage. De remettre la cuisine en ordre. De « changer la culture » de l’entreprise. De faire de l’Impact « un grand club, d’une grande ville ».

Trente mois plus tard, au moment de son départ, dans quel état se trouve la maison ?

La marmite a explosé. Le feu a pris. Dans le four. Dans les rideaux. Dans toute la cuisine. Les murs se sont effondrés. Et des cendres chaudes est né un nouveau club. Le CFMTL. Ou CF Montréal. Ou Club de foot Montréal. Ou les Flocons. Selon votre humeur.

Ce fatras n’est pas un accident. C’est le résultat d’une série de mauvaises décisions. D’une culture d’entreprise persistante, nocive, marquée par la confrontation. Pendant son court mandat, Kevin Gilmore aura eu des accrochages avec :

– son entraîneur-chef, Rémi Garde ;

– la légende de l’équipe, Nick De Santis ;

– des journalistes ;

– des partenaires importants, notamment Cogeco Média, qui a appris la fin de son entente de radiodiffusion par courriel, le 31 décembre, à 16 h. La grosse classe.

La fin du séjour de Nacho Piatti à Montréal a également été un épisode pénible.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Nacho Piatti




Ça fait beaucoup ?

Oui. Et on n’a même pas encore parlé des partisans.

Kevin Gilmore s’est mis à dos des centaines de fans de l’équipe. Parfois, avec raison. Il était justifié de bannir du stade Saputo des gens ayant commis des gestes de violence ou d’intimidation. Même de fermer temporairement la section 132, le temps d’identifier les indésirables. Sauf que cette mesure est devenue permanente. Et les gens qui n’avaient rien à se reprocher sont toujours en attente d’une solution… qui ne vient pas.

Autre point de confrontation : le changement d’identité du club. Une bataille que l’organisation aurait facilement pu éviter. Personne, mais absolument personne ne réclamait un nouveau nom. Les partisans de l’équipe étaient tous fiers de l’Impact. De son logo fleurdelisé. Ils portaient fièrement le maillot, au stade comme dans la rue, dans la victoire comme dans la défaite.

Kevin Gilmore a unilatéralement décidé de retirer aux partisans cette source de fierté pour leur imposer son projet. Une patente de marketing incompréhensible. Un concept tellement absurde qu’on se demande comment il a pu survivre à l’étape de la tempête d’idées.

Une équipe au nom générique.

Le Club de foot Montréal.

Pas besoin d’une maîtrise à HEC pour deviner que personne n’allait appeler le club ainsi. D’ailleurs, au lancement de la nouvelle identité, la journaliste Frédérique Guay, de TVA Sports, avait demandé à Kevin Gilmore : « pratico-pratique », comment on doit vous appeler ?

Réponse : « Ça va venir avec le temps. Avec les partisans. Avec les médias. Comment vous allez décider de nous appeler. »

Je n’en revenais pas. Tout ce trouble pour… ça ? Est-ce que ça en valait vraiment la peine ? Bien sûr que non !

Et comment qualifier sa tentative d’imposer le terme « foot », plutôt que soccer, employé couramment ici depuis plus de 100 ans ? Quel autre dirigeant d’équipe a non seulement voulu rebaptiser son équipe, mais aussi le sport qu’elle pratique ?

À ce niveau, ce n’est plus de la commedia dell’arte.

C’est du vaudeville.

***

Le jour de la nomination de Kevin Gilmore, j’ai demandé à des gens qui travaillaient ou avaient travaillé pour l’Impact de déterminer les grands défis du nouveau président. J’ai compilé leurs réponses et les ai regroupées dans une liste de 10 grands chantiers :

  1. Vendre plus d’abonnements
  2. Prendre soin des partisans
  3. Amener les gens jusqu’au stade Saputo
  4. Cibler les régions
  5. Réviser l’horaire des matchs à l’extérieur
  6. Réviser l’horaire des matchs à domicile
  7. Embaucher des vedettes
  8. Stabiliser l’effectif
  9. Faire pression pour des places internationales
  10. Ne pas confondre l’Impact et le Canadien

Presque trois ans plus tard, ça a peu évolué.

La vente d’abonnements reste problématique. D’accord, la pandémie n’a pas aidé. Mais même avant la pause, c’était compliqué. Les relations avec les partisans sont difficiles. Les cotes d’écoute sont désastreuses, symptôme d’un désintérêt généralisé.

Les vedettes ? Il y a eu Thierry Henry derrière le banc. Une excellente prise pour la visibilité de l’équipe. Le meilleur coup de Kevin Gilmore, avec l’embauche du directeur sportif Olivier Renard. Malheureusement, les fans ont eu peu de chances de le voir en personne, l’équipe ayant dû s’exiler aux États-Unis pendant presque tout son passage à Montréal.

Sur le terrain ? L’Impact a embauché Victor Wanyama, de Tottenham. Un bon joueur. Mais pas une superstar qui, comme Didier Drogba, fait déplacer les foules. Kevin Gilmore a plutôt opté pour une autre stratégie : le recrutement et le développement de jeunes joueurs. Ça se défend. Surtout pour un club à petit budget. Sauf que ce statut de club formateur entraîne des inconvénients. L’effectif change constamment, et l’absence de gros noms complique la vente d’abonnements.

Tout compte fait, le CF Montréal se retrouve aujourd’hui dans une position plus fragile qu’en janvier 2019. La personne qui succédera à Kevin Gilmore fera face à de grands défis. Elle devra notamment réparer les pots cassés, et mettre fin définitivement à la culture de confrontation. Ça tombe bien, il y a une solution tout indiquée qui lui permettrait de faire d’une pierre deux coups.

Ramener l’Impact.