(Sapporo) Les employés remballaient déjà l’équipement et les rues de Sapporo étaient rouvertes. Le marathon des hommes avait pris fin quelques heures plus tôt.

Je suis allé courir vers le temple Hokkaidō-jingū, puis vers un observatoire, au pied d’une pente de saut à ski. Elle a été créée pour les Jeux d’hiver de 1972.

On y vend encore des souvenirs de cette époque un peu plus idéaliste. C’était avant l’assassinat de 11 athlètes israéliens à Munich par un commando palestinien. Avant les boycottages successifs. Avant l’ombre permanente du dopage. Avant l’hypersécurité. Avant l’explosion des coûts et la démesure institutionnalisée.

En revenant dans le parc Odori, qui sont un peu les Champs-Élysées de l’endroit, une cinquantaine de personnes faisaient sagement la file pour se faire photographier devant les anneaux olympiques, chacun son tour. J’ai vu la même scène à Tokyo.

Les Jeux olympiques manufacturent encore de la magie sportive, du rêve et des émotions planétaires comme aucun autre évènement. Ceux de Tokyo, de ce point de vue, ont livré toutes leurs promesses, et au-delà. Comme on pouvait s’y attendre aussi, l’organisation par le Japon a été exceptionnelle, surtout si on tient compte du niveau de difficulté en ces temps de pandémie.

Mais plus que jamais, la déconnexion entre l’excellence du spectacle athlétique mondial et l’adhésion des citoyens était violente.

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L’équipe de La Presse est arrivée le 20 juillet, à peu près en même temps que les 52 000 accrédités pour les Jeux.

Le Japon, relativement épargné comparativement aux pays occidentaux, observait le début d’une quatrième vague de contaminations à la COVID-19. On a recensé 3836 cas dans le pays ce jour-là, et plusieurs préfectures ont décrété l’urgence sanitaire.

Nous partons aujourd’hui pendant que le Japon dénombre plus de 15 000 cas. C’est le plus haut total de la pandémie.

Thomas Bach, président du Comité international olympique (CIO), met en relief le fait que seulement 400 cas positifs ont été rapportés parmi les accrédités. Très peu d’athlètes. Surtout des contractants japonais. Bref, si le « risque zéro » qu’il a promis ne pouvait pas exister, il a raison de dire que l’éclosion majeure actuelle ne peut pas être attribuée aux Jeux. Nous avons été testés avant et pendant plus de 10 fois, et la « bulle » olympique a bien tenu le coup.

La question n’est pas là.

Elle n’est pas non plus dans l’argument des opposants aux Jeux qui prétendent que la tenue même des JO a envoyé un message de relâchement au public. Les bars étaient fermés, les restos sauf exception fermaient tôt. Bref, la contagion communautaire et le retard vaccinal sont probablement bien plus en cause.

La question est plutôt : qui voudra des Jeux, maintenant ? Ce n’est pas une nouvelle question. Mais à voir comment le gouvernement japonais s’est senti forcé de tenir l’évènement malgré l’opposition marquée de la population, les autres villes, les autres pays ont toutes les raisons d’être prudents et de passer leur tour. Dans les démocraties constitutionnelles, à peu près chaque fois qu’une consultation populaire a eu lieu depuis 15 ans, les populations locales ont dit « non » aux Jeux.

Les bénéfices touristiques (négatifs), le prestige (fugace), l’effet d’entraînement athlétique (douteux), les profits (parlons plutôt de déficits), bref, à peu près tous les arguments traditionnels pour vouloir les Jeux chez soi ne tiennent plus la route.

Le message des Jeux de Tokyo est que même dans des circonstances de crise sanitaire mondiale, des Jeux fabuleux peuvent être tenus.

C’est aussi que rien ne peut les arrêter, une fois mis sur les rails. Ni les dépassements de coûts, ni l’opposition politique ou citoyenne, ni les avis médicaux.

Le Comité international olympique ne peut pas se contenter de comptabiliser le petit nombre de cas positifs de COVID-19, en faisant comme si on ne sortait pas d’un pays où le personnel hospitalier, ici aussi, commence à crier à l’aide.

On démonte la tente après une fête « pour le monde entier » dont étaient exclus ceux qui nous invitaient. Ça envoie une sorte d’avertissement aux futurs candidats, question « acceptabilité sociale ».

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Permettez quand même que je souligne quelques choses vues de mes yeux, sans tout revisiter de ces semaines d’émotions…

– Comment ne pas adorer Maude Charron, improbable médaillée d’or, avec son entraînement de garage à Rimouski et son mentor de Sainte-Anne-des-Monts ?

– Les Canadiens Evan Dunfee et Mathieu Bilodeau m’ont converti à la pertinence du 50 km marche. Pas à cause de la médaille de bronze de Dunfee et de l’accolade de Bilodeau. Parce que dans cette épreuve sans public, sans argent, il y a une forme de pureté du sport olympique. J’ai compris, dans la chaleur écrasante de Sapporo, que c’est l’épreuve d’endurance la plus extrême des Jeux. Elle ne coûte rien à organiser. Ne demande aucune infrastructure. La défense passionnée de Dunfee de son sport, qu’on veut bazarder pour un 35 km, m’a ému et conquis.

– Justyn Knight a fini 7e au 5000 m, le soir où Mohammed Ahmed a pris l’argent. Ça n’a l’air de rien, 7e, mais les gros coureurs internationaux étaient tous là, et à 25 ans, ce garçon de Toronto n’a pas fini de nous épater. En plus d’être hyper sympathique.

– Plus que jamais, c’étaient les Jeux des réfugiés. Pas seulement de l’équipe des 29 réfugiés, sélectionnés surtout dans des camps en bordure de zones de conflits. Les réfugiés qui ont trouvé un pays hôte avant d’être des athlètes ; qui y ont découvert leur talent et l’ont développé. De Sifan Hassan à Mohammed Ahmed à Abdi et Nageeye au marathon, et j’en passe.