Ça fait plus de 100 ans que les élèves des collèges Bishop et Stanstead s’affrontent au hockey. Dernier volet de notre série sur les meilleures rivalités québécoises.

(Stanstead) La première fois que les collèges Stanstead et Bishop, en Estrie, ont formé des équipes de hockey, le Canadien de Montréal n’existait pas. L’avion et le cinéma non plus.

C’était à la fin du XIXe siècle. La date exacte ? Inconnue. Mais on sait, grâce aux journaux de l’époque, qu’il y avait un club à Bishop’s College School (BCS) dès 1888, un autre au collège Stanstead en 1896, et que les deux s’affrontaient au début du siècle suivant.

On sait aussi que, pendant les années 1890, les élèves de BCS se rendaient fréquemment à Stanstead pour y affronter une équipe de jeunes hommes du village. Ces parties étaient fort populaires. Elles attiraient tous les amateurs de sport de la région, soulignait La Presse. Le hockey se jouait alors sur un « rond », à sept contre sept. La qualité de la glace était exécrable. Les changements de trios ? Inexistants. Lors d’une partie, un élève de Bishop est tombé et s’est blessé. Son club a joué en infériorité numérique jusqu’à la fin de la rencontre.

Cent ans plus tard, le rond de glace a disparu. Mais la rivalité, elle, existe toujours. Elle est même plus intense que jamais.

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Pour se rendre à Stanstead, il faut prendre l’autoroute 10 vers Sherbrooke. Puis, après Magog, la 55 vers le sud. Le chemin sillonne des collines multicolores. On se croirait en Nouvelle-Angleterre. Plus on approche de la frontière, plus l’impression est amplifiée.

Le collège se trouve à seulement 10 minutes de marche des États-Unis. Ses pavillons en briques rouges rappellent ceux des campus américains. En ce samedi pluvieux d’automne, le stationnement est plein. Les gradins de l’aréna aussi. Cet après-midi, c’est l’affiche la plus attendue de la saison.

BCS contre Stanstead.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

L’aréna Pat-Burns, au collège de Stanstead

« Ce sont toujours des parties spéciales », souligne le gardien Fabio Iacobo, qui est passé par le collège Stanstead avant de faire le saut dans la LHJMQ, en 2018. « Il faut comprendre que, dans cette ligue, presque toutes les équipes sont établies aux États-Unis et en Ontario. Le seul adversaire proche de Stanstead, c’est Bishop. C’est à seulement 40 minutes d’autobus. Alors naturellement, les deux clubs s’affrontent souvent. D’ailleurs, l’une des premières choses qu’on m’a dites sur le campus, c’est : “On va souvent pogner Bishop. Pis tu vas voir, on ne les aime pas trop !” [Rires] »

Lors des matchs entre les équipes, les deux écoles remplissent l’aréna. Les directions donnent parfois congé à tous les élèves pour assister à une partie en après-midi.

Avant la pandémie, les deux écoles louaient même des autobus pour transporter leurs partisans à l’autre campus. Sean Larochelle, qui a joué pour Stanstead en 2017-2018, en garde un excellent souvenir.

« C’était vraiment, vraiment cool. Ce qui est le fun, c’est que ce sont deux petites écoles [d’environ 250 élèves]. Comme il y a moins d’élèves qu’ailleurs, tout le monde se connaît. Tout le monde se tient serré. On est comme une grosse famille. Les autres élèves venaient nous voir au hockey, et nous, on allait les encourager au rugby ou au soccer. »

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Presque tous les pensionnaires du collège Stanstead ont assisté à la rencontre entre Stanstead et BCS.

Cet après-midi, à cause de la pandémie, les supporteurs de BCS sont restés à la maison. Mais les pensionnaires de Stanstead, eux, sont présents. En très grand nombre. Ils occupent plus de la moitié des sièges de l’aréna. Ils chantent. Ils crient. Ils collent des pancartes contre les baies vitrées.

