Quand j’ai commencé à couvrir le sport, il y a 20 ans, les athlètes ne parlaient jamais de leurs problèmes de santé mentale. Jamais, jamais, jamais, jamais, jamais.

Un joueur souffrait d’un mal-être ? Son club lui inventait une grippe intestinale. Ou une blessure à l’aine. Puis le joueur disparaissait pour un petit bout de temps. Ça, c’était le meilleur scénario. Car la plupart du temps, l’athlète cachait son état à ses patrons et continuait de jouer, même si c’était contre-productif.

Pourquoi ?

Parce que les sportifs aiment projeter une image de force. D’endurance. D’invincibilité. Comme les superhéros. Les partisans idolâtrent les gagnants flegmatiques, résistants et imperturbables. Pensez à Michael Jordan. À Tom Brady. À Usain Bolt. Plus près de chez nous, à Shea Weber, qui jouait malgré une douleur insupportable. Le modèle type du joueur qu’affectionne le Canadien.

Or, dans la réalité, les athlètes ne sont pas toutes des personnalités alpha. Loin de là. C’est même le contraire. La majorité d’entre eux sont plutôt des êtres sensibles. Tourmentés. Torturés. Hypersensibles. Des premiers de classe perfectionnistes, très portés sur l’autocritique. Parfois trop, comme on le constate malheureusement avec des athlètes qui souffrent de troubles alimentaires.

J’ai déjà demandé à Samuel Piette, du CF Montréal, d’estimer la proportion d’athlètes anxieux parmi ceux qu’il a côtoyés.

Nous sommes tous anxieux. Moi le premier. Je ressens toujours la nervosité. [Tu vis avec] la peur de mal faire. De ne pas plaire à tes coéquipiers. À tes entraîneurs. Aux fans, évidemment. Tu peux être une bonne personne dans la vie, mais [comme sportif], tu es jugé sur tes performances.

Samuel Piette, milieu défensif du CF Montréal

Jusqu’à récemment, les athlètes camouflaient cette vulnérabilité. Parler publiquement de ses états d’âme était perçu, dans le milieu, comme un geste de faiblesse.

Heureusement, c’est en train de changer. Depuis quelques années, nombre de champions ont reconnu avoir souffert de problèmes de santé mentale. Ç’a été le cas des nageurs Michael Phelps et Amanda Beard. Des joueuses de tennis Serena Williams et Naomi Osaka. De la gymnaste Simone Biles. Du footballeur Ricky Williams. Du baseballeur David Freese. Ici, il y a eu Jonathan Drouin, la cycliste Clara Hughes et la nageuse Mary-Sophie Harvey.

Et maintenant Carey Price.

Son amoureuse, Angela, a indiqué sur Instagram qu’il souffrait d’un problème de santé mentale. Lequel ? Elle ne l’a pas précisé. Le Canadien non plus. Et ne comptez pas sur moi pour lancer des hypothèses. Ce que Carey Price vit lui appartient. S’il souhaite en parler, soit. S’il refuse, c’est aussi son droit. Point.

Je soulignerai toutefois ceci : en reconnaissant publiquement qu’il souffre d’un problème de santé mentale, Carey Price fait œuvre utile. Vraiment.

C’est aussi l’avis du directeur scientifique de l’Institut Douglas et psychiatre en chef du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, le DGustavo Turecki.

« Que des athlètes parlent ouvertement de leur santé mentale, c’est excellent », fait-il valoir. « Lorsqu’ils parlent de leur épuisement, de leur dépression, de leur anxiété, ça permet de démystifier les problèmes de santé mentale. De les rendre plus acceptables dans la société. Surtout, ça démontre que personne, personne, mais vraiment personne, même pas un héros comme Carey Price, n’est à l’abri d’une maladie mentale.

« Les athlètes sont perçus comme des gens forts, persistants et tenaces. Quand ils parlent publiquement de leurs problèmes, ça aide toutes les autres personnes atteintes qui, tous les jours, affrontent des préjugés. Ces patients, ils ont peur. Peur du regard des autres. Peur de la réaction de leurs collègues. Peur d’être jugés. Peur d’être perçus comme des faibles. Peur de leur propre réaction, car les préjugés, ça commence souvent avec soi-même. »

Ce sont précisément les mêmes raisons qui expliquent pourquoi les athlètes d’élite ont longtemps caché leurs problèmes de santé mentale. Et que beaucoup d’entre eux continuent de le faire. D’ailleurs, je ne les critique pas. C’est très difficile de s’exposer publiquement, comme l’ont fait Carey Price et Jonathan Drouin. Maintenant, si on souhaite que les mentalités évoluent, ça prendra d’autres sorties courageuses comme celles des deux vedettes du Canadien.

Comme l’a souligné avec justesse Angela Price, jeudi : « Notre famille profite d’une tribune publique pour démontrer qu’il existe un chemin vers la lumière pour ceux qui souffrent. […] C’est extrêmement important pour nous de montrer à nos enfants que demander de l’aide n’est pas seulement acceptable, mais encouragé à tout moment. Et dans toutes les circonstances. »