Marc Bergevin a du cran, pas de doute là-dessus. Il faut une solide dose d’audace pour laisser filer un joueur venant tout juste de célébrer ses 21 ans et qui, malgré un développement moins rapide qu’espéré, demeure un attaquant doté d’un potentiel considérable.

Si Jesperi Kotkaniemi débloque en Caroline, cette décision sera une tache au palmarès de Bergevin. En revanche, si le jeune Finlandais ne trouve pas ses repères, le DG du Canadien fera figure de champion et les Hurricanes auront commis une grave erreur d’évaluation.

Alors oui, en attendant le verdict final, bravo pour la témérité. Mais une fois qu’on a dit cela, une question s’impose : quel message le CH nous envoie-t-il à propos de la qualité de son service du recrutement ?

En juin 2018, lorsque l’équipe a choisi Kotkaniemi au troisième rang du repêchage, l’enthousiasme était à son comble au sein de l’état-major. « C’est un joueur extraordinaire, avait expliqué Trevor Timmins. Il possède un bon tir, il est bon défensivement, il a un bon physique et il travaille fort. Il n’est même pas près d’avoir atteint son plein potentiel. »

À peine trois ans plus tard, tout cela ne tient plus. Car si Bergevin avait encore cru en KK, il se serait bouché le nez et aurait égalé l’offre trop généreuse des Hurricanes. Il n’aurait pas coupé les ponts avec lui pour un problème circonstanciel de masse salariale.

La décision du Canadien, qu’on le veuille ou non, constitue un véritable camouflet infligé à Trevor Timmins. Le verdict implicite de l’organisation est sans appel : choisir KK au repêchage de 2018 plutôt que Brady Tkachuk, sélectionné au rang suivant par les Sénateurs d’Ottawa, a été une grave erreur.

Qu’une équipe commette des fautes d’évaluation au repêchage est tout à fait normal. Mais quand on a l’immense chance de détenir un des trois premiers choix, on n’a pas vraiment le droit de se tromper. L’impact sur l’avenir de l’organisation est trop grand. Dans un monde idéal, on bâtit autour de ces jeunes surdoués. On ne les laisse pas partir sous d’autres cieux aussi vite, à moins d’avoir largement perdu confiance en eux.

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Les Hurricanes ont bon espoir que KK développera avec succès son talent. Je partage leur évaluation. Le jeune homme possède des atouts formidables : sa taille, son tir et une vision intéressante du jeu. Mais il manque encore de maturité, ce qui est normal à cet âge. Tout le monde le sait : il faut être patient avec les jeunes. Mais dans l’environnement hautement concurrentiel du sport professionnel, c’est plus facile à dire qu’à faire.

Si KK s’impose dans son nouvel uniforme, cela suscitera des doutes sur la manière dont le CH développe ses joueurs. En clair, il pourrait longtemps hanter le CH s’il devient un attaquant de premier plan, un scénario possible.

Pour combler les trous laissés au centre par les départs de Phillip Danault et KK, Bergevin a obtenu Christian Dvorak, des Coyotes de l’Arizona. Sans être une étoile, c’est un joueur solide, pas de doute là-dessus. Son salaire annuel de 4,45 millions US pour les quatre prochaines saisons (selon capfriendly.com) pesait sans doute trop lourd dans le processus de reconstruction des Coyotes.

Bergevin a souvent eu du flair en obtenant des joueurs disponibles sur le marché des transactions. Ce sera peut-être encore le cas cette fois-ci. Mais à l’heure actuelle, le CH semble moins solide qu’à la fin de la dernière saison. La perte de Danault fera très mal, tout comme celle de Corey Perry. La saison dernière, la présence du vétéran attaquant a ravivé le leadership de l’équipe, qui en avait bien besoin après plusieurs saisons décevantes.

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Les Hurricanes ont été beaucoup critiqués pour avoir soumis une offre hostile à Kotkaniemi. Pour la simple raison qu’une ambivalence existe à propos de leur véritable motivation : ont-ils agi pour renforcer leur équipe, ou pour se venger du Canadien, lui-même auteur d’une offre hostile à leur jeune vedette Sebastian Aho il y a deux ans ?

Le désir des Hurricanes de mettre des bâtons dans les roues du CH était évident. En revanche, leur décision se justifie aussi sur le plan du hockey. C’est un risque, bien sûr. Mais les organisations gagnantes n’hésitent pas à en prendre.

Cela dit, merci au Canadien et aux Hurricanes d’avoir soumis ces offres hostiles. Habituellement boudées par les organisations, elles ajoutent au spectacle donné par la LNH.

La dernière semaine le démontre amplement. L’avenir de KK avec le Canadien a alimenté mille conversations. Nous avions tous notre idée sur la question et attendions avec intérêt la décision définitive du CH. Cela a mis du piquant à l’entre-saison.

La décision de Canadien de ne pas égaler le contrat soumis à KK prouve aussi qu’une offre hostile peut fonctionner lorsqu’elle est bien ciblée. Les Hurricanes ont mis Bergevin dans l’embarras et celui-ci a dû se montrer créatif pour résoudre le problème. Il a monnayé une partie de la compensation reçue pour obtenir un joueur de remplacement.

Alors bonne chance à Kotkaniemi avec les Hurricanes. J’imagine qu’il sera hué à sa première visite à Montréal la saison prochaine, et je trouve cela dommage. Il a profité d’un outil de la convention collective pour améliorer sa situation financière. Pourquoi le lui reprocher ? Cette proposition ne se refusait tout simplement pas. À lui maintenant de se montrer à la hauteur des attentes.