Derrière eux, sur les murs, se trouve une immense murale de photos d’époque. Le directeur du programme de hockey de Stanstead, James Rioux, me guide. Ici, me montre-t-il, ce sont les équipes locales du début du XXe siècle. Ici, Maurice Richard inaugure la vieille grange qui abritait l’ancienne patinoire. Ici, Henri Richard procède à l’ouverture du nouvel aréna. Les lieux sont chargés d’histoire.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Articles de collection dans le vestiaire de Stanstead

« Suis-moi », me dit-il. Il m’invite dans le vestiaire du club, pour le discours d’avant-match. Les murs sont tapissés d’articles de collection et de photos des anciennes formations. Celles de 1901, 1911, 1912, 1915, 1950… Il y a plus de fantômes ici que dans tout le Centre Bell. Une fois le discours terminé, les joueurs de Stanstead se préparent à sauter sur la glace. Ceux de BCS aussi. La partie va commencer.

Dans les gradins, il y a quelques centaines de partisans. Mais aussi des dépisteurs – 16 en tout. C’est beaucoup pour une partie de hockey scolaire.

Ce qu’il faut savoir, c’est que ces deux écoles préparatoires évoluent en marge des structures classiques de Hockey Québec. Et qu’elles ne sont pas constituées seulement de joueurs de la région, mais de partout sur la planète.

Dans les alignements, je compte 24 Canadiens, 8 Américains, 4 Finlandais. Il y a également des joueurs de l’Autriche, de la Suisse, de la France, de l’Angleterre, de la Suède, de la République tchèque, du Japon et de la Corée du Sud.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Les joueurs de Stanstead et de Bishop proviennent d’une dizaine de pays. Ils rêvent de suivre les traces des anciens qui ont percé dans les rangs professionnels et universitaires.

Ces jeunes rêvent de suivre les traces des espoirs de la LNH qui sont passés par ici depuis 15 ans. Noah Dobson (Islanders de New York), Dawson Mercer (Devils du New Jersey) et Evan Nause, repêché au deuxième tour par les Panthers de la Floride, ont récemment porté les couleurs de BCS. Mark Jankowski (Penguins de Pittsburgh), celles de Stanstead. Sans compter les dizaines de joueurs qui, comme Sean Larochelle et Fabio Iacobo, évoluent dans la LHJMQ ou les universités canadiennes et américaines.

« La sélection de Mark Jankowski au premier tour [par les Flames de Calgary] a vraiment amélioré la visibilité du programme », indique James Rioux. « Le fait que deux autres joueurs [Alex Campbell et Cole Huckins] ont été repêchés dans la LNH depuis Mark, c’est aussi une excellente nouvelle », ajoute l’entraîneur-chef de Stanstead, Matthew Thompson.

« Dans les années 1970 et 1980, nous n’étions pas la saveur du jour, explique l’entraîneur-chef de Bishop, Marco Pietroniro. Maintenant, nous sommes plus connus. Plus respectés. Nous proposons une offre différente, recherchée par des parents et des jeunes. C’est vraiment le fun de voir le programme grandir comme ça. »

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Les joueurs des Bears du Bishop’s College School jubilent à la suite d’un but, en route vers leur victoire contre les Spartans de Stanstead.

Au fait, qui a gagné la partie ? Après avoir échappé une grosse avance la semaine précédente, BCS a pris sa revanche et gagné. Et qui mène la série depuis un siècle ? Euh… Plus personne ne tient le compte. Par contre, tous espèrent que la rivalité durera un autre siècle – au minimum !

« C’est rare qu’on puisse trouver un partenaire de danse avec lequel on s’entend bien depuis si longtemps, indique James Rioux. C’est un honneur de pouvoir poursuivre cette tradition. »

Pas à la portée de tous

Les programmes scolaires et sportifs des collèges Bishop et Stanstead sont réputés pour leur excellence – et leurs coûts élevés. Pour un pensionnaire québécois, les frais annuels sont de 57 540 $ à Stanstead, et de 61 300 $ à BCS. Sans la résidence, c’est de 20 000 $ à 30 000 $. Pour les élèves étrangers, c’est environ 72 000 $. Notez que les deux collèges offrent des programmes d’aide financière.