(Tokyo) Andre De Grasse a étonné un peu tout le monde en sortant des préliminaires avec le meilleur chrono des 63 sprinteurs. Tout le monde, y compris lui-même.

Ce 9,91 s est à un centième de son record personnel et à 7 centièmes du record canadien (9,84 s), partagé par Donovan Bailey et Bruny Surin depuis plus de 20 ans. Un record qui pourrait bien être effacé dans quelques heures…

« Je me sens plutôt bien, je ne m’attendais pas à aller si vite, nous a dit un De Grasse tout en zénitude japonaise, au sortir de la piste. Je voulais seulement être relax pour la première série. Mais j’ai vu les gars dans ma vague cet après-midi et je me suis dit : “OK, va falloir que je coure un petit peu…” J’ai vu un Américain [Fred Kerley] là-dedans… et d’autres gars dans les 9 secondes. »

Cette belle tenue permet d’entrevoir le meilleur en finale dimanche soir à Tokyo (dimanche matin 8 h 50, Heure de l’Est).

Les doutes planaient pourtant sur sa capacité au 100 m, après une saison sans grand éclat particulier, selon ses normes. Il n’avait couru qu’une fois sous les 10 secondes (9,99 en avril) et semblait montrer encore des ennuis au démarrage. Les espoirs semblaient se reporter sur le 200 m…

À la lumière de cette superbe soirée olympique, il faudra réinitialiser les prédictions.

De Grasse nous a donné quelques explications.

« Je me suis concentré surtout sur le 200 m cette saison, parce que l’horaire est un peu plus compliqué ici qu’aux derniers Jeux : j’ai deux 200 m à courir la même journée. Alors je me suis concentré sur mon endurance. »

Ces derniers temps, il a cependant affûté son 100 m et, de toute évidence, ça paie.

« Mon coach me dit tout le temps que je vaux mieux que mon record personnel [9,90 s], mais je n’ai pas vraiment eu l’occasion de le faire, parce que je fais beaucoup d’allers-retours entre le 100 m et le 200 m. Il sait que je suis prêt, et il me dit que si je peux réussir la première partie de la course, je peux gagner. »

De Grasse, en effet, a la réputation de rouler avec un moteur diesel plutôt qu’électrique : fort une fois lancé, mais sans grande explosion dans les blocs.

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PHOTO LUCY NICHOLSON, REUTERS

Trayvon Bromell

À part ça ? L’Américain Trayvon Bromell, auteur du meilleur chrono de la saison (9,77 s), a donné la frousse à l’équipe américaine en ne se qualifiant pas dans sa vague, avec une quatrième position. « Il n’était pas là, les lumières n’étaient même pas allumées ! », fulminait un membre de l’équipe assis près de moi. Bromell a été repêché au temps.

De Grasse s’alignera dans sa demi-finale contre celui qui a déjà été considéré comme le dauphin du grand Usain Bolt (9,58), le Jamaïcain Yohan Blake, 31 ans. Il avait pris l’argent au 100 m et au 200 m à Londres, en 2012, derrière la légende du sprint, et deux médailles d’or avec l’équipe du 4 x 100 m jamaïcaine en 2012 et 2016. Il détient toujours le deuxième chrono de tous les temps (9,69 s), mais ça remonte à 2012.

Dans la même vague, De Grasse retrouvera encore Kerley en plus du Français Jimmy Vicaut, tous deux auteurs de chronos de 9,86 s.

Seuls les deux plus rapides des trois vagues avancent en finale, plus les deux meilleurs chronos au total.

Outre les trois Américains (Bromell, Kerley et Ronnie Baker), les Sud-Africains Akanie Simbine (9,84 s, deuxième chrono de la saison) et Gift Leotlela ne sont pas des quantités négligeables. Sans oublier l’Italien Lamont Marcell Jacobs, qui a fait sa meilleure course à vie et le record national samedi pour le même prix dans les préliminaires (9,94 s).

Bref, ça ne traînera pas.

D’autant que l’été tokyoïte, s’il accable le coureur de fond, réjouit le cœur et les jambes du sprinteur.

« La température est très bonne, on est bien protégés du vent », nous a dit De Grasse, qui n’avait pas du tout l’intention de diminuer les attentes.