Sur le terrain, Danny Maciocia regarde ses joueurs s’échauffer, une scène à première vue banale. Quoi de plus normal, en effet, que de les voir courir, lancer et attraper le ballon ou s’échauffer en prévision du match ?

Soudain, le directeur général des Alouettes est submergé d’une émotion puissante. Comme si tous les souvenirs des 19 derniers mois remontaient à la surface. Les moments de bonheur, mais ceux de doute aussi.

Maciocia souhaitait depuis si longtemps occuper un rôle de premier plan avec les Alouettes. Son rêve est devenu réalité en janvier 2020. Directeur général de l’équipe, ce n’est pas rien dans une carrière ! Le jour de l’annonce a été formidable : conférence de presse dans un grand hôtel, une salle remplie d’amis et de journalistes, des applaudissements, des tapes dans le dos, des félicitations… Avec Mario Cecchini, nouveau président de l’équipe, Maciocia avait hâte de donner un second souffle à l’organisation, bousculée par mille tempêtes au cours des années précédentes.

La suite, hélas, n’a pas été heureuse. La COVID-19 a frappé, et la Ligue canadienne de football (LCF) a annulé sa saison. Au lieu de carburer à la vie folle d’un DG en plein exercice, Maciocia a été contraint à une relative inactivité. On a beau dresser des plans en vue d’une éventuelle reprise, impossible de ne pas s’interroger sur l’avenir quand un circuit fragile comme celui de la LCF fait face à l’imprévisible. La ligue résistera-t-elle à la pandémie ?

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Danny Maciocia peut maintenant diriger les Alouettes alors que la vie « normale » reprend en partie ses droits.

Heureusement, le portrait s’est peu à peu éclairci. Et en ce deuxième samedi du mois d’août 2021, sur le terrain des Elks d’Edmonton, les Alouettes se préparent à disputer un premier match depuis presque deux ans. Voilà pourquoi l’échauffement des joueurs prend une telle signification. Les jours d’inquiétude sont terminés, le football reprend ses droits.

D’un seul coup, Maciocia devient très émotif. Il saisit alors son cellulaire et joint sa famille en mode FaceTime : sa femme, Sandra, et ses filles, Bianca, Juliana et Alessia.

Maciocia dirige l’objectif de l’appareil vers le terrain, où les joueurs achèvent leur préparation. Les mots sortent plus difficilement de sa bouche. Aux amours de sa vie, il dit cette phrase simple et rayonnante : « On va jouer aujourd’hui. »

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Oui, on va jouer aujourd’hui. Enfin ! Ce match est comme une libération.

« Je me suis posé des questions durant ces longs mois, dit Maciocia. Ç’a été une période difficile. J’ai parfois ressenti de la frustration. Mais je parlais à Mario [Cecchini] et partager avec lui cette expérience a facilité les choses. »

Au bout du fil, le DG est serein. La vie « normale » reprend en partie ses droits. Cette visite à Edmonton a été un succès sur tous les fronts : victoire convaincante des Alouettes et retour dans une ville où il a connu des moments heureux et tristes.

Maciocia a en effet travaillé plusieurs saisons pour les Eskimos, l’ancien nom des Elks. Comme entraîneur-chef, il les a menés à la conquête de la Coupe Grey en 2005. La suite a été plus complexe. En juillet 2010, devenu DG des Eskimos, il a été congédié. Sa relation avec la ville était difficile.

« Ma fille aînée, alors toute jeune, se faisait dire des choses plates à l’école, raconte-t-il. Je n’ai pas l’impression d’avoir été entièrement accepté là-bas. Ce court séjour à Edmonton m’a en quelque sorte permis de mettre un point final à cette expérience. J’ai hésité avant de faire le voyage. Ma femme et mes filles m’ont conseillé d’y être. J’ai bien fait de suivre leur conseil. »

La victoire sans appel des Alouettes a représenté la traditionnelle cerise sur le gâteau pour Danny Maciocia. « On a bien joué. Ç’a été une grande satisfaction pour moi. »

Bien joué ? C’est le moins qu’on puisse dire. Les Alouettes, solidement préparés par l’entraîneur-chef Khari Jones, ont été dominants. Du beau football, très excitant, qui a rappelé à quel point la Ligue canadienne offrait souvent un excellent spectacle.

Si les Alouettes semblent solides en ce début de saison, c’est aussi parce que Maciocia a tiré les bonnes ficelles en composant son équipe. Il a conservé son noyau, le quart-arrière Vernon Adams fils en tête. Et ajouté des éléments importants, comme le vétéran Almondo Sewell, qui a animé le débat avant le match en s’interrogeant publiquement sur le cran du quart-arrière des Elks Trevor Harris.

« Almondo est le genre de joueur que je recherchais, explique Maciocia. Toutes les grandes équipes des Alouettes avaient des gars contre qui c’était très difficile de jouer, des gars rudes, un peu méchants. Le club en a manqué au cours des dernières années. Tiens, c’est un peu comme le Canadien qui cherche des joueurs capables de frapper dans le coin et de nettoyer le devant du filet. Nous, on veut gagner les batailles à la ligne de mêlée. Et c’est ce qu’on a fait contre les Elks, à l’attaque et en défense. »

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Le prochain match des Alouettes aura lieu vendredi à Calgary, contre les Stampeders. Une semaine plus tard, ce sera la grande ouverture locale face aux Tigers-Cats de Hamilton.

« On a tous hâte à ce moment, dit Maciocia. Ce sera une belle journée pour l’organisation. Nos joueurs québécois sont déjà excités. »

Maciocia a ajouté de nombreux joueurs d’ici à sa formation. Sur les 21 Canadiens en uniforme samedi, 13 étaient du Québec. À ce sujet, le DG tient ses promesses. « J’espère que les amateurs vont tomber amoureux de notre équipe, dit-il. On a des types formidables, comme Vernon Adams Jr., qui s’implique dans la communauté. Et on aligne un groupe qui luttera chaque semaine. On veut se donner une chance de gagner chaque match. »

Après une trop longue attente, les Alouettes sont enfin de retour. Et Maciocia, avec plaisir et soulagement, pourra souvent lancer à sa famille : « Oui, on va jouer aujourd’hui… »