Marc Bergevin restera-t-il avec le Canadien ? Ou pas ? 

Le directeur général du Tricolore entame la dernière année de son contrat. Il ignore la suite. Une situation inconfortable – et rare – pour un DG de la LNH.

Que se passe-t-il ?

J’entends tout et son contraire. Marc Bergevin veut rester/s’en aller. Geoff Molson veut le retenir/le laisser partir. Il y a autant de rumeurs que de dollars sur le nouveau chèque de paye de Jesperi Kotkaniemi. À travers ce tohu-bohu, je n’ai qu’une certitude : la confusion fragilise l’organisation.

« L’incertitude, en gestion, ce n’est vraiment pas bon », lance le professeur Éric Brunelle, directeur du Pôle sports de HEC Montréal et coauteur de Paroles de PDG, un essai dans lequel 75 dirigeants racontent leur vie à la tête d’une entreprise.

C’est que Marc Bergevin n’est pas un employé comme les autres. Son rôle est névralgique. Il supervise toutes les opérations hockey. Il a embauché tous les entraîneurs. Presque tous les dépisteurs. C’est aussi lui qui a repêché ou acquis tous les joueurs de l’équipe ou prolongé leur contrat. Tous les employés connaissent ses codes. Ses attentes. Tous savent que s’ils travaillent pour le Canadien, c’est un peu, beaucoup grâce à lui.

C’est tout cet écosystème qui est menacé aujourd’hui.

Chez ses collaborateurs, c’est inévitable, les questions se bousculent. Si Marc Bergevin part, qui le remplacera ? Le nouveau patron m’appréciera-t-il autant ? Me fera-t-il confiance ? Préférera-t-il s’entourer de nouveaux adjoints ? Que dois-je faire pour défendre mon poste ?

« Quand on n’est pas trop sûr où s’en va la tête, le reste du corps a tendance à vouloir se protéger », illustre Éric Brunelle. Une distraction dont les joueurs et les entraîneurs du Canadien n’ont franchement pas besoin, à l’amorce d’une nouvelle saison.

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Le DG d’une équipe professionnelle est au sommet de la pyramide. Du moins, il s’en approche. À ce niveau-là, indique Éric Brunelle, il est capital d’établir son leadership. Ça passe par trois axes : les relations interpersonnelles, la crédibilité et la légitimité.

Laissons de côté les deux premiers – « peu pertinents dans le cas présent », souligne le professeur. Mais la légitimité, elle, l’est. Beaucoup.

Lorsqu’un DG prend des décisions, on suppose qu’il sera encore là dans six mois ou un an. C’est ce qui est attaqué lorsque son contrat n’est pas prolongé. Là, on n’est plus certains de parler avec quelqu’un qui possède les pleins pouvoirs, ou qui peut prendre toutes les décisions. C’est un problème.

Éric Brunelle, directeur du Pôle sports de HEC Montréal

« [Lorsqu’un dirigeant] manque de légitimité, les gens à l’interne, les autres DG, les agents de joueurs et le public auront toujours une petite arrière-pensée. Ils vont se demander : “Le DG a-t-il posé tel geste pour sauver son poste, ou non ?” »

C’est loin d’être le seul effet négatif de l’incertitude.

Un autre ? Lorsque des employés constatent que leur patron se trouve dans une situation précaire, ils ont tendance à vouloir protéger leurs acquis.

« Ils vont chercher des mécanismes de protection, explique Éric Brunelle. Ceux qui ont peur de perdre leur statut de “privilégié”, par exemple, peuvent être tentés de mettre leur patron en valeur, pour qu’une entente soit signée. Ces gens vont d’abord penser au bien de leur patron, au détriment des autres groupes de l’entreprise. Ce sont des comportements qui peuvent être contre-productifs – et qui sont favorables à l’émergence de cliques. »

Quoi ? Des cliques dans les équipes professionnelles ? Comme dans Occupation double ? Désolé de péter votre balloune, mais oui, ça existe. Il y a aussi des drames. Des rivalités. Des divergences d’opinions entre les départements. D’ailleurs, c’est pas mal le cas dans toutes les entreprises de cette taille.

Des exemples dans le sport ?

Il y en a des tonnes. L’Impact, devenu le CF Montréal, patauge dans les luttes intestines depuis un quart de siècle. Le FC Barcelone, depuis 40 ans. L’ex-DG des Red Sox de Boston, Theo Epstein, était en conflit ouvert avec son patron, Larry Lucchino. (Anecdote : Epstein avait démissionné le jour de l’Halloween. Pour passer incognito à sa sortie du stade, il s’était déguisé en gorille !)

Un leader fort et expérimenté, qui agit en toute légitimité, est capable de réduire ces zones de friction. Revenons à Marc Bergevin. Je l’ai écrit tantôt, il a embauché presque tous les employés actuels de son département. C’est normal que ces gens – consciemment ou non – se sentent redevables envers lui. Qu’ils adhèrent à son plan. À sa vision.

Dans l’ensemble, on peut affirmer que Marc Bergevin est la constante de l’organisation. C’est pourquoi je ne crois pas qu’il ait l’intention de quitter le Canadien. Je peux me tromper, bien sûr. Mais au cours des derniers mois, Bergevin n’a affiché aucun signe de désengagement. Au contraire.

Après la finale de la Coupe Stanley, il a :

• prolongé les contrats de deux fidèles lieutenants (Dominique Ducharme et John Sedgwick) ;

• trouvé de nouveaux entraîneurs pour le club-école ;

• manœuvré pour protéger ses meilleurs actifs au repêchage d’expansion ;

• défendu sa sélection (controversée) de Logan Mailloux au repêchage ;

• embauché une demi-douzaine de joueurs autonomes ;

• trouvé rapidement un nouveau centre après la perte de Jesperi Kotkaniemi.

Si bien qu’à la fin août, Marc Bergevin n’avait toujours pas pris de vacances. Pas précisément le profil d’un DG passif en mode préretraite, ou sur son départ vers les Kings de Los Angeles (oui, cette rumeur circule).

En revanche, le silence de Geoff Molson est troublant. Le propriétaire du Canadien n’a pas récemment réitéré publiquement sa confiance en Bergevin, comme vient de le faire le patron du Lightning de Tampa Bay envers son DG, Julien BriseBois, lui aussi sans contrat après la prochaine saison. Clairement, quelque chose cloche.

Peu importent les intentions de Marc Bergevin et de Geoff Molson, l’important, c’est que la situation soit réglée avant le début de la saison. Éric Brunelle est aussi de cet avis.

« Plus ça traîne, moins c’est bon pour le Canadien. Est-ce mieux de vivre une année dans l’incertitude ? Ou une année sans cette compétence-là ? Bergevin, quoi qu’on en dise, vient d’être mis en nomination pour le titre de meilleur DG de l’année dans la LNH. » C’était d’ailleurs la troisième fois en neuf ans. « Il a démontré beaucoup de compétences. Si, comme propriétaire, j’annonce son départ, qui le remplacera ? Est-ce que le mieux est d’avoir un DG compétent, qui fera de son mieux, malgré les inconvénients ? C’est ça, la vraie question. »

« Le plus dommage dans tout ça, conclut Éric Brunelle, c’est que ça laissera des séquelles. Ce qui se dit [en négociations], ça ne disparaîtra pas après. »