(Sapporo) Au milieu de l’entrevue, Malindi Elmore s’est sentie mal.

« Je suis étourdie, excusez-moi… Quelqu’un a du sucre ? »

Pendant que des bénévoles japonaises couraient dans toutes les directions pour trouver du glucose sous une forme quelconque, la meilleure marathonienne canadienne s’est assise par terre.

« On peut remettre ça, vous savez…

— Non, non, je vais continuer assise. »

C’est ainsi que la coureuse de 41 ans a continué à jaser comme si de rien n’était, assise sur l’asphalte de la « zone mixte » où les marathoniennes passent, plusieurs en boitant, pleurant, roulant dans un fauteuil. Elle avait toutes les raisons d’aller récupérer plus loin pour sortir du four urbain de Sapporo. Mais non, elle est comme ça : elle endure.

Sa neuvième place dans une course très relevée est un des rares top 10 canadiens au marathon olympique (Jerome Drayton a été 6e à Montréal, Sylvie Ruegger 9e au premier marathon féminin, à Los Angeles en 1984).

C’est surtout une deuxième vie olympique inattendue pour cette femme de Kelowna… 17 ans après les Jeux d’Athènes. Elle courait le 1500 m et avait été éliminée dans le tour préliminaire. Une carrière en forme de course de fond.

« Je suis à un endroit totalement différent dans ma vie. En 2004, j’étais à l’université, je courais le monde pour des compétitions d’athlétisme… Dix-sept ans, c’est long. J’ai eu deux enfants, mon mari est mon entraîneur.

« J’avais abandonné toute aspiration à retourner aux Jeux, j’avais pris ma retraite », dit celle que sa mère a voulu prénommer du nom d’un village kényan qu’elle avait visité à 22 ans lors d’un voyage sac au dos.

Oh, Malindi avait bien fait deux Ironman (en moins de neuf heures), mais ça ne compte pas…

En 2019, faute de temps pour s’entraîner avec son deuxième enfant qui n’a que 6 mois, elle décide de faire un marathon. Une simple affaire de bucket list, comme d’autres veulent voir le Taj Mahal. Oh… 2 h 32 min… C’était rapide, et trop proche du standard olympique (2 h 29 min 30 s) pour ne pas essayer.

À son deuxième marathon, elle fait éclater le record canadien avec un temps de 2 h 24 min 50 s.

« Pour moi, c’était quand même hilarant de juste penser aux Jeux olympiques. Je n’avais aucune idée que c’était un évènement pour moi. »

Vendredi à Sapporo, c’était son troisième. Et avec ce résultat, on ne rit plus. Ce ne sera pas son dernier. Après tout, la 10e, l’Australienne Sinead Diver, a 44 ans. La 11e, la Namibienne Helalia Johannes, 40.

Elmore a couru au départ avec sa compatriote Natasha Wodak. Elle était dans le peloton de tête, où étaient les trois Kényanes, dont la détentrice du record du monde et d’autres qui courent régulièrement sous les 2 h 20 min.

« J’ai vu qu’elles ont accéléré, j’ai décidé d’être intelligente et patiente. La patience, c’est la force. »

Elle a gagné des positions jusqu’à la fin, à mesure que ses concurrentes faiblissaient.

« J’espérais rattraper le peloton, mais finalement, juste de me maintenir m’a demandé toute mon énergie.

« Avec 7 km à parcourir, je me sentais super bien, j’ai entendu que j’étais proche de la 10e et tout d’un coup, woooh, ça m’a frappée, j’ai pensé que je devrais arrêter, j’ai failli vomir… J’ai pris un gel, de l’eau, et j’ai juste essayé de rester dans l’instant, je savais que tout le monde avait mal. Je suis tellement fière. Une neuvième place (2 h 30 min 59 s), c’est la cerise sur le gâteau. J’ai atteint mes objectifs, et je dois dire que dans mon cas, ce n’est pas arrivé souvent. »

« Pour moi, ce n’est pas la cerise, c’est le gâteau sur le gâteau ! », a renchéri Natasha Wodak, exubérante après sa 13place inattendue (2 h 31 min 41 s). Coureuse de 10 000 m (32e à Rio) passée au marathon, elle n’en espérait pas tant. « Ça ne se compare même pas à 2016, je suis arrivée ici pleine de gratitude, dans la forme de ma vie à 39 ans. Là, c’est le temps de faire le party ! »

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L’histoire classique du journalisme olympique est celle de la dernière place au marathon, qui est la personne ayant « enduré » le plus.

Le sort a voulu que ce soit la troisième canadienne, Dayna Pidhoresky, qui termine en queue de course, 73e, en 3 h 3 min. Derrière elle, les 15 ayant abandonné.

« J’ai fini, je voulais courir jusqu’à ce que je m’effondre. Mon mari m’a dit : “Continue jusqu’à ce que tu n’en puisses plus.” J’espérais m’effondrer pour m’arrêter, mais ce n’est pas arrivé ! », dit-elle en riant.

Ce que ça fait, terminer dernière ?

Il y a un mois, ça m’aurait découragée, mais avec tout ce qui m’est arrivé, je suis vraiment fière.

Dayna Pidhoresky

Tout ce qui lui est arrivé, c’est une fracture de stress non guérie au tibia qui l’a empêchée de bien finir son entraînement ; c’est aussi quatre jours d’isolement dans son hôtel pour avoir eu un voisin COVID positif.

Quand on arrive dernière, il reste aussi moins de gens, des bus sont partis…

« Juste d’être dans un environnement de compétition internationale, on apprend. »

Elle a appris entre autres qu’elle peut endurer la souffrance beaucoup plus longtemps qu’elle ne le croyait.

« D’habitude, ça commence à faire mal au 30e kilomètre du marathon… Aujourd’hui, c’était au 15e. »

Il devrait aussi y avoir des fleurs pour la dernière, je trouve.

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Comme prévu, les Kényanes ont mené le jeu du début à la fin. Peres Jepchirchir a coiffé l’auteure du record du monde Brigid Kosgei, qui a couru à ses côtés tout le long. Le plan, ont-elles dit, était de rafler le podium au complet, mais la troisième a cassé avant la fin.

Le Kenya, avec son incroyable profondeur de talent, est le pays ayant récolté le plus de médailles olympiques au marathon.

PHOTO GIUSEPPE CACACE, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’Américaine Molly Seidel (à gauche) est félicitée par les Canadiennes Natasha Wodak et Malindi Elmore après la course.

Surprise de taille, toutefois, l’Américaine Molly Seidel, dont la qualification même avait étonné l’an dernier, a remporté le bronze.

« Il faut juste ne pas trop penser que tu cours avec la meilleure au monde, a-t-elle dit. Je me suis étonnée, mais je savais que si j’avais une bonne journée, je pourrais faire un top 5. »

Nous, on ne savait pas.