Cinq défaites consécutives, et le débat est relancé.

Pour ou contre une reconstruction ?

C’est une stratégie populaire chez bien des partisans du Canadien. Ces amateurs souhaitent que le club échange ses joueurs établis contre des choix de premier tour – idéalement parmi les 10 premiers – et des espoirs. Par effet boule de neige, le club s’affaiblira, et obtiendra ainsi de meilleurs choix au repêchage. Comme ça, dans trois ans, l’équipe sera de nouveau compétitive.

Est-ce un scénario réaliste ?

Dans NHL 22, au niveau recrue, peut-être. Mais dans la vraie Ligue nationale ? Non.

D’abord, une véritable reconstruction, ça prend plus que trois ans. Depuis le lock-out de 2004, les clubs qui ont employé cette stratégie ont attendu en moyenne six ans entre deux participations aux séries.

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Les équipes qui ont le mieux réussi leur reconstruction sont celles qui ont gagné la loterie et obtenu le premier choix au total (Sidney Crosby, Alex Ovechkin, Patrick Kane, Steven Stamkos). Sinon, les résultats sont mitigés. Oui, les Kings de Los Angeles ont gagné la Coupe Stanley sans remporter la loterie. Mais les Sabres de Buffalo, les Panthers de la Floride et les Oilers d’Edmonton, eux, se sont enlisés pendant une décennie, et n’ont toujours pas atteint la demi-finale depuis.

Par ailleurs, les règles ont changé depuis 20 ans. Lorsque les Penguins, les Blackhawks, les Kings et les Capitals ont amorcé leur reconstruction, de 2002 à 2004, le plafond salarial n’existait pas.

Aujourd’hui, non seulement le plafond existe, mais en plus, il risque d’être gelé pour plusieurs saisons. Ça devient beaucoup plus compliqué pour le Canadien d’échanger un vétéran qui gagne 6 millions par saison contre un choix ou un espoir de 19 ans.

Petite démonstration : vendredi, 16 des 32 équipes de la LNH atteignaient la limite supérieure de la masse salariale permise, si on exclut les blessés à long terme. Quatre autres s’en approchaient. Les 12 autres ? Toutes des candidates pour rater les séries. Elles n’ont donc aucun intérêt à échanger leur premier choix, qui risque de se retrouver dans le boulier pour la loterie. Soudainement, les possibilités sont limitées.

« Quand tu parles d’un joueur à un autre DG, a expliqué Marc Bergevin mercredi, la première question que tu vas lui demander, c’est quel est son contrat. Si tu aimes le joueur, tu dis : j’aimerais ça, le fitter [dans mon alignement]. Mais il n’y a pas de fit. C’est pour ça qu’on voit de moins en moins [d’échanges]. »

Vous me direz que le Canadien peut quand même échanger un gros contrat contre un autre gros contrat ET un choix/espoir. Comme ce fut le cas dans la transaction impliquant Max Pacioretty, Tomas Tatar, Nick Suzuki.

Oui. Absolument. Vous avez tout à fait raison. Sauf que ces échanges représentent l’exception, pas la norme.

Dans la plupart des cas, les jeunes surdoués sont échangés contre d’autres jeunes surdoués. Patrik Laine contre Pierre-Luc Dubois. Mikhail Sergachev contre Jonathan Drouin. Dylan Strome contre Nick Schmaltz. Et les choix de premier tour, contre de jeunes vétérans. Du moins, rarement contre un attaquant défensif de 31 ans, ou un défenseur offensif de 34 ans.

Voici la liste des principaux joueurs échangés contre un choix de premier tour depuis un an, et leur âge au moment de la transaction.

– Christian Dvorak, 25 ans
– Sam Reinhart, 25 ans
– Anthony Mantha, 26 ans
– Rasmus Ristolainen, 26 ans
– Conor Garland, 25 ans, et Oliver Ekman-Larsson, 30 ans
– Seth Jones, 26 ans
– Adam Boqvist, 20 ans
– Darcy Kuemper, 30 ans
– Kyle Palmieri, 30 ans, et Travis Zajac, 35 ans
– Nick Foligno, 33 ans
– David Savard, 30 ans

Deux tendances :

1. Le nombre élevé de joueurs de 25 et 26 ans ;

2. Il y a quelques joueurs de 30 ans et plus dans le lot. Ils ont été échangés aux meilleures équipes de la LNH (Avalanche, Lightning, Maple Leafs, Islanders). Les choix des clubs sont parmi les derniers du premier tour. C’est évidemment plus difficile de reconstruire une franchise en acquérant le 31e choix au total plutôt que le 3e ou le 5e.

Si le Canadien procédait à une reconstruction, la meilleure façon d’obtenir un choix élevé ou un espoir de premier plan, ce serait de laisser partir un jeune vétéran.

Qui, chez le Tricolore, a entre 24 et 27 ans ? Josh Anderson, Adam Brooks, Jonathan Drouin, Christian Dvorak, Jake Evans, Artturi Lehkonen, Samuel Montembeault et Sami Niku. Aucune équipe ne cédera son premier choix contre Evans ou Lehkonen. Contre Drouin, s’il maintient sa production toute la saison ? Peut-être. Anderson, malgré son imposant contrat ? Peut-être. Dvorak ? Sûrement.

Mais contre un choix non protégé dans le top 10 ?

Non.

Parmi les joueurs plus âgés, le Canadien a des leurres attrayants. Notamment Jeff Petry, 33 ans, et Tyler Toffoli, 29 ans. Les deux auraient une très bonne valeur sur le marché, même si Petry possède une clause partielle de non-échange (15 équipes), ce qui limiterait les possibilités de surenchère pour le Tricolore. Les autres vétérans en attaque et en défense (Brendan Gallagher, Ben Chiarot, Joel Edmundson, Brett Kulak, David Savard) trouveraient preneurs aussi. Mais je doute que ce soit contre des choix de premier tour, ou contre des espoirs qui constitueront le cœur de l’équipe dans cinq ans.

Est-ce que j’en oublie ?

Ah oui. L’éléphant dans la pièce.

Carey Price.

C’est le nom le plus souvent évoqué, ces dernières années, parmi les partisans d’une reconstruction. Nonobstant le fait que le gardien vedette du Canadien possède, dans son contrat, une clause complète de non-mouvement.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Carey Price

Je souligne ceci : l’été dernier, Price a renoncé à sa clause spéciale afin d’être exposé au repêchage d’expansion. Le Kraken de Seattle, qui avait pourtant plein d’espace sous le plafond salarial, l’a ignoré.

Je répète : le Canadien l’a offert en cadeau. Pas contre un choix de premier tour. Pas contre un choix de deuxième tour. Pas même contre un choix de septième tour, ou un espoir de la Ligue autrichienne. Gratuitement. Le Kraken – qui ne croule pas sous le talent – a poliment refusé. Parce qu’avec le gel anticipé du plafond salarial, le contrat de Price est indésirable.

***

Alors, la reconstruction ?

En y allant vraiment à fond, le Canadien pourrait acquérir trois ou quatre espoirs intéressants. Il y aurait toutefois une lourde conséquence : un séjour de plusieurs années dans la cave. Pour s’en sortir, les recruteurs auraient l’obligation de viser juste avec chaque choix de premier tour, et la pression de trouver plus de pépites dans les tours suivants.

C’est un gros risque.

Un trop gros risque.

Quelle est l’autre option, alors ?

À court et moyen terme, il n’y a pas mille solutions. Les joueurs de l’édition actuelle devront produire à leur plein potentiel. Comme l’a souligné Marc Bergevin, cette semaine : « Remplacer Shea Weber, ça n’arrivera pas. Les Islanders ont perdu John Tavares. C’est un très bon joueur de hockey. Ils n’ont pas amené quelqu’un de spécial. Ils ont trouvé une façon [de gagner]. Je m’attends à ça [des joueurs]. Ils doivent trouver la solution pour gagner [entre eux], dans le vestiaire. »

Et à long terme ? Il n’y a pas de secret. Marc Bergevin a un excellent taux de succès dans ses transactions. Aux recruteurs amateurs du Canadien, maintenant, de briller tout autant avec leurs sélections au repêchage.