Andre De Grasse, meilleur temps des demi-finales, sera accompagné d’Aaron Brown en finale du 200 m : une première pour le Canada

(Tokyo) Il restait 40 m à parcourir. Les deux gars se regardaient.

Ça va, toi ? Oui, ça va, et toi ? À part ça, chez vous ?

C’était un 200 m, alors apparemment Andre De Grasse avait le temps de jaser en masse avec son voisin Kenneth Bednarek, en finissant de se qualifier pour la finale.

Enfin, pas son voisin de couloir, mais son voisin de centièmes de seconde. Parce que peu de gens habitent en dessous des 20 secondes. Ça crée des liens.

De Grasse regardait à gauche. Bednarek regardait à droite. Ils se surveillaient. Rendus là, ils voyaient qu’ils seraient qualifiés pour la finale, car seuls les deux premiers de chacune des trois séries se qualifient, plus les deux meilleurs chronos.

PHOTO FRANCISCO SECO, ASSOCIATED PRESS

Andre De Grasse et Shaun Maswanganyi, de l’Afrique du Sud

En fait, De Grasse a arrêté de courir sur les derniers mètres. Mais ça ne l’a pas empêché d’établir un nouveau record canadien au 200 m (19,73 s).

« Je savais que j’avais ça en moi, nous a-t-il dit après. Mon record personnel datait de 2016 ; je ne pensais pas aller si vite, mais l’Américain, Kenny, me poussait un petit peu, je devais m’assurer de me qualifier pour la finale, et mon coach m’a dit : “Assure-toi de finir premier, il faut que tu aies un bon couloir pour demain soir.” »

Peu de phrases d’Andre De Grasse ne contiennent pas les mots « mon coach m’a dit ». Son entraîneur, Rana Reider, de l’Université de Floride à Jacksonville, est aussi celui de l’Américain Trayvon Bromell, favori déçu du 100 m. Une grosse pointure de l’entraînement de vitesse.

De Grasse a écouté le coach. Il a terminé premier de sa série, et meilleur chrono des 24 concurrents.

« C’est mon plus gros évènement, alors je vais juste essayer de gagner l’or », a-t-il dit, accompagnant cette déclaration d’un rire dont on ne savait pas s’il était nerveux, enthousiaste ou les deux.

Remarquez, il est comme ça, De Grasse, il rit souvent, il est juste sympathique. Ce qui fait un certain contraste avec l’air ombrageux cultivé par certains sprinteurs.

En le voyant se tourner si souvent vers Bednarek, tout le monde a pensé à cette scène d’anthologie entre Usain Bolt et lui à la finale du 200 m à Rio, où les deux se regardent avec un grand sourire juste avant la ligne d’arrivée.

« Oui, on m’en parle souvent, mais c’est lui [Bolt] qui m’a souri, et moi, quand on me sourit, je souris, a dit De Grasse en souriant. Ce soir, j’essayais juste de conserver le plus d’énergie possible pour la finale. »

Aaron Brown, partenaire de De Grasse au 4 x 100 m (bronze à Rio), a aussi remporté sa série, et sera de la finale. Deux Canadiens en finale du 200 m, ça ne s’est jamais vu.

PHOTO JEWEL SAMAD, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le Canadien Aaron Brown, le Libérien Joseph Fahnbulleh et l’Américain Noah Lyles, à la ligne d'arrivée en demi-finale du 200 m

La compétition sera féroce, mais De Grasse a l’air convaincu que cette fois, l’or est à sa portée. Le coach l’a dit. On n’ira pas contredire le coach.

De Grasse convient que la piste est « rapide », mais il insiste surtout sur les conditions météo idéales pour les sprinteurs : quelque chose autour de 27-30 °C, un climat qui plaît aux muscles des athlètes d’explosion.

« Je pense que demain, on va voir des temps rapides », a-t-il annoncé.

Le record canadien établi aujourd’hui ne vivra pas 24 heures, on dirait bien…

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Juste avant les demi-finales du 200 m, les séries du 5000 m ont aussi confirmé la superbe forme des coureurs de fond canadiens.

PHOTO STEPHEN HOSIER, LA PRESSE CANADIENNE

Le Canadien Mohammed Ahmed

Mo Ahmed, quatrième à Rio sur la distance, a mené sa série presque de bout en bout. Ce n’est ni le rang de cette qualification (2e) ni le temps (13 min 38,98 s) qu’il faut considérer. C’est la manière. Il faut le compter parmi les prétendants au titre, carrément. Il s’est classé troisième au championnat du monde en 2019, il est en forme comme jamais, et il n’est pas à Tokyo pour la joie de participer.

Même chose pour l’étonnant Justyn Knight, 25 ans, de Toronto, qui s’est payé le luxe de finir devant Joshua Cheptegei, champion du monde, dans la deuxième série.

Encore là, ce ne sont que les préliminaires, et le principal intéressé nous dit qu’il n’a « même pas remarqué » qu’il avait terminé devant l’Ougandais qui a réécrit le livre des records l’an dernier.

Ce qui est à noter ici, c’est que le Canadien s’est tenu en avant tout le long, sans gêne.

Il m’a dit la semaine dernière que Mo et lui veulent « faire quelque chose de gros pour le Canada », et ils sont de toute évidence à l’attaque.

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Le Canadien Justyn Knight (au centre)

Une finale avec deux Canadiens au 5000 m est déjà un évènement. Ce qui est inédit, c’est qu’ils peuvent carrément aspirer au podium compte tenu des résultats récents (les deux ont fait écarquiller bien des yeux à Florence en juin, en finissant troisième et cinquième dans une course très relevée). Et ils y croient.

« Courir en avant, ça montre juste à quel point je suis déterminé. »

« Quel genre de course espères-tu ? », a demandé un journaliste.

« Une course que je vais gagner ! Vous n’êtes pas obligés de me citer », a-t-il ajouté aussitôt, avec un reste de modestie que sa forme oblige à revisiter.

Bien sûr qu’on va le citer !

Notons que Dawit Fikadu, de Bahreïn, a eu la mauvaise idée de tomber juste aux pieds de Knight, qui l’a évité de justesse. À quoi on pense, dans ce temps-là ?

« Juste : tombe pas avec lui ! Je ne voulais pas non plus piler sur lui… Heureusement, il était placé d’une bonne manière pour que je l’évite. Ce sont des trucs qui arrivent souvent. »

Ce qui arrive moins souvent, comme vous savez, c’est que le tombé revienne et finisse premier, comme a fait Sifan Hassan. Fikadu n’a pas réussi le coup.

La finale du 5000 m aura lieu vendredi, et ça va chauffer